Sylvain Ferreira, historien et spécialiste de l'art de la guerre à l'époque contemporaine, revient sur la contre-offensive ukrainienne qui aurait été, selon lui, impossible sans le soutien appuyé de l'OTAN.
Depuis le début de l'été, Kiev n'a eu de cesse d'annoncer que l'armée ukrainienne allait mener une contre-offensive dans le secteur de Kherson afin de reconquérir l'oblast et sa capitale avant la tenue d'un référendum de rattachement de cette province à la Fédération de Russie, référendum initialement annoncé pour le 11 septembre. Malgré de nombreux signes de l'effondrement du potentiel offensif ukrainien depuis la mi-juin, l'armée ukrainienne a bel et bien été capable de mobiliser des réserves humaines importantes (environ 30 000 hommes) afin de les instruire aux standards OTAN en Allemagne, en Grande-Bretagne ou encore en Pologne grâce au savoir-faire des instructeurs de ces pays, tous membres de l'OTAN. C'est là que se situe la première phase de l'intervention de l'Alliance dans ce projet de contre-offensive.
La deuxième implication de l'OTAN vient bien sûr de l'équipement fourni en nombre aux troupes de mêlée ukrainiennes (infanterie mécanisée, chars, artillerie) et à grands coups de communication de la part les intéressés. Ainsi, il ne se passe pas une journée sans évoquer le nombre de MLRS Himars livrés ou la cession de chars polonais T-72M1R pour reconstituer un corps de bataille blindé.
Ensuite, pour planifier, organiser et diriger une telle offensive, l'OTAN a mis à la disposition de l'état-major général ukrainien un ensemble de moyens techniques dont seule l'Alliance dispose et qui a permis à l'armée ukrainienne de mener une série d'attaques dans le cadre d'une vaste contre-offensive. En effet, loin de se contenter d'une seule attaque dans le secteur de Kherson comme annoncé, les Ukrainiens ont lancé – jusqu'ici – deux attaques sur deux parties du front : Kherson et Kharkov. Il se murmure qu'une troisième attaque, la principale au demeurant, soit imminente dans le secteur compris entre Zaporijia et Donetsk.
Avec un plan aussi ambitieux, il est évident que les planificateurs de l'OTAN sont intervenus en amont via les moyens du C4isr (C4 = Computerized Command, Control, Communications, le I = Intelligence, S = Surveillance, R = Reconnaissance)pour planifier, organiser et co-piloter et coordonner les attaques ukrainiennes. A cela s'ajoute également le TAR (Target Acquisition and Reconnaissance) qui permet de cibler, en plus des troupes adverses, ses QG, dépôts, nœuds de communications, ateliers, etc. Cet investissement de l'Alliance est incontournable car l'armée ukrainienne ne dispose pas des instruments nécessaires pour concevoir une action de cette nature, notamment dans le domaine aérien (absence d'aviation de reconnaissance) et spatial (absence de satellite d'observation militaire) pour acquérir et traiter les renseignements récupérés pour permettre aux planificateurs de les exploiter efficacement.
Les moyens de communications nécessaires à la synchronisation de telles opérations sont également insuffisants au sein des forces armées ukrainiennes. Dans le domaine de la guerre électronique, là encore, seule l'OTAN dispose de technologies capables brouiller les communications des forces armées russes afin de les aveugler temporairement avant et/ou pendant une opération d'envergure. C'est cette troisième intervention de l'Alliance qui a été déterminante, à la fois dans le succès de l'attaque de fixation des forces russes dans la région de Kherson, mais aussi dans la surprise tactique obtenue par l'armée ukrainienne au début de son attaque dans le secteur de Kharkov.
Enfin, l'OTAN a probablement poursuivi indirectement l'instruction et l'encadrement de la Légion internationale composée de volontaires étrangers issus de ses rangs (principalement des Américains, des Britanniques et des Polonais) dont on a découvert plusieurs membres – y compris des Afro-américains – en train de se filmer au cours des combats dans le secteur de Kharkov-Izioum.
Si l'instruction des troupes ukrainiennes par l'OTAN et la mise à disposition de matériels ont fait l'objet d'une large propagande dans les médias français, il faut reconnaître qu'en ce qui ce qui concerne le soutien direct, et crucial, des moyens C4isr de l'OTAN, la discrétion sur cet aspect a été de mise en France alors que les médias anglo-saxons ne se sont pas privés de le souligner, comme pour convaincre leurs opinions publiques du bien-fondé de leurs engagements directs aux côtés de Kiev pour contrer la Russie.
En tout cas, sans les moyens C4isr, l'armée ukrainienne n'aurait pas pu planifier, organiser et conduire seule une opération offensive aussi complexe et aussi importante. Cette donnée fondamentale, si elle ne remet pas en cause le courage et la valeur des soldats ukrainiens qui forment les gros bataillons engagés dans cette contre-offensive, doit relativiser le caractère purement ukrainien du succès obtenu dans le secteur de Kharkov-Izioum tel qu'il est unanimement présenté dans les médias français. Ainsi, il est désormais évident que toute nouvelle offensive ukrainienne ne pourra avoir lieu que grâce aux moyens de l'Alliance, et que tout succès éventuel ne pourra pas être attribué aux seuls mérites des combattants sur le terrain. Par ailleurs, cela démontre que la guerre qui se déroule en Ukraine n'est plus simplement un affrontement entre l'Ukraine et la Russie, mais entre l'OTAN et l'Ukraine d'une part et la Russie d'autre part.
Sylvain Ferreira
L'auteur de cette tribune publiera le 15 octobre prochain un ouvrage intitulé La bataille de Marioupol. Selon lui ce livre sera «une première étude de cette bataille emblématique du conflit russo-ukrainien» qui tentera «à la fois d'établir un récit précis des combats mais aussi de présenter comment cette bataille s'inscrit dans la problématique de la guerre urbaine moderne».
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