2018 : année calvaire pour Emmanuel Macron
Avec entre 20% (Ipsos) et 27% (BVA) d'opinions favorables, le président semble plus impopulaire que jamais en cette fin d'année. Peu surprenant : entre affaire Benalla et Gilets jaunes, 2018 aura été un long chemin de croix pour le chef de l'Etat.
Emmanuel Macron bat des records d'impopularité. Ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy à la même période, c'est-à-dire un an et demi après leur accès à la présidence (décembre 2013 pour l'un, décembre 2008 pour l'autre), n'avaient connu une cote aussi basse. Chacun de ces deux chefs d'Etat parvenaient effectivement à maintenir certaines estimations au-dessus de la barre des 30% d'opinions favorables.
Pour Emmanuel Macron, les instituts, qui ont d'ores et déjà dévoilé leur sondage de fin d'année, sont clairs : le président de la République est clairement en dessous de la barre des 30% d'opinions favorables pour décembre 2018. Ipsos pointe ainsi une popularité à seulement 20% quand BVA, le plus positif, chiffre une cote à 27%.
Il faut dire que toute l'année 2018 a été émaillée d'événements et de décisions politiques qui ont contribué à tendre le climat social et nuire à l'image de l'exécutif.
Cheminots et petits fonctionnaires, cibles du gouvernement
Après les ordonnances réformant le code du travail de septembre 2017, Emmanuel Macron a dû affronter de nouveaux mouvements sociaux dès le mois de mars 2018.
Ainsi, la réforme ferroviaire et celle de la fonction publique ont créé des remous, avec différents appels à la grève (notamment les cheminots de la SNCF) et à manifester. Parmi les deux points les plus conflictuels de ces deux réformes : l'ouverture à la concurrence (vue comme le début de la privatisation) de SNCF Mobilités (chargé de l'exploitation des trains), activité pourtant rentable du service public ; le plan de départs volontaires chez les fonctionnaires et le changement de leur statut pour permettre un recours plus massif aux agents contractualisés en CDD.
À place de la #Nation, le portrait de #Macron qui a fait toute la #manif22mai dans un chariot est désormais en feu #Parispic.twitter.com/Z0F4Ol7MNp
— Fabien Rives - #RTFrance (@FabienRivesRTFr) 22 mai 2018
Parfois aidés dans leurs mobilisations par certains syndicats représentatifs chez les fonctionnaires, les cheminots ont cumulé 29 jours de grève en deux mois et demi. La réforme du rail souhaitée par Emmanuel Macron a provoqué la grève la plus longue de ces 30 dernières années. Cela n'a pas empêché le pouvoir d'adopter la réforme par le Parlement, ni de changer de cap sur l'avenir du service public en France, via la vaste réforme bouleversant la fonction publique et intitulée «Action publique 2022», avec pour objectif de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires d'ici à 2022.
Or, selon plusieurs enquêtes, les fonctionnaires ont pour une bonne partie d'entre eux voté Emmanuel Macron dès le premier tour de la présidentielle de 2017. Nombre d'entre eux ont donc eu matière à déchanter de l'action présidentielle, tout comme les retraités.
Des retraités qui se sentent méprisés ?
Ces derniers se sont certainement sentis trahis par le début du quinquennat. Alors que 80% des retraités avaient voté pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, les annonces gouvernementales les concernant (hausse de la CSG tout particulièrement) ont provoqué leur colère dès l'hiver, certains rejoignant le mouvement des Gilets jaunes de fin d'année (voir plus bas). Des retraités qui ont vu l'un des députés macronistes du Doubs Eric Alauzet les décrire comme les membres d'«une génération dorée».
Les retraités sont-ils vexés ? Selon l'Ifop pour le JDD, si 67% des retraités approuvaient l'action d'Emmanuel Macron en mai 2017, ils n'étaient plus que 31% en septembre 2018. Le président assurait pourtant en avril dernier qu'il n'avait «jamais pris les retraités pour un portefeuille». Eux semblent en douter...
Eté calamiteux pour Emmanuel Macron
Face aux grondes sociales, l'été est souvent vu comme une éclaircie pour le pouvoir. Cette période, synonyme de vacances, permet généralement une trêve politique. Les beaux jours ne vont pourtant cette fois-ci pas du tout servir au gouvernement et à la présidence. Les esprits vont même s'échauffer y compris au sein de la majorité.
Le 18 juillet marque en effet le début d'un scandale politique : l'affaire Benalla. Le conseiller de l'Elysée Alexandre Benalla, a été filmé en train de violenter un manifestant lors du 1er mai, usurpant également des attributs de policier. Au fil des différentes révélations (comme la promotion d'Alexandre Benalla au grade de lieutenant-colonel ou encore le nettoyage express du domicile d'Alexandre Benalla avant perquisition), la communication au sein de la macronie déraille. La République en marche sera en outre accusée de torpiller la commission d'enquête. Parmi les images qui vont aussi écorner Emmanuel Macron : son attitude le 24 juillet devant les parlementaires de La République en marche, lorsqu'il explique assumer le recrutement d'Alexandre Benalla, demandant devant les caméras qu'on «vienne [le] chercher». Les anicroches s'enchaînent et semblent dépasser l'Elysée. Les différentes mises en examen d'Alexandre Benalla n'arrangent rien. L'histoire n'aura donné que l'impression d'une déconnexion entre le pouvoir et la France d'en bas qui saisit de plus en plus que le «nouveau monde» apparaît finalement bien semblable à l'ancien. Ce monde nouveau semble perpétuer le cénacle de personnes gravitant autour du pouvoir, protégé, promu voire aidé politiquement.
L'affaire Benalla a ainsi des répercussions. Clairement, après cet épisode, tous les instituts de sondages confirment un écroulement de la cote de popularité d'Emmanuel Macron.
Après l'affaire Benalla, Gérard Collomb plombe la fin de l'été et le début de l'automne
Numéro deux du gouvernement, Gérard Collomb ne se sent plus à l'aise au sein de l'exécutif et le dit clairement dans des interviews en septembre. Entre le coup de force du Premier ministre Edouard Philippe imposant les 80km/h sur les routes secondaires ou le manque «d'humilité» du pouvoir, le ministre de l'Intérieur accuse et prépare son départ. Celui-ci est officialisé le 3 octobre 2018. Il laisse son poste à Beauvau et retrouve sa ville de Lyon, afin de préparer les municipales de 2020.
La liste que je mènerai en 2020 sera plurielle et ouverte. Elle comprendra bien évidemment des marcheurs mais aussi des militants du Modem dans un rassemblement vaste qui ira de personnalités de gauche à des personnalités de centre droit
— Gérard Collomb (@gerardcollomb) 5 octobre 2018
Un coup dur pour Emmanuel Macron. En effet, si la démission de Nicolas Hulot du ministère de la Transition écologique le 28 août avait déjà été un coup de tonnerre, l'ancien animateur de télévision critiquant à cette occasion des «lobbies dans les cercles du pouvoir», le départ de Gérard Collomb est un cataclysme : l'édile lyonnais avait été l'un des tous premiers à soutenir la candidature d'Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle de 2017. Avec ce nouveau départ, le président subit alors un camouflet qu'il digère mal. Preuve en est, il faudra près de deux semaines, le 16 octobre, pour que l'Etat nomme un nouveau ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.
Immense fierté de servir notre pays aux côtés des femmes et des hommes du Ministère de l’Intérieur.
— Christophe Castaner (@CCastaner) 16 octobre 2018
Ils sont l’honneur de la République.
Mon engagement @Place_Beauvau sera total. pic.twitter.com/mZbU5ZJI5h
Cette crise interne au sein de la majorité n'améliore pas la situation d'Emmanuel Macron qui voit encore et toujours sa popularité décliner. Le remaniement n'est, de fait, pas jugé convaincant pour des sondés qui estiment, fin octobre, que le chef de l'Etat est «arrogant» et «superficiel».
L'itinérance mémorielle, un chemin de croix pour le président
Les couacs se poursuivent. Le Centenaire de l'Armistice de la Première Guerre mondiale devait permettre de renouer le contact avec la population. Emmanuel Macron entreprenait une tournée dans plusieurs régions françaises dès le 4 novembre. Sauf que les bains de foule tournent régulièrement au vinaigre, des Français reprochant au chef de l'Etat de faire des cadeaux aux plus riches au détriment des catégories populaires.
Des épisodes viennent altérer l'image «progressiste» du président. Le plus surprenant est certainement cet échange avec un ancien combattant qui propose à Emmanuel Macron de mettre «les sans-papiers hors de chez nous». Comme réponse, Emmanuel Macron tente de manier le «en même temps», tout en accompagnant avec subtilité le propos du militaire.
Hier après-midi à Verdun, Emmanuel Macron a salué des anciens combattants. Sauf qu’il y avait des micros partout…
— Quotidien (@Qofficiel) 7 novembre 2018
Vous avez les oreilles qui saignent ? C’est normal.#Quotidienpic.twitter.com/h2jkNNmX4R
Et puis il y a cette polémique sur l'hommage à rendre ou non au maréchal Pétain pour le Centenaire de l'Armistice. Le président déclare ainsi le 7 novembre : «Le maréchal Pétain a été pendant la Première Guerre mondiale aussi un grand soldat. [...] On peut avoir été un grand soldat la Première Guerre mondiale et avoir conduit à des choix funestes durant la Deuxième [...] C'est aussi la victoire d'une Armée française et de ses maréchaux. Donc il est normal de les célébrer et de permettre à l'armée française de le faire.» Tous les maréchaux doivent-il donc être célébrés pour leur victoire sur l'Allemagne en 1918 ? Le gouvernement a rapidement compris que la déclaration d'Emmanuel Macron allait alimenter une (nouvelle) controverse. Le gouvernement monte alors au créneau par l'intermédiaire, entre autres, de son porte-parole Benjamin Griveaux. Rapidement, il se fend d'un long communiqué pour désamorcer les escarmouches, rappelant qu'«aucun hommage ne sera[it] rendu» au maréchal Pétain.
Néanmoins, cette justification est vue comme un rétropédalage par certains politiques et commentateurs.
Après la commémoration du 11 novembre – à laquelle Emmanuel Macron avait invité chefs d'Etat et de gouvernement étrangers – rien ne pouvait laisser présager que l'exécutif allait de nouveau jeter de l'huile sur le feu, pour une fin d'année explosive. L'étincelle qui provoqua un début d'embrasement en France fut l'annonce au mois de septembre d'une nouvelle hausse des taxes sur les carburants pour janvier 2019. Des groupes de Gilets jaunes, vêtements devenus l'emblème de la révolte contre cette augmentation, se constituent peu à peu et lancent un appel à une première mobilisation le 17 novembre.
Les Gilets jaunes, dernier cauchemar de 2018 pour Emmanuel Macron
Ne voyant probablement pas la colère monter au sein de la population française – qui trouve dans l'augmentation de l'essence le symbole d'une attaque contre le pouvoir d'achat des plus faibles – le gouvernement reste inflexible. Le 14 novembre, Edouard Philippe réaffirme ainsi la trajectoire gouvernementale. Le son de cloche est identique chez le ministre de la Transition écologique François de Rugy après les nombreuses mobilisations du 17 novembre. Les rond-points deviennent alors le lieu de rassemblements en province, y compris les jours de semaine. Les samedis suivants, eux, se transforment en jours de rassemblement national, en particulier devant des lieux représentatifs : Arc de Triomphe, préfectures, mairies, centres des impôts, etc.
#Giletsjaunes : «Ce mouvement a réussi à se mobiliser de façon impressionnante»#ActeVI#politique@nicolasputsch#RTFrance en direct :
— RT France (@RTenfrancais) 22 décembre 2018
📺 https://t.co/1rBUkB2Ax4pic.twitter.com/fjfEn8wpoL
Les Gilets jaunes sont soutenus par la population. Près de 80% des Français au 23 novembre étaient favorables au mouvement. Après les nombreux pillages et dégradations commis par des casseurs, début décembre, les Français sont toujours plus de 70% (72% selon Elabe) à approuver les mobilisations des Gilets jaunes. Chose rare, contrairement aux mobilisations des cheminots ou des fonctionnaires, le gouvernement est obligé de lâcher du lest en validant quelques mesures pour le pouvoir d'achat. Emmanuel Macron se contraint d'ailleurs le 10 décembre à une allocution au ton des plus solennels afin d'apaiser la colère des Gilets jaunes.
La colère qui s'exprime aujourd'hui est juste à bien des égards. Elle peut être notre chance. pic.twitter.com/cWIjaZ564C
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 10 décembre 2018
Malgré tout, la parole jupitérienne est loin d'être satisfaisante pour certaines populations mécontentes. Si l'annulation de la hausse de taxes sur les carburants est entérinée, une partie des manifestants ne voit effectivement aucune des décisions se concrétiser pour leur porte-monnaie : une prime exceptionnelle de fin d'année au bon vouloir de l'entreprise, augmentation du SMIC par la prime d'activité (dépendant du revenu fiscal du foyer). Et que dire des classes moyennes légèrement au-dessus du SMIC... semble-t-il oubliées de la loi Gilets jaunes.
Nul doute, les enjeux sociaux nationaux devraient occuper une place de choix dans la campagne pour les élections européennes du 26 mai 2019. Emmanuel Macron n'aura que cinq petits mois pour renverser la tendance. Un défi assurément jupitérien...
Bastien Gouly
Lire aussi : Le mouvement des Gilets jaunes s'exporte aussi au Portugal