Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

La paix en dilemme : Trump, Poutine et le choix de la souveraineté russe

La paix en dilemme : Trump, Poutine et le choix de la souveraineté russe
La rencontre Trump-Poutine aura lieu le 15 août en Alaska.
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À l'approche de la rencontre entre Trump et Poutine, l'histoire semble se répéter. Pour Karine Bechet-Golovko, la Russie se retrouve face au choix de 1945 ou de 1991: soit avoir le courage de reprendre sa place sur l’arène internationale, soit accepter les règles globalistes et lentement s'étouffer dans les recoins de l’Histoire.

La nouvelle est tombée : la rencontre Trump-Poutine aura lieu le 15 août... en Alaska. Comme celle-ci devait sonner l’aboutissement d’un long processus de négociations devant conduire à une « paix stratégique », nous sommes en droit de nous demander quelle « proposition intéressante » pour la Russie faite par les États-Unis pourrait réellement mettre fin à ce conflit.

Quel est l’intérêt même d’une rencontre Trump-Poutine aujourd’hui ?

La rencontre Trump-Poutine devait sonner le glas du conflit sur le front ukrainien. Non pas le geler, mais réellement pour ouvrir une nouvelle ère de paix, c’est-à-dire permettre l’établissement de nouvelles règles, plus équitables, sur lesquelles la communauté internationale pourrait justement redevenir « internationale » et cesser d’être globale.

Autrement dit, sans que l’une des parties au conflit, d’un côté les États-Unis à la tête des pays de l’Axe atlantiste et de l’autre la Russie, n’ait remporté de véritable victoire militaire conduisant à la disparition de l’ennemi, la Russie et les États-Unis se réunissent.

En soi, la chose est quelque peu surprenante, car en général l’organisation des rapports internationaux n’est modifiée que par les vainqueurs à la fin d’un conflit. Or, nous n’avons à ce jour pas de vainqueurs et le conflit n’est objectivement pas épuisé, ni sur le plan militaire, ni sur le plan politique.

Sur quoi peut porter le compromis entre les Globalistes et la Russie ?

Toute négociation porte en perspective un compromis. Ouchakov, le conseiller spécial du président Poutine, a déclaré que les États-Unis avaient fait une proposition que la Russie trouvait intéressante. Cette déclaration a provoqué une certaine tension en Russie, notamment dans certains milieux qui « suivent avec inquiétude l’évolution de la situation ».

Et la situation est effectivement inquiétante, car sur quoi peut porter le compromis ?

Contrairement à certaines déclarations, il ne s’agit pas de « développer la coopération russo-américaine dans le domaine de la protection de l’environnement, des infrastructures et de l’énergie dans l’Arctique et au-delà ».

Poutine ne se rend pas en Alaska pour passer un deal commercial. Il ne va pas défendre l’environnement, ni le développement durable.

Nous sommes confrontés ici à l’opposition de deux visions de la Russie au sein des élites aujourd’hui : d’un côté, une vision stratégique étatiste, devant faire de la Russie un pilier souverain sur la scène internationale ; d’un autre côté, une vision globaliste commerçante, où la Russie est une part de ce Monde global.

Or, le sommet Trump-Poutine, s’il n’est qu’une opération de com, est censé mettre fin à la guerre atlantiste contre la Russie conduite sur le front ukrainien. Cette guerre ne peut prendre fin réellement qu’avec la chute de l’ennemi – soit les élites globalistes, soit la Russie.

Dans ce contexte, il est difficile de concevoir quelles concessions réelles peuvent conduire à la fin du conflit, si nous écartons a priori la possibilité d’une capitulation pure et simple (quelle qu’en soit la forme) de la Russie.

Comme l'affirme Rubio : « Je pense que les éléments clés de toute fin de guerre seront territoriaux. Il faudra des concessions de la part des Russes et des Ukrainiens. »

Les nouveaux territoires sont entrés dans la Constitution russe et celle-ci pose comme une trahison d’État toute négociation des territoires russes.

Quelles concessions sont prêtes à faire les élites globalistes­ ?

Nous avons vu que les élites globalistes n'ont pas accepté la Crimée et ont manipulé les Accords de Minsk pour gagner du temps. Rien n'a changé, la logique reste la même, simplement l’ampleur du territoire est plus importante, les enjeux sont plus importants.

Et qu'en sera-t-il du reste du « Protectorat ukrainien », qui sera au minimum de facto sous contrôle globaliste? Quelle parodie électorale permettra aux globalistes de changer de figure en mettant grandement en scène le départ de Zelensky, sans remettre en cause le cours politique, puisque la Russie ne contrôle pas politiquement ce territoire ?

Comme le reconnaît Rubio, la question territoriale est essentielle. Et il a raison. La question du contrôle du territoire est essentielle.

Par ailleurs, de quelle « neutralité » du Protectorat ukrainien, sera-t-il question ? Celle du modèle suédois ou finlandais ? Comme nous l’avons vu, il est d'une efficacité redoutable – pour les atlantistes. Ces « engagements » politico-juridiques ne tiennent, que tant que les deux parties ont la force de maintenir l'équilibre politique, qui y a abouti. En « se négociant », la Russie se discrédite et elle n'aura à terme pas la force de faire respecter dans le temps ces engagements.

Surtout en négociant symboliquement en Alaska, territoire anciennement russe, qui a été vendu en 1867 aux Américains. C’est un parallèle, qui inquiète aussi. Et la symbolique ne doit pas être négligée en politique.

Quelle « paix » voulons-nous ? Quelle « paix » méritons-nous ?

La paix ne se négocie pas, elle se remporte, elle se conquiert. Seuls les vainqueurs offrent la « paix » aux vaincus, ils offrent « leur » paix. Quelle paix peut alors ressortir de ce sommet entre Trump et Poutine ?

Trump, c’est clair, défend la Pax Americana, la « paix globale » garantie par la domination américaine.

Mais quelle « paix », défendent les élites russes ? Là est bien toute la question, car l’alternative est en fait très simple : soit la Russie s’assume comme pays souverain et elle n’a pas de place dans le Monde global, elle le met en danger et elle devra bien commencer à réellement le combattre ; soit la Russie veut une globalisation régionalisée, qui lui laisse une petite place, mais il lui faudra bien alors enterrer son rêve de souveraineté et ses prétentions à un intérêt national, car cela est incompatible.

Les élites russes sont face au choix de 1945 ou de 1991 : soit se battre pour remporter la victoire et avoir le courage de rendre réellement sa place à la Russie sur la scène internationale ; soit accepter les règles globalistes, s’occuper de « coopération commerciale win-win » et lentement étouffer la Russie dans les recoins de l’histoire, pour qu’elle ne dérange pas, qu’elle ne prenne pas trop de place.

Espérons que, justement, le cours historique s’imposera face aux tentations tactiques, aussi illusoires que dangereuses.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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