Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Ukraine : les États-Unis proposent une paix de soumission à la Russie

Ukraine : les États-Unis proposent une paix de soumission à la Russie
Ukraine : les États-Unis proposent une paix de soumission à la Russie (image d'illustration générée par l'intelligence artificielle)
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L’enchaînement des injonctions, des promesses et des menaces proférées par l’administration Trump à l’égard de la Russie conduit Karine Bechet-Golovko à considérer que le processus de «négociation de paix» est épuisé, l’illusion est en train de tomber. La Russie n’acceptera pas la version remaniée de la Pax Americana.

Ces derniers jours, le secrétaire d’État américain a fait des déclarations qui tranchent sur l’optimisme forcé de Trump et interrogent, tant sur la capacité des Américains à faire de réelles concessions, ce qui est inévitable dans un processus de négociation, que sur les divergences tant revendiquées entre élites mondialistes.

Nous apprenons ainsi, je cite, que «les États-Unis ne feront pas de concessions à la Russie, qui dépasseraient les lignes rouges de l'Ukraine ou de l'UE». Pour autant, les États-Unis « espèrent que la Russie est sérieuse dans sa volonté de résoudre le conflit en Ukraine ». Et pour aider la Russie à prendre « la bonne décision » et à la prendre rapidement, la menace accompagne l’absence de promesses tenues : « Le Congrès américain va exiger des sanctions accrues contre la Russie. (...) Les États-Unis reconsidéreront leur position sur l’Ukraine, s’ils estiment que la Russie fait traîner les négociations ».

La négociation, une arme comme une autre

Plus le temps passe et moins ce processus ressemble à une négociation de paix. Rappelons que les États-Unis, qui sont partie prenante dans ce conflit, continuent à fournir le front ukrainien en armes et en renseignements, tout en se positionnant comme un arbitre dans leur propre guerre. En ce sens, la technique de négociation est une arme «comme une autre» pour conduire l’autre à céder. Dans le paradigme atlantiste, imposé par la guerre entre des parties, « l’autre » n’est pas un partenaire mais bien l’ennemi.

Rubio confirme l’unité d’action des globalistes, lorsqu’il affirme respecter les lignes rouges « européennes » et « ukrainiennes ». Comment pourrait-il en être autrement, si l’Europe est devenue un satellite atlantiste et l’Ukraine au mieux un protectorat au pire un simple front, où se bat l’armée atlantico-ukrainienne ?

Ainsi, l’administration Trump joue dans les limites posées par les élites globalistes, mais cachée derrière le voile de l’illusion. C’est ici que les Américains ont réellement fait preuve de génie, en réussissant à renverser la vision du monde par la simple élection de Trump, qui serait automatiquement dissocié du pays qu’il gouverne. Ainsi, le pays serait coupable d’avoir voulu et de mener cette guerre au quotidien, tandis que lui, personnellement, n’en serait pas responsable. Il serait dès lors légitime d'exiger de la Russie qu’elle cesse de se battre et de se défendre, la guerre qui se déroule « en » Ukraine étant, selon cette rhétorique, une guerre « entre » la Russie et l’Ukraine.

Il ne faut pas négliger le pouvoir de l’illusion, il est extrêmement puissant, surtout lorsqu’il va dans le sens attendu par le destinataire. Les gens veulent entendre parler de paix, ils refusent de se demander de « quelle paix » il s’agit. Le refus est viscéral. Ils préfèrent l’auto-hypnotisme.

Trump est leur nouveau héros, Trump est le grand pacifiste, surtout quand ses hommes de main ridiculisent les pantins gouvernant l’Europe au nom des mondialistes. Quand ces hommes de main font ce qu'eux n’ont pu vouloir faire, ce que les élites russes n’ont pas osé faire. Parmi ces élites russes, nous trouvons aussi des oreilles favorables au discours de paix, certes pour des raisons différentes : le pouvoir russe a toujours affirmé et continue à affirmer qu’il reste ouvert à une solution diplomatique du conflit.

La Russie est pragmatique : si elle peut parvenir à ses fins par la négociation, elle n’a aucune envie de continuer la guerre. Le problème fondamental est qu’elle ne peut stratégiquement garantir sa sécurité par les négociations, sans demander à un tiers de la protéger, ce qui serait pour le moins anachronique à la quatrième année de guerre chaude.

L’illusion de la paix

L’homme est ainsi fait qu’il se refusera longtemps à remettre en cause ce à quoi il a profondément cru, ce à quoi il a voulu croire. Parce que cette remise en cause l’obligerait à reconsidérer le monde qui l’entoure. L’illusion peut ainsi survivre un temps à l’image qu’elle a créée, les hommes le garantissent en se barricadant au milieu de solides paradoxes. La paix, c’est la guerre. L’illusion de la paix est plus confortable que la réalité d’une guerre, ce qui n’empêche pas la guerre de se dérouler au son de « vive la paix ».

Cioran l’affirmait déjà dans « Histoire et utopie » : « Nos rêves d’un monde meilleur se fondent sur une impossibilité théorique. Quoi d’étonnant qu’il faille, pour les justifier, recourir à des paradoxes solides ? ». Parce que nous voulons la fin, sans oser les moyens.

Que veut, que peut Rubio ? Quelle «paix» propose-t-il à la Russie ? Une paix de soumission. Une paix, qui permette à son pays de sortir la tête haute et triomphante de ce conflit, qui ne tourne pas à son avantage sur le terrain, sachant que le temps est compté pour cette administration. Or, si la Russie accepte les conditions des élites globalistes, peu importe que ce soit sous étiquette trumpiste ou autre, elle renoncera à ses propres intérêts. Et, comme l’a rappelé le ministère russe des Affaires étrangères, en l’état les propositions américaines n’intéressent pas la Russie, car elles ne permettent pas de résoudre le conflit à sa source.

Donc, accepter reviendrait pour la Russie à reconnaître et à défendre l’intérêt des élites mondialistes au détriment de son propre intérêt. Est-ce l’intérêt de la Russie de permettre aux États-Unis de sortir vainqueur du conflit ? Ce serait absurde. Il reste à faire le pas suivant : quand une voie conduit à une impasse, il faut en sortir.

Nous sommes arrivés à la limite de ce processus de négociation, cette voie est épuisée. Les États-Unis n’envisagent des négociations que «entre les parties au conflit», ce qui pour eux revient à l’Ukraine et à la Russie. Comme Kellog l’affirmait : «La Russie et l'Ukraine doivent parvenir à un accord car «aucune des deux parties n'obtiendra tout ce qu'elle veut». Or, les États-Unis négocient avec la Russie, pour la simple et bonne raison qu’ils sont la partie principale dans ce conflit. Et quelles concessions, eux, sont-ils prêts à faire ?

Rubio a apporté la réponse : manifestement aucune, puisque l’administration Trump suit la ligne dure imposée par les mondialistes. L’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN ? De toute manière, cela n’est pas nécessaire puisque les pays de l’OTAN ont conclu des accords bilatéraux permettant une «assistance militaire», afin de soutenir «leur» armée sur le front contre la Russie. Puisque les élites globalistes européennes et leur administration locale à Kiev refusent toute véritable concession territoriale, qui entraînerait un recul du Monde global et donc sa mise stratégique en danger, cette question est également réglée.

La Russie est en train d’acter la situation, lentement, pas à pas, mais le processus est en marche. Nous assistons, d’une part, à une redistribution de son action diplomatique, qui, d’autre part, ne remet pas en cause l’avancée de l’armée sur le terrain. Suivant en cela la ligne posée par l’empereur Alexandre III, affirmant que la Russie n’a que deux alliés, son armée et sa flotte. Reste à mettre le narratif en accord avec la ligne politique, afin que le discours politico-médiatique russe puisse remplir la fonction de dissuasion, qui est la sienne en temps de guerre.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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