L’ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne réitère ses menaces contre Nord Stream 2
Lors d'une conversation avec des journalistes allemands, Richard Grenell a répété ses menaces contre les entreprises européennes participant à la construction du gazoduc Nord Stream 2, qui doit relier l'Allemagne et la Russie.
Richard Grenell, l’ambassadeur des Etats-Unis en Allemagne, a une fois de plus proféré des menaces contre les entreprises européennes. Elles concernent celles qui participent à la construction du projet Nord Stream 2. Ce gazoduc doit relier la Russie à l’Allemagne en 2019, et doubler Nord Stream, entré en service au début de l’année 2012, qui suit à peu près le même tracé de près de 1 200 kilomètres au fond de la mer Baltique.
Cité le 7 janvier par le quotidien économique allemand Handelsblatt, Richard Grenell a ainsi déclaré que les entreprises qui travaillaient sur Nord Stream 2 étaient «toujours en danger, car les sanctions [étaient] toujours possibles». Sans donner de détails sur d’éventuels projets de sanctions additionnelles, l’ambassadeur américain a estimé que «les compagnies impliquées se retirer[aie]nt d’elles-mêmes, lorsque elles ser[aie]nt confrontées à la menace de sanctions».
Le 20 décembre dernier, il avait déjà publié, dans le Rheinische Post, une tribune de même teneur intitulée «L'Allemagne doit cesser de soutenir Nord Stream 2».
En principe, les grandes entreprises énergétiques européennes partenaires du russe Gazprom dans la construction du gazoduc ne sont pas concernées et les propos du diplomate visaient plutôt les contractants. En effet, les allemands Uniper et Wintersall, l’autrichien OMV, le français Engie et l’anglo-néerlandais Shell ont signé leur accord avec le géant gazier russe avant les sanctions américaines visant, entre autres, Nord Stream 2, adoptées par le Congrès des Etats-Unis en juillet 2018.
Selon le quotidien économique «des sources au sein du gouvernement allemand estiment que, si des sanctions extraterritoriales étaient appliquées, les Etats-Unis viseraient d’abord les petites entreprises spécialisées impliquées dans la construction de Nord Stream 2». Les menacer de sanctions pourrait retarder voire empêcher l’achèvement des travaux.
Parmi ces entreprises on trouve le groupe Allseas, dont le siège est en Suisse et les activités aux Pays-Bas, responsable de la pose de tronçons du gazoduc, ainsi que la société d'ingénierie italienne Saipem. Le jour même la banque d’affaire italienne Banca Akros a réagi aux propos de Richard Grenell en publiant une note optimiste dans laquelle elle affirme que Saipem n’a rien à craindre parce que sa part du travail sur le chantier Nord Stream 2 est presque achevée.
Vers une répétition des sanctions secondaires déjà utilisées dans le cas de l'Iran ?
Le quotidien économique allemand estime néanmoins que des sanctions secondaires pourraient être aussi efficaces pour stopper la construction de Nord Stream 2 que celles qui ont forcé les grandes entreprises européennes à quitter l’Iran après la sortie des Etats-Unis, en août 2018, de l’accord sur le programme nucléaire iranien.
Le terme «sanction secondaire» désigne des mesures visant non pas un pays ou des entités pour des actions qui leur seraient reprochées, mais des pays ou entités entretenant des relations avec un pays ou des entités directement visées. C’est d’ailleurs par une déclaration à propos de ces sanctions secondaires contre les entreprises travaillant en Iran que Richard Grenell, le plus haut fonctionnaire gay de l’administration Trump, avait choqué l’Allemagne dès son entrée en fonction.
As @realDonaldTrump said, US sanctions will target critical sectors of Iran’s economy. German companies doing business in Iran should wind down operations immediately.
— Richard Grenell (@RichardGrenell) 8 mai 2018
Le 7 mai, quelques heures à peine après avoir reçu à Berlin ses lettres de créances, il déclarait sur Twitter, sans soucis des convenances diplomatiques : «Les entreprises allemandes qui font des affaires en Iran devraient mettre un terme à leurs opérations immédiatement.» Le tweet avait choqué, provoqué des milliers de réponses outragées sur le réseau social, mais les entreprises allemandes sont parties, en dépit des tentatives européennes de résister à la pression américaine.
Dès le début les Etats-Unis se sont opposés au projet Nord Stream 2 qu’ils accusent de menacer la sécurité énergétique européenne. Mais depuis les déclarations fracassantes de Donald Trump lors du dernier sommet de l’OTAN, en juillet dernier sur une «Allemagne complètement contrôlée par la Russie», il est devenu clair que les Etats-Unis cherchent surtout à faire de la place à leurs excédents de gaz de schiste sur le marché européen, même s'il est 25% plus cher que le gaz russe et doit traverser l'océan sous une forme liquéfiée dans des tankers.
Des alliés des faucons de Washington au cœur de l'UE
Mais pour les faucons de Washington, Nord Stream 2 a aussi le défaut de nuire gravement à leur protégé européen, l’Ukraine. En effet, le nouveau gazoduc russe, en doublant les capacités de Nord Stream, permettrait de contourner définitivement l’Ukraine par laquelle passe encore une grande partie du gaz russe exporté en Europe.
D'autant qu'avec l'entrée en service prochaine de TurkStream la Russie double aussi ses livraisons de gaz à la Turquie et trouve une nouvelle voie d’approvisionnement de l'Europe du Sud et des Balkans.
«Good bye Europe» ? Choqué par la politique de #Trump, Der Spiegel appelle à la «résistance»
— RT France (@RTenfrancais) 12 mai 2018
➡️ https://t.co/vm01zU4vX7pic.twitter.com/okiuYMd2HL
Au sein même de l’Union européenne (UE), les Etats-Unis ont quelques alliés sur cette question, en particulier la Pologne. Egalement cité par le Handelsblatt, Jacek Czaputowicz, ministre polonais des Affaires étrangères, a déclaré le 3 janvier : «Nord Stream 2 est en train de tuer l'Ukraine». En guise d'explication il a jouté : «Si le transit du gaz russe via l'Ukraine prend fin, le pays ne perd pas seulement des revenus importants, il perd également la garantie de protection contre une nouvelle agression russe.»
Nord Stream 2 est en train de tuer l'Ukraine
Les déclarations de Richard Grenell sont-elles de simples gesticulations ? Le patronat allemand prend malgré tout l’homme très au sérieux. Tout d’abord parce que c’est un proche de Donald Trump dont on ne saurait sous-estimer l’influence. C’est aussi, malgré ses méthodes apparemment peu diplomatiques, un vieux routier des relations internationales. En 2001, il a été nommé par Georges W. Bush directeur de la communication de la représentation diplomatique des Etats-Unis auprès de l’ONU, poste qu’il a occupé jusqu'en 2008.
Mais surtout, Richard Grenell est particulièrement actif dans les négociations commerciales entre les Etats-Unis et l’Allemagne, avec un poids particulier exercé sur le stratégique secteur de l’industrie automobile d’outre-Rhin. Selon les informations du même Handelsblatt, l’ambassadeur des Etats-Unis aurait convoqué à Berlin les principaux patrons allemands du secteur à une réunion discrète en mai 2018, à laquelle se seraient rendus Dieter Zetsche, patron de Daimler (qui construit les Mercedes), Harald Krüger de BMW, Hubert Diess de Volkswagen et Elmar Degenhart de l’équipementier Continental, surtout connu pour ses pneus.
Les conditions d’accès des constructeurs américains et allemands aux marchés des deux pays étaient au cœur de cette réunion. Et Richard Grenell était porteur d’une proposition de Donald Trump pour étudier un accord commercial entre les deux pays qui serait une version allégée et limitée au secteur automobile du projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (connu sous les acronymes anglais de TAFTA ou TTIP).
En principe, le soutien de l’Allemagne à Nord Stream 2 ne faisait pas partie de cette ébauche de négociation. Mais Richard Grenell pourrait être tenté de s'en servir malgré tout pour influencer en Allemagne des industriels susceptibles de trouver leur intérêt à se désolidariser publiquement du projet Nord Stream 2.
Jean-François Guélain
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