Après l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche le discours politico-médiatique est dominé par l’image d’une division des élites globalistes dans la zone «atlantiste» ainsi que «russe». Pour Karine Bechet-Golovko, il est important de ne pas prendre les mirages médiatiques pour une réalité géopolitique, même si l’on en a particulièrement envie.
Ces derniers temps, l’idée d’une division des élites globalistes suite au retour de Donald Trump à la présidence américaine domine le discours politico-médiatique, que ce soit en Occident ou en Russie. Du simple fait de son apparition dans le paysage politique américain, les élites globalistes se seraient soulevées pour faire front contre Trump. Pourtant, où est la guerre civile tant annoncée par tous les «experts» dans toutes les langues ? Où sont passés les BLM, les féministes et autres instruments de déstabilisation si habituels ?
Silence total. Cette fois-ci, les élites globalistes n’ont pas sorti leurs pions dans la rue. Ils étaient même bien alignés le jour de l’intronisation du nouveau Tsar du Monde global.
Ainsi, sur fond de calme olympien aux États-Unis, nous avons droit à une suractivité politico-médiatique des élites globalistes européennes. Vance les sermonne à Munich. Il est vrai qu’elles ne font pas le job, elles ne tiennent ni leur territoire, ni leur population. Bref, elles deviennent contre-productives, discréditent le Monde global et sont donc sommées de se reprendre en main.
Pour cela, il faut gonfler les budgets de la défense, pour soulager le budget américain. Ce qui est en cours. Pour cela aussi, l’USAID et les délires LGBT et wokistes sont mis sur pause – de toute manière, ils ont atteint et même dépassé leur potentiel. Les populations sont fatiguées de cette bêtise, l’idée de droite revient à la mode. Elle doit donc être contrôlée (et déformée) par le Centre de gouvernance, comme le fut à l’époque l’idée de gauche. Qu’à cela ne tienne, Vance sort quelques simples vérités, il en devient immédiatement le héros d’un peuple, qui a trop longtemps baissé la tête pour oser se libérer lui-même. Besoin d’une preuve, pour être certain que c’est le bon, qu'il est «Le Gentil» ? Très simple : il se balade partout devant les caméras avec un de ses gosses dans les bras. Donc, c’est vrai, ça ne se discute pas.
Ainsi, les élites européennes sont montrées comme étant en opposition avec les élites américaines. Trump est le gentil, les Européens sont les méchants. Des élites, tellement en opposition, qu’elles mettent en œuvre toutes les exigences américaines, qu’elles se réunissent pour financer la guerre atlantiste en Ukraine pour soulager les États-Unis, qu’elles viennent à Washington faire allégeance et repartent la queue basse. Et malgré tout cela, quand elles se réunissent à Paris, Macron discute avant avec Trump et ensuite lui rend compte. Quand elles se réunissent à Londres, elles ne proposent que des plans, dits «alternatifs», mais qui doivent être acceptés par les États-Unis et prévoient la participation centrale des États-Unis.
Étrange conception de la rupture des élites quand même ...
Alors, quel est l’intérêt de ce discours, quel est l’intérêt de ce spectacle ? Le bruit assourdissant produit par le discours trumpien rend quasiment impossible de préparer une stratégie fiable et enracinée. Un jour Trump qualifie Zelensky de dictateur et les Russes s’emballent. Ensuite, il déclare ne pas se souvenir avoir dit cela et le respecter, avant d’organiser une mise en scène du plus mauvais goût dans le Bureau ovale, qui s’accompagne d’une publication de CNN affirmant que désormais, la Russie ne peut plus hésiter, l’organisation de la rencontre Trump/Poutine va être rapidement finalisée. Publication, qui est reprise en boucle par tous les médias russes – toutefois sans être confirmée, ce que précisent ces mêmes médias. On appelle cela du soft power.
Rappelons que Poutine avait souligné que pour que la rencontre ait lieu, il fallait qu’elle soit très concrète et que les équipes aient déjà tout préparé en amont. Il n’y a toujours pas d’équipe sur l’Ukraine, mais seulement des gesticulations de Trump, faisant d’un accord commercial prenant possession des minerais ukrainiens l’équivalent d’un plan de paix.
Sans parler de la question sensible du contrôle militaire de la zone, qui restera sous appellation «Ukraine». Trump insiste sur la présence de forces militaires européennes, ce qui correspond au «plan européen», il ment même ouvertement en affirmant l’accord de principe de Poutine, ce qui fut démenti rapidement par la Russie.
Les seuls pas concrets : les sanctions américaines adoptées contre la Russie en raison de la guerre en Ukraine ont été prolongées par Trump d’une année et après le départ de Zelensky, il a déclaré que les États-Unis continueraient à livrer des armes à l’Ukraine.
La mise en scène d’une rupture des élites globalistes, qui semblent somme toute parfaitement bien coopérer entre elles dans les faits, a pour but très simple de conduire la Russie dans l’écueil des concessions unilatérales.
Car que peuvent réellement faire les Atlantistes ? La réindustrialisation des sociétés occidentales prendrait des années, avant de produire le résultat nécessaire à une guerre de haute intensité en cas de confrontation avec la Russie. La «déwokisation» des populations, indispensable en cas de mobilisation elle-même indispensable en cas de guerre de haute intensité, est un danger pour le pouvoir globaliste, qui ne peut se permettre une remasculinisation des sociétés occidentales et qui en attendant n’arrivera pas à mobiliser en masse.
Dans tous les cas, ces processus demanderaient des années avant de produire les effets attendus. Pendant ce temps-là, l’armée russe avance. Lentement, mais sûrement, elle avance. Il y a donc urgence de négocier, pour stopper son avancement et garder au moins un poste avancé en Ukraine, un bout de terrain contrôlé, afin de pouvoir relancer la confrontation, quand la situation sera plus favorable aux Atlantistes.
Mais pour cela, il faut construire un autre mythe en plus de celui de la rupture au sein des élites globalistes, c’est celui de la dissociation de Trump et des États-Unis. Trump, ce ne serait pas les États-Unis. Certainement, une sorte d’entité supérieure flottante. Il tente lui-même d’opérer cette dissociation en combinant dans un même moment deux affirmations incompatibles :
- «Trump regrette l'implication des États-Unis dans le conflit ukrainien»;
- «Trump affirme sa neutralité dans le conflit ukrainien».
Ainsi, Trump, qui est le Président des États-Unis, pays qui est partie prenante dans la guerre atlantiste conduite en Ukraine contre la Russie, s’estime personnellement neutre. Y aurait-il eu une rupture dans l’étaticité américaine, pour que l’histoire reprenne à zéro avec l’élection de Trump ? Depuis quand la responsabilité d’un pays cesse-t-elle avec un changement de personne à la fonction présidentielle ?
Ce tour de passe-passe doit permettre de renforcer le discours autour d’un «parti de la guerre», les vilains européens, et d’un «parti de la paix», le gentil Trump. C’est assez primaire, mais ça marche. Le discours est repris, tant au niveau du discours médiatique que politique.
Ainsi, le parti de la guerre est le méchant, qui a empêché les fameux accords d’Istanbul, suite à l’échec desquels quatre nouveaux Sujets sont entrés dans la Fédération de Russie. Une horreur, en effet, pour le monde global, mais plutôt une bonne chose pour ces gens, qui sont rentrés «à la maison» et pour la Russie, qui se reconstitue. Il est donc surprenant d’entendre en Russie reprendre ces mêmes termes, sans même y réfléchir.
Quant au «parti de la paix», nous ne savons pas très bien de quelle paix il s’agit. Une paix de victoire ou une paix de défaite. Et pour qui ? Jusqu’à présent, les propositions du pacifiste Trump sont très floues. Rappelons au minimum la gestion militaire par les Européens du reste de l’Ukraine, le silence sur la reconnaissance juridique et non simplement factuelle des nouvelles frontières russes et l’entrée des nouveaux sujets dans leur dimension administrative. Sans oublier, que Trump a bien annoncé après la visite de Zelensky, que les États-Unis continueraient à fournir l’Ukraine en armes.
Alors de quelle paix, parle-t-on dans ce «parti de la paix» ?
Il serait bon de sortir des slogans, pour regarder froidement la situation. Ces élites globalistes, bien loin de la rupture, semblent particulièrement complémentaires. Après l’échec de la première tentative d’un écrasement militaire de la Russie, après l’échec d’une guerre atlantiste par proxy, il faut redistribuer les cartes et sortir de l’impasse, sinon le risque de s’effondrer est trop grand. Trump, puisqu’il s’est imposé dans les urnes, est idéal, il va sauver le Monde global atlantiste, en opérant une forme de reset. Il négocie comme un marchand de poisson, disant tout et n’importe quoi et chacun y trouve ce qu’il veut. De leur côté, les Européens concertent avec lui la suite des opérations et montrent une alternative guerrière à la Russie en cas de refus de celle-ci d’accepter une négociation de dupes.
Et ainsi, Trump se positionne avec le monde global en faiseur de paix. Tout le monde parle de paix, Trump, Macron, Starmer. Trump aura permis d’éviter la guerre, hourra ! Il aura permis d’éviter une guerre, qui de toute manière n’aurait pas eu lieu. Une guerre nucléaire, provoquée soi-disant par la Russie, qui ne la déclencherait pas. Cette guerre de haute intensité, censée détruire l’humanité, agitée pour effrayer les peuples et les élites, notamment russes, les faire hésiter, venir discuter.
C’est bien une partie de poker menteur, que jouent les Atlantistes : n’ayant objectivement pas les moyens, ni humains ni industriels, d’une guerre de haute intensité sur le modèle de la Seconde Guerre mondiale, qu’ils agitent comme un épouvantail, ils font beaucoup de bruit pour conduire la Russie à quitter le front, où elle avance, et à se concentrer sur des promesses fumeuses, où elle sera stoppée et encore une fois «trompée». L’appât de futurs et très hypothétiques avantages économiques, dans la logique des marchands, doit faire suffisamment baver d’envie, pour faire oublier la petite voix des visions stratégiques.
C’est ça, le plan du «clan de la paix» tant applaudi. Derrière le lancement de l’Opération militaire spéciale, il y avait une certaine conception idéologique, une idée : la lutte contre le Monde global et la restauration du Monde russe. Le Monde global n’a pas perdu, il est simplement momentanément affaibli. Ce n’est donc pas le moment de négocier sa survie, si la Russie veut réellement remporter la victoire. Et dans ce cas seulement, elle pourra reconstituer le Monde russe, ce qui entraînera la disparition immédiate du Monde global.
La possibilité de la victoire, puisque dans tout combat il y a toujours un gagnant et un perdant (quel que soit le moyen employé pour y parvenir), ne tient finalement aujourd’hui pas tant à la capacité militaire, qu’à la volonté politique. Celui des deux, des États-Unis et de la Russie, qui aura le plus de fermeté, qui aura une véritable vision stratégique, pourra remporter la victoire. Ce qui effectivement conditionnera, dans tous les cas, un nouvel ordre mondial : soit un Monde global ressuscité de ses cendres, avec de fausses valeurs (cette fois de droite) ; soit un Monde à construire, donnant sa place à chaque État, dont les élites auront le courage de la souveraineté. Et cela se joue en ce moment.
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