Elections municipales à Lyon et dans le Grand Lyon : c'est le bazar au sein de la macronie

Elections municipales à Lyon et dans le Grand Lyon : c'est le bazar au sein de la macronie© PHILIPPE DESMAZES Source: AFP
David Kimelfeld, Emmanuel Macron, Gérard Collomb : après l'union, la désunion... (image d'illustration)
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Les marcheurs, favoris des élections, sont divisés pour les deux scrutins à Lyon. Malgré la fronde, le maire Gérard Collomb brigue le mandat à la métropole, principal enjeu électoral. Les écologistes et la droite profiteront-ils de la zizanie ?

Après Paris, la ville de Lyon, 516 000 habitants, est un objectif médiatique et stratégique pour La République en marche (LREM) en vue des échéances électorales du 15 et 22 mars 2020. Elles auront pour subtilité d'être le cadre de deux élections : les municipales et les métropolitaines. Si cette vitrine macronienne pouvait leur sembler imperdable sur le papier, tout est en réalité complexe et brouillon, tant pour le parti présidentiel que pour le jeu politique global. RT France explique tout ce qui se traboule à Lyon.

Réputée pour être une ville «centriste» – notamment après le mandat de Raymond Barre en 1995 – Lyon s'est gentrifiée. Un homme tient les ficelles de sa vie politique et du bassin lyonnais depuis près de 20 ans : Gérard Collomb, ancien socialiste, devenu l'un des tout premiers macronistes en 2016. A la tête de la ville de Lyon depuis 2001, l'ex-sénateur a aussi pris la présidence de la métropole à sa création en 2015, jusqu'en 2017. Cette nouvelle métropole a remplacé la communauté urbaine de Lyon, que Gérard Collomb présidait auparavant entre 2001 et 2014. Si pour les élections de mars 2020, le septuagénaire semble vouloir transmettre le flambeau pour la ville de Lyon, il ne renonce pas à récupérer la métropole qu'il avait lâchée en 2017 à l'un de ses fidèles, David Kimelfeld, pour occuper les fonctions de ministre de l'Intérieur.

La métropole : enjeu majeur du scrutin, Gérard Collomb ne veut pas lâcher

Principal enjeu des élections dans le bassin lyonnais, la métropole regroupe plus d'1 300 000 habitants et 59 communes dont Lyon, soit 14 circonscriptions. Ses compétences sont nombreuses et plus larges qu'une ville, récupérant entre autres celles de l'ancienne communauté urbaine – le Grand Lyon – et d'un département. Sauf que Gérard Collomb, investi par La République en marche, se retrouve face à l'un de ces anciens très proches, lui aussi macroniste assumé, David Kimelfeld. Quand ce complice de Gérard Collomb a pris la place de celui-ci à la présidence de la métropole en 2017, son ambition était claire : ne pas s'afficher comme un second couteau – lui qui depuis 2001 était engagé aux côtés de Gérard Collomb, en étant maire PS du IVe arrondissement lyonnais et vice-président de la communauté urbaine et de la métropole. Il affiche rapidement des ambitions sur le long-terme pour le Grand Lyon. Cet ancien chef d'entreprise paraît apprécier le costume de président et sa posture ne reflète pas celle d'un politique souhaitant rester simple intérimaire dans l'ombre de Gérard Collomb.

Rien ne laissait d'ailleurs présager que le passage ministériel de Gérard Collomb à l'Intérieur soit bref. Et sa sortie du jeu national en a surpris plus d'un à Lyon. Ereinté par l'affaire Benalla ? Déçu par l'attitude d'Emmanuel Macron ? Pressentant la crise des Gilets jaunes et le décrochage de La République en marche ? Gérard Collomb a eu le nez creux lorsqu'il a décidé lors de la rentrée 2018 – soit à peine plus d'un an après sa prise de fonction à l'Intérieur – d'annoncer sa démission pour un retour dans le jeu politique lyonnais.

Ne pouvant être maire de Lyon et président de la métropole, il revient donc à Lyon en récupérant la mairie en novembre 2018. Dans la foulée, ses intentions sont connues : il veut aussi récupérer la présidence de la super-structure dès 2020. Mais l'homme ne cherche pas à reprendre la métropole de suite. D'abord, parce que la règle de non-cumul des mandats l'empêche d'avoir les deux mandats exécutifs. Ensuite, parce que David Kimelfeld a rapidement averti médiatiquement, dès octobre 2018, qu'il ne lâcherait pas la présidence. Histoire de montrer qu'il tient à se battre pour garder le poste.

Si David Kimelfeld parvient à se maintenir à la présidence, Gérard Collomb va montrer peu à peu les crocs. La fronde interne à la macronie lyonnaise s'est alors mise en marche. Les soutiens pro-Collomb envisagent même, un temps, une double candidature pour mars 2020 afin de récupérer et la mairie de Lyon et la métropole. En cas de double victoire, du fait du non-cumul des mandats, Gérard Collomb privilégierait alors la métropole et laisserait la mairie à l'un de ses soutiens. Sa priorité était claire : il veut récupérer son siège de président. En face, son ancien allié David Kimelfeld, 58 ans, a logiquement cette même prétention pour la métropole.

Querelle d'ego entre les deux hommes, David Kimelfeld semble avoir en travers de la gorge le fait que Gérard Collomb ne l'adoube pas pour prendre la mairie de Lyon lors de son départ pour l'Intérieur en mai 2017. La lutte entre les deux hommes ne se fait en tout cas pas sur le terrain du bilan politique. Dans sa campagne, David Kimelfeld n'incarne aucune rupture avec la politique menée par Gérard Collomb. Une rupture compliquée à expliquer puisque lui-même partie prenante des politiques lyonnaises depuis 2001.

Mais sur le terrain lyonnais, Gérard Collomb est incontestablement respecté pour son bilan et la transformation de la ville, y compris dans les rangs de ce que l'on nomme aujourd'hui les pro-Kimelfeld. Il y a bien quelques points par-ci par-là qui chagrinent la droite et la gauche, mais ce baron lyonnais peut se targuer de ne pas se sentir aussi rejeté que certains maires de grandes villes. Interrogés par RT France, des journalistes nous expliquent du reste que Gérard Collomb bénéficie d'une si bonne cote de popularité, qu'il préfère finalement, en pleine campagne, rester assez discret. A 72 ans, il a imprimé sa marque. Semblant jouir au sein de la politique lyonnaise d'un crédit fort et d'un grand respect, Gérard Collomb est-il indéboulonnable ?

Gérard Collomb, perd du terrain, y compris médiatiquement

«Nous ne contestons pas le bilan de Gérard Collomb mais, après toutes ces années, il doit tourner la page et laisser sa place», explique en off un des proches soutiens pro-Kimelfeld. Et c'est peut-être sur ce terrain-là que David Kimelfeld peut justement renverser la donne à son profit. Après près de 20 années de ce que certains nomment «le système Collomb», l'heure est peut-être au renouvellement.

Le principal défaut de David Kimelfeld reste indéniablement la notoriété, lui qui a été pendant plus de 15 ans dans l'ombre de Gérard Collomb. Menant une campagne plus offensive, ce déficit s'estompe au fil des semaines. Certes Gérard Collomb caracole toujours en tête (estimé entre 23% et 26% selon les instituts pour les dernières enquêtes de février), mais, au fil des sondages, il semble perdre du terrain. David Kimelfeld serait, pour sa part, sur une dynamique favorable, mais restant à plusieurs points derrière (entre 14% et 18%). Il y a quelques signes qui peuvent toutefois le rassurer. Les maires d'une trentaine de petites communes autour de Lyon, «le groupe Synergies», qui appuient Gérard Collomb depuis 2008 – et l'ont aidé à prendre la présidence du Grand Lyon puis de la métropole – ont perdu leur enthousiasme envers l'ancien sénateur du Rhône. Déçus par le fait qu'ils aient un poids moindre avec le nouveau mode de scrutin, ils ont cette fois-ci décidé d'apporter leur soutien à David Kimelfeld, avec la promesse d'une contribution financière de la métropole à leur bénéfice, pour «la pérennité des communes».

David Kimelfeld brandit un autre atout : montrer que sa méthode diffère de Gérard Collomb dans la gouvernance. «Je suis dans une gouvernance très participative, collaborative», soutenait-il à L'Opinion le 26 juin 2019. Et puis il y a cette mini-victoire dernièrement, concernant le «Rhône Express», une navette reliant Lyon à son aéroport. David Kimelfeld a pu remettre en cause la mainmise de Vinci sur le dossier. Or, l'un des sobriquets des opposants à Gérard Collomb est de régulièrement accuser celui-ci d'avoir fait de Lyon un «Vinciland». A l'issue d'un vote résiliant le contrat, la presse locale photographie un moment symbolique que Lyon Capitale résume ainsi : «Lors du vote final, [David Kimelfeld] lève les deux bras faisant le V de la victoire. A côté de lui, Gérard Collomb croise les bras. La mine sombre, il est KO. Son ancien dauphin, devenu dissident, vient de porter un coup à sa conception du modèle lyonnais.»

Et dans le programme, les deux hommes se mettent à s'opposer sur des projets d'infrastructures, le terrain de jeu favori de Gérard Collomb, à l'image de l’anneau des sciences. Ce projet de voie autoroutière est pour une partie souterraine et bouclerait le périphérique ouest afin de désengorger le trafic dans Lyon. Ce serpent de mer est estimé à près de 4 milliards d'euros : l'idée a été lancée en 1989 et est ardemment défendu par Gérard Collomb. David Kimelfeld l'a aussi soutenu pour désormais s'y opposer, jugeant dans Lyon Capitale le 29 novembre 2019 qu'il s'agissait là «d'un projet dépassé». En février 2018, il estimait pourtant que ce projet permettrait «de rééquilibrer les circulations».

A l'instar des élections locales dans les autres villes, le thème de l'écologie est majeur dans la préoccupation des habitants de la métropole. David Kimelfeld veut orienter sa campagne en ce sens, voyant dans l'anneau des sciences, un problème pour la «santé publique» ou la «pollution». Gérard Collomb conteste. «On ne peut pas me faire le reproche d’être le partisan du "tout bagnole"», déclare-t-il le 10 décembre 2019 lors d'un point presse, rappelant alors ses projets «verts» mis en œuvre à Lyon : tramway, parcs, berges, etc.

Malgré tout, David Kimelfeld marque un point auprès des écologistes et fait un pas vers eux. Politiquement, paraître aussi vert qu'un écologiste peut se comprendre : les intentions de vote confirment qu'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) pourrait jouer les trouble-fêtes, stagnant aux alentours de 20%.

Métropolitaines : l'issue est incertaine, les inconnues nombreuses

En fait, ces métropolitaines se jouant pour la première fois au suffrage universel direct, sont un casse-tête. Difficile même de saisir la justesse des sondages qui se fient sur la cote de popularité du chef de file de chaque force. De nombreuses inconnues peuvent effectivement faire basculer un scrutin. D'une part, les choix des électeurs sur les 14 circonscriptions se porteront-ils prioritairement sur l'étiquette politique, sur la tête de liste de la circonscription ou sur le meneur de l'ensemble des listes, c'est-à-dire le potentiel président de la métropole ? Et après le premier tour, comment se passeront les éventuelles alliances entre les listes ? Se feront-elles localement au sein des 14 circonscriptions avec diverses fusions avant le second tour ou un accord général pourra-t-il être conclu entre les forces ? D'aucuns pensent même que les écarts entre la droite, EELV et les listes macronistes sont si ténues qu'aucune majorité claire ne pourrait ressortir à l'issue du second tour. Les discussions pour élire le futur président au sein du conseil de la métropole, composé de 150 membres au 22 mars 2020, risquent donc d'être... rock'n'roll.

D'autre part, les électeurs de la métropole, confrontés à deux élections différentes (municipales et métropolitaines), devront aussi voter pour leur propre maire. Il n'est pas impossible qu'un citoyen, se sentant proche de la macronie, fasse une combinaison de vote en choisissant de soutenir, par exemple, un macroniste dissident (non investi par LREM) à la mairie tout en plébiscitant une liste LREM pro-Collomb à la métropole, ou vice versa. Rien n'empêche non plus de voter pour une liste EELV à la métropole, tout en votant pour un maire LR.

Le cas de Villeurbanne, plus grande commune de banlieue de France, est éloquent. Le macronien, Prosper Kabalo, postule aussi bien pour la mairie de Villeurbanne et en tant que conseiller à la métropole pro-Kimelfeld. Une situation qui a conduit La République en marche à adopter une posture paradoxale : investir Prosper Kabalo avec l'étiquette LREM pour la mairie de Villeurbanne, tout en refusant de l'investir pour les métropolitaines. Pour la circonscription de Villeurbanne à la métropole, il défiera notamment le député LREM Bruno Bonnell (pro-Collomb)... Un véritable panier de crabes dans lequel chaque groupe, pro-Collomb ou pro-Kimelfeld, revendique d'ailleurs son attache à la macronie et à l'esprit d'En Marche.

Politique lyonnaise : Gérard Collomb est toujours à la manœuvre

Ces métropolitaines revêtent un enjeu si important que la mairie de Lyon apparaît, par voie de conséquence, comme d'une importance moindre pour la majorité des partis politiques. Le poids du maire de Lyon risque effectivement de s'affaiblir au profit de la métropole.

Si Gérard Collomb ne postule donc pas pour sa propre succession à Lyon, il tente tout de même de l'influencer, en adoubant son ancien adjoint au sport Yann Cucherat. D'aucuns pensent que cet ancien gymnaste, 40 ans, ne serait qu'un pion pour Gérard Collomb, son simple relais pour la ville. Yann Cucherat s'en est défendu, le 15 février, sur l'antenne locale de France 3 : «Je ne suis pas sous la tutelle [de Gérard Collomb], nous faisons équipe ensemble, lui à la métropole, moi à la ville de Lyon, parce que nous avons, je pense, la même vision commune, parce que nous avons une forme de complémentarité, lui avec son expérience, peut-être moi avec ma jeunesse, avec un regard différent, une sensibilité liée à mon parcours. Mais je crois que c'est une vraie chance d'être aux côtés du maire qui a transformé radicalement sa ville.»

Il faut dire que depuis 2001, Gérard Collomb n'a quitté provisoirement sa place de maire qu'entre juillet 2017 et le 5 novembre 2018, correspondant à sa brève fonction de ministre de l'Intérieur. Une période d'un an où il a laissé le siège de premier magistrat de la ville à son premier adjoint Georges Képénékian. Au retour de Gérard Collomb, Georges Képénékian, en fidèle soutien, a repris le mandat de premier adjoint. Mais lui aussi entend voler de ses propres ailes, peut-être vexé de certains bruits qui couraient. Gérard Collomb aurait voulu à tout prix revenir à Lyon en 2018, et abandonné son ministère, «car les choses se passaient trop mal sans lui», rapporte le média Lyon Mag. Comme David Kimelfeld – qu'il soutient par ailleurs – Georges Képénékian veut incarner un souffle nouveau sur Lyon. Le macroniste s'est donc porté candidat à la mairie pour les élections du 15 mars et ce, malgré le fait que La République en marche ait décidé d'investir Yann Cucherat aux municipales à Lyon. Cet investiture est logique, puisque Yann Cucherat est soutenu par Gérard Collomb, lui-même investi LREM pour la métropole. Mais la cohérence LREM reste fragile puisque, fin novembre 2019, les quatre députés LREM de Lyon avaient officialisé leur soutien... à Georges Képénékian.

Ces divisions intestines vont-elles peser sur le scrutin ? A Lyon, le dissident macroniste Georges Képénékian peine mais progresse. Il était crédité en février 2020 de 11 % des intentions de vote, derrière l'ancien gymnaste Yann Cucherat (15%).

En opportuniste, Europe Ecologie Les Verts, la victoire à portée de voix

En fait, il semble que ces divisions pourraient profiter à des outsiders, Europe Ecologie Les Verts (EELV) en tête. A Lyon, la liste de Grégory Doucet, après avoir longtemps talonné celle de Yann Cucherat, serait désormais en tête dès le premier tour avec 22% des intentions. Les macronistes pro-Collomb redoutent au demeurant que la division puisse profiter à cette candidature écologiste qui s'allierait pour le second tour à La France insoumise (créditée au premier tour de 9%). A la métropole, la tête de liste EELV Bruno Bernard atteint même la barre des 20%. Nul doute, EELV peut soit créer la surprise au premier tour en arrivant en tête des municipales et des métropolitaines et donc décider des futures alliances, soit être les faiseurs de roi pour le second tour.

Et la droite est en embuscade. A Lyon, l'ancien député Les Républicains, Etienne Blanc est à 21%, soit à un brin de la première position au premier tour. A la métropole, Les Républicains (LR) sont un peu plus en retrait (15%), un score qui reste suffisant pour peser et rafler la victoire sur la ligne, avec, pourquoi pas, une éventuelle négociation avec les macronistes dissidents. Mais le parti LR a un écueil : sa réserve de voix est faible. D'autant plus que la tradition centriste et la préoccupation écologique du Rhône ne semblent pas faire basculer la tendance sociologique vers un électorat de la droite traditionnelle. Cependant, comme expliqué en amont, les inconnues sont tellement nombreuses dans le scrutin métropolitain que la droite LR pourrait arracher la victoire. Peu probable, selon un politologue lyonnais interrogé par nos soins, qui estime que sa tête de liste à la métropole, François-Noël Buffet, fait une «campagne de sénateur», un peu molle, avec en toile fond une tension à l'origine avec le maire LR de Rillieux-la-Pape, Alexandre Vincendet.

Ces deux partis politiques, LR et EELV, pourraient donc profiter de la pagaille au sein de la macronie. A regarder de près, les deux échéances électorales (municipales et métropole) se passeront en quatre tours. Nul doute qu'après le premier tour du 15 mars, un tour officieux sera déterminant : celui des négociations, dures, et la pêche aux postes durant cet entre-deux tours, afin de déterminer le scrutin du 22 mars. Un quatrième tour officieux pourrait même s'avérer délicat, dans le cas où aucune majorité claire ne se dessine après le 22 mars. Une genre de Rubik’s cube lyonnais pour ces deux élections : les différentes couleurs politiques pouvant se mélanger, se rencontrer ou s'opposer pour décider qui sera le futur maire et président de la métropole.

Bastien Gouly

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