«La terreur du gouvernement face à son peuple» : l'avocat David Koubbi étrille la loi anticasseurs
L'Assemblée nationale a presque voté comme un seul homme en faveur de la loi anticasseurs proposée au printemps 2018 et poussée par l'exécutif à l'hiver. Pour l'avocat David Koubbi, cette «loi d'opportunité» nuit aux libertés fondamentales.
Après l'approbation par la chambre basse du parlement de la proposition de loi dite «anticasseurs» le 5 février, une polémique s'est fait jour laissant penser qu'une bise frondeuse soufflait dans les rangs de la majorité. Scandale : 50 marcheurs se sont abstenus de valider le texte et un élu Modem est même allé jusqu'à voter contre.
Contacté par RT France, l'avocat David Koubbi, s'insurge : «On nous parle de 50 abstentionnistes, on nous vend une fronde... Mais qu'est-ce que cela signifie, enfin ? Où en est notre fonctionnement démocratique ? Il ne se trouve pas un seul LREM pour voter contre ?» Irait-il jusqu'à penser que l'Assemblée nationale s'est transformée en simple chambre d'enregistrement ? «Pas vous ?», décoche-t-il du tac au tac. Avant de souligner : «Je parle actuellement avec des députés, y compris LREM, qui ont l'impression de ne servir à rien. [...] On est dans une démocratie de très basse intensité en ce moment.»
L'avocat dénonce un texte «liberticide» et déplore «un recul des libertés fondamentales». Il rappelle aussi qu'il s'agit de la «quatrième loi sécuritaire» depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Et d'énumérer la transposition dans le droit commun des mesures de l'état d'urgence, la loi sur le secret des affaires, celle sur la manipulation de l'information précédant ce nouveau texte dit «anticasseurs». La loi de trop ? Du moins, «un point de bascule», selon lui.
On est dans une démocratie de très basse intensité en ce moment
Deux constats s'imposent selon David Koubbi : d'une part l'arsenal juridique disponible est déjà suffisant en la matière et il rappelle que le Conseil de l'ordre du barreau de Paris a publié un communiqué le 5 février qui ne disait pas autre chose. Effectivement l'institution qui réunit les avocats de la capitale a ainsi tancé la majorité : «Alarmé par le vote de ce jour à l’Assemblée nationale, le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris rappelle avec force que la loi pénale visant à réprimer et empêcher les actes violents durant les manifestations existe et paraît suffisante.»
Une «loi d'opportunité» qui menace «les libertés fondamentales»
D'autre part, l’immixtion de l'administratif dans le domaine judiciaire inquiète l'avocat. Là encore, même son de cloche au Barreau de Paris qui «regrette que [...] le gouvernement veuille porter atteinte de manière générale à la liberté fondamentale de manifester et de se rassembler en donnant pouvoir à ses représentants, les préfets, de prononcer des interdictions préventives individuelles.»
En clair, le glissement des pouvoirs qui étaient traditionnellement conférés à un juge et qui seraient transférés à un préfet a déclenché un signal d'alarme dans la profession. Selon David Koubbi, alors que l'interdiction de manifester était «soumise à un juge en théorie indépendant, là, on ne prend même plus cette précaution au sein du gouvernement. Pour nombre de mes confrères et moi-même, cela est inacceptable puisque nous sommes avocats. Auparavant, le juge pouvait dire "je refuse à telle personne de participer à telle manifestation" et la décision était motivée. Dorénavant, on aura un préfet dépendant directement de l'exécutif et qui décidera d'une interdiction préventive de manifester.»
On peut interdire les Gilets jaunes et interdire les manifestations, on peut même interdire de penser si c'est le pays que nous voulons, mais alors il faut assumer
David Koubbi questionne également la façon dont l'ordre a été maintenu depuis le début de la crise des Gilets jaunes : «Je ne questionne pas les forces de l'ordre, mais les ordres qui leurs sont donnés. Selon le compte de David Dufresne [écrivain documentariste relatant les incidents liés au maintien de l'ordre], on en est à quatre mains arrachées et 17 éborgnés, mais on dit aux manifestants de ne pas venir casqués, ni avec des lunettes et des masques de protection. Du coup, on peut interdire aux Gilets jaunes de venir à la manifestation, leur retirer leur équipement et les inscrire au fichier des personnes recherchées», détaille l'avocat, qui suggère, donc, ironique : «Dans ce cas, j'ai deux propositions simples : interdire les Gilets jaunes et interdire les manifestations, mais alors il faut assumer ! [...] On peut même interdire de penser, si c'est le pays que nous voulons !»
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Pour ces raisons, David Koubbi dénonce «une loi d'opportunité politique» et même «une mesure de campagne en vue des européennes» de la part d'Emmanuel Macron. Il ajoute : «Ce n'est pas grave, mais encore une fois, il faut l'assumer.»
«La terreur de ce gouvernement face à son peuple»
Interrogé sur la signification de cette loi d'un point de vue politique, l'avocat du cabinet 28 octobre ne tourne pas autour du pot : «Cela montre la terreur de ce gouvernement face à son peuple.» Quant à l'avenir du mouvement des Gilets jaunes qui devra désormais composer avec ce nouvel arsenal, David Koubbi montre sa solidarité : «Nous serons nombreux à les aider à s'adapter aux contraintes qu'ils subissent. C'est un mouvement qui est à l'image de la France, si on ne l'aime pas, on n'aime pas la France. Mon entier soutien va vers ceux qui contestent. [...] Au fond, les Gilets jaunes veulent la même chose qu'Emmanuel Macron, c'est-à-dire bien manger, être bien payé pour leur travail, être traité dignement... Et lui, il répond "qu'ils mangent de la brioche". Mais il a oublié (ils l'oublient tous) le gène contestataire français.»
Et de rendre hommage à la pugnacité des Gilets jaunes : «Ces concitoyens sont très méritants. Il s'agit d'un mouvement d'hiver, qui se déroule sur les ronds-points... Ce n'est pas comme un mouvement né pendant l'été sur les places de la capitale.»
Antoine Boitel