Suicides chez les policiers : les annonces de Castaner vont-elles suffire ?
Le ministre de l'Intérieur annonce la création d'une cellule destinée à lutter contre le suicide au sein des forces de sécurité intérieure. Cependant, son ouverture tardive fait grincer des dents chez les associations qui estiment qu'il y a urgence.
Après que 28 policiers ont mis fin à leurs jours depuis le début de l'année 2019 et que plusieurs associations ont alerté sur ce phénomène inquiétant, tristement invoqué par des manifestants scandant «Suicidez-vous ! Suicidez-vous !» lors d'une mobilisation des Gilets jaunes, les syndicats de police ont saisi l'ampleur du problème et Christophe Castaner a lui-même été contraint de réagir.
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir été sollicité par des collectifs et des associations de policiers qu'il n'a jamais accepté de recevoir, selon eux, et qui avaient appelé à défiler dans Paris pour dénoncer le silence politique entourant les suicides dans les forces de sécurité le 12 mars.
28 policiers ont mis fin à leur jour depuis janvier.
— Christophe Castaner (@CCastaner) 29 avril 2019
Face à ces drames, nous devons briser la peur et le silence.
J'ai installé ce matin la cellule alerte prévention suicide de la @PoliceNationale qui coordonnera la mise en oeuvre du plan de mobilisation annoncé le 12 avril. pic.twitter.com/oDAYzyuECP
Ainsi le ministre de l'Intérieur a-t-il exhumé le plan anti-suicide concocté par les équipes de son prédécesseur, Gérard Collomb, au printemps 2018. En présence des journalistes autorisés à assister à cet événement, Christophe Castaner a inauguré ce 29 avril la cellule alerte prévention suicide (Caps) dont il avait annoncé la création le 12 avril. La Caps ne sera effectivement mise en place qu'à la fin du mois de juin, selon les dires du ministre d'Etat, et aura son siège dans le 12e arrondissement de Paris. Un numéro de téléphone est également mis en place pour recevoir les appels des policiers en détresse 24 heures sur 24. Le dispositif sera placé sous la direction d'une inspectrice générale de l'administration qui sera épaulée par un médecin-psychiatre officier de police.
Ce plan d'action est censé apporter les outils nécessaires pour les équipes confrontées à cette crise profonde. Christophe Castaner évoque «du management et de la formation» et précise : «C'est une étape d'un combat qu'il faut mener au quotidien dans le rural avec les gendarmes, dans l'urbain avec la police.»
Trop peu, trop tard ? Le Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France se désole de n'avoir jamais été reçu à Beauvau malgré ses sollicitations depuis le début de l'année 2017 au sujet des suicides dans la police, mais avance une explication : «Castaner ne veut pas se griller en nous donnant la parole, il a peur que ce soit mal vu par les syndicats.» Mais surtout, les policiers de terrain déplorent un tempo qui ne leur semble pas approprié : «Ils lancent leur dispositif à la fin du mois de juin, juste avant les vacances d'été... Pourquoi cela prend-il autant de temps ? Ils récupèrent un vieux plan qui moisissait dans un tiroir faute d'avoir été mis en place parce qu'ils sont obligés de réagir à cause des chiffres et des polémiques, mais ça a l'air un peu léger cette cellule. Pourtant, quand il s'agit de réagir contre les manifestations, là ça va vite. Pourtant il y a urgence !»
Le policier de terrain de ce collectif autonome sans mandat syndical ni politique déplore également la méthode : «On nous met une technocrate pour diriger cette cellule, c'est un mauvais signal selon nous. Ce qu'il faudrait, c'est un changement radical de philosophie dans notre métier. Mais de toute façon, notre propre ministère ne veut même pas nous rencontrer. Les parlementaires eux nous reçoivent, notamment en commission. Chez les Insoumis, Les Républicains, au Rassemblement national, chez Debout la France, on nous entend. Je me souviens encore du sénateur [Les Républicains] François Grosdidier, presque ému aux larmes, qui écoutait en commission sénatoriale les témoignages de nos collègues passés tout près du suicide. Mais à Beauvau, depuis plus de deux ans, il n'y a personne qui nous répond, personne !»
Au-delà du point final du suicide, le Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France (CAP-IDF) veut aussi lutter contre la spirale qui pousse les fonctionnaires au pire : «On ne compte plus les collègues qui partent totalement en vrille. Elle est où la courbe des arrêts maladie ? Personne ne communique là-dessus, surtout pas les syndicats parce qu'il y a une grosse hypocrisie autour de tout cela.»
Elle est où la courbe des arrêts maladie ? Personne ne communique là-dessus
Le policier contacté par RT France s'inquiète également de l'avenir de ces gardiens de la paix en situation de détresse : «Ils vont aller où les collègues qui vont mal ? Pourquoi n'y a-t-il pas plus de structures pour eux ? Quand vous allez mal et que vous travaillez à Marseille, on vous envoie dans la seule structure existante qui se trouve en Touraine... c'est absurde.» Et de pointer un autre chiffre étonnant : «Pour 30 000 policiers en Ile-de-France, il y a seulement neuf psychologues, c'est très peu, alors qu'on sait que c'est une profession à risque ! C'est sûr que les nombreux rappels depuis le mois de novembre pour le maintien de l'ordre, ça nous a tous fatigués, mais les Gilets jaunes ne sont pas du tout l'origine du mal, ça remonte à bien plus longtemps.»
Le Collectif a décidé d'écrire une lettre ouverte à Christophe Castaner pour dénoncer les pressions hiérarchiques ressenties par leurs collègues à Paris, mais également en province, et veut aussi casser la spirale du harcèlement devenue, à l'en croire, de plus en plus courante : «On reçoit plein de message sur Facebook qui font état de tensions dans les commissariats et ce n'est pas juste un collègue contre un patron, mais souvent, c'est toute une équipe qui dénonce les agissements de patrons harceleurs. Ces gens-là, il faut les virer, ce n'est plus possible, ils parlent n'importe comment et se croient tout permis. Il y a toute une refonte hiérarchique à faire et les syndicats professionnels qui autrefois aidaient dans ces situations-là, aujourd'hui, ils étouffent les affaires. Alors il faut agir. Il faut casser les harceleurs.»
Antoine Boitel