Le maintien de la Légion d’honneur de Sarkozy fait polémique : la justice a été saisie

Condamné pour corruption, Nicolas Sarkozy conserve malgré tout sa Légion d’honneur. Face au refus d’Emmanuel Macron de lui retirer la décoration, des descendants de décorés ont saisi la justice administrative pour faire respecter le règlement.
Malgré une lourde condamnation pour corruption, Nicolas Sarkozy continue d’arborer la Légion d’honneur. Le 18 décembre 2024, l’ancien président a été reconnu coupable dans l’affaire des écoutes et condamné à trois ans de prison, dont un an ferme, pour corruption et trafic d’influence. Il s’agit de la première condamnation définitive d’un ancien chef de l’État français pour des faits aussi graves. Selon le Code de la Légion d’honneur, toute personne condamnée à une peine d’au moins un an de prison doit être exclue automatiquement de l’ordre. Pourtant, à ce jour, aucun décret de radiation n’a été publié au Journal officiel. Emmanuel Macron, pourtant grand maître de l’ordre, a affirmé le 24 avril qu’il n’envisageait pas de retirer la décoration à son prédécesseur. « Je pense que c’est très important que les anciens présidents soient respectés », a-t-il justifié en marge d’un déplacement officiel à Madagascar, ajoutant que l’exclusion « ne serait pas une bonne décision ».
Une action en justice portée par des familles de décorés
Cette position a provoqué une vive indignation dans certaines familles de décorés. Ce 6 mai, l’avocat Julien Bayou a déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris pour contester ce refus. Ancien député écologiste et petit-fils d’un officier de la Légion d’honneur, il représente une demi-douzaine de requérants, tous descendants de décorés. Dans leur requête de treize pages, révélée par Le Monde, ils demandent à la justice « d’enjoindre » l’ordre de la Légion d’honneur de constater « l'exclusion de droit » de Nicolas Sarkozy, conformément aux textes en vigueur. Pour eux, la décision présidentielle est une violation manifeste du règlement. Ils soulignent que « retirer la Légion d’honneur à Nicolas Sarkozy n’est pas manquer de respect à la fonction présidentielle, c’est la protéger ». Parmi les requérants, Éric Bazin, ancien journaliste et petit-fils de chevalier, évoque un sentiment de trahison. « Mon grand-père était un homme de droite, mais il aurait été tout aussi indigné que moi », dit-il.
Une autre requérante, scientifique récemment décorée, confie anonymement qu’elle a sérieusement envisagé de rendre sa médaille, choquée qu’« un président de la République se permette de passer par-dessus la loi ». Elle a cependant renoncé à se joindre officiellement au recours, par crainte de représailles dans son milieu professionnel. Quant à Agnès Bayou, petite-fille d’un ancien député décoré, elle juge que ce refus d’exclure Sarkozy est « une gifle pour tous les décorés », rapporte Libération.
Un désaccord entre institutions et une procédure floue
Depuis une réforme discrète intervenue en février 2025, la compétence pour constater une exclusion automatique revient au grand chancelier de la Légion d’honneur, le général François Lecointre. Celui-ci avait annoncé dès le 4 mars que la procédure disciplinaire était ouverte, précisant que dans le cas d’une condamnation comme celle de Nicolas Sarkozy, l’exclusion était normalement « de droit ». Or, selon Julien Bayou, Emmanuel Macron outrepasse désormais ses attributions en affirmant qu’il bloquerait le processus, alors que cette responsabilité n’est plus la sienne.
La confusion juridique est donc totale. Officiellement, seul le grand chancelier a qualité pour représenter l’ordre devant la justice, selon le règlement. Pendant ce temps, le débat divise profondément la classe politique française. À l’Assemblée nationale, Antoine Léaument (LFI) estime que Sarkozy doit être symboliquement déchu, au nom de l’exemplarité. D’autres, comme Maud Brégeon ou Olivier Marleix (LR), soutiennent qu’« il faut respecter les fonctions qu’il a eues ». Eric Ciotti, lui aussi, défend l’idée qu’un ancien président doit être protégé de ce type de procédure.
Dans un contexte où la défiance envers les institutions reste forte en France, cette affaire symbolise pour beaucoup le fossé entre l’élite politique et les citoyens ordinaires. La justice administrative est supposée trancher entre le respect des règles et la volonté présidentielle d’épargner un ancien chef d’État.