Un prix Nobel, des députés et ex-ministres de toutes tendances défendent le patrimoine nucléaire
Un comité composé de scientifiques, d'élus et d'anciens ministres de droite et de gauche s'unissent pour dénoncer la logique antinucléaire de la France. Parmi eux : Arnaud Montebourg, Julien Aubert, Jean-Pierre Chevènement ou Bernard Accoyer.
La fronde contre la politique écologiste menée par la France et le gouvernement d'Emmanuel Macron prend une forme imposante à la veille des fêtes de Noël. Dans un document que RT France a pu consulter, elle est menée par des anciens ministres de gauche (Hubert Védrine, Jean-Pierre Chevènement ou Arnaud Montebourg), de droite (Gérard Longuet, Hervé Mariton), des députés comme les communistes (PCF) André Chassaigne, Sébastien Jumel, le gaulliste Julien Aubert (LR) et des sommités scientifiques de renom tels le prix Nobel de physique Claude Cohen-Tannoudji ou le membre de l'Académie des sciences Yves Bréchet.
Des économistes et des industriels sont aussi parties prenantes de l'initiative, à l'instar de l'ex-dirigeant d'Airbus et de la SNCF, Louis Gallois. Ils s'associent ainsi dans une toute nouvelle organisation, baptisée «Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat» (PNC France). Celle-ci est par ailleurs présidée par l'ancien président de l'Assemblée nationale et député Les Républicains, Bernard Accoyer. Ces 45 personnalités (au 23 décembre) accusent vertement les orientations de la France au nom de l'écologie, au détriment de l'industrie du nucléaire.
Cette orientation est d’autant plus paradoxale que la France, grâce au nucléaire, est le seul grand pays dont la production d’électricité est déjà décarbonée
Dans un un courrier, que nous avons également obtenu – adressé aux membres et futurs adhérents – Bernard Accoyer fustige de fait des pouvoirs publics qui «cèdent à une idéologie antinucléaire d’un autre âge, relayée par de puissants lobbies».
«Sans le dire clairement, [les pouvoirs publics] orientent la France vers un affaiblissement dangereux de la filière, voire une sortie du nucléaire», ajoute-t-il. «Cette orientation est d’autant plus paradoxale que la France, grâce au nucléaire, est le seul grand pays dont la production d’électricité est déjà décarbonée», poursuit Bernard Accoyer.
Dans cette lettre, il pointe ainsi du doigt les «décisions irrationnelles» qui seraient «d’une portée considérable» :
- «Dégradation du bilan carbone de la France, par la réduction de la production pilotable d’électricité décarbonée.»
- «Coût énorme : financier, industriel, social (prix pour les consommateurs), environnemental…»
- «Crises économique et sociale dans les territoires impactés.»
- «Risque de délestages dès cet hiver, voire de black-out catastrophique.»
Alors que «l’énergie nucléaire est mondialement reconnue comme étant incontournable pour contenir les émissions de gaz à effet de serre», il alerte sur le fait que «le patrimoine nucléaire français est en grand danger».
D'autre part, ces influents politiques, scientifiques, économistes et industriels ont soutenu un texte commun – que RT France a aussi consulté – dans lequel ils critiquent la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Pour eux, ce site procurait en effet «un revenu annuel de 500 millions d’euros». Ils s'inquiètent en outre du remplacement de cette production électrique décarbonée par une électricité «importée d’Allemagne, essentiellement produite par des centrales au charbon». Ils calculent ainsi que «l’arrêt de la centrale de Fessenheim se traduira par l’émission de 13 millions de tonnes de CO2 [gaz à effet de serre] supplémentaires chaque année».
S'attaquer au nucléaire, un non-sens écologique ?
Alors que l’arrêt de 12 autres réacteurs est prévu d’ici 2035, ils prévoient que «toute fermeture de réacteur et son remplacement par une énergie renouvelable intermittente [comme les éoliennes ou panneaux photovoltaïques], ne peut qu’aggraver nos émissions de gaz à effet de serre». «En fermant Fessenheim avant, le raccordement de l’EPR de Flamanville, comme cela était prévu, ce recul environnemental était inévitable», déplorent-ils.
«Alors que la sécurité de nos installations est contrôlée par l’agence nationale la plus exigeante au monde [l'ASN] et que le stockage des déchets est, malgré des polémiques politiques, résolu, nous pensons que défendre ce patrimoine [nucléaire] exceptionnel est, à la fois, urgent et nécessaire aux plans économique et climatique», assument-ils. Ils s'interrogent de fait : «Pourquoi faudrait-il que la France abandonne cet avantage à la fois compétitif au plan économique et indispensable pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ? Pourquoi faudrait-il que la France, riche de ce capital économique, industriel, scientifique et culturel, abandonne ce patrimoine ? Qui voudrait, sciemment, désarmer et affaiblir ainsi notre pays ?»
En ce sens, ils regrettent le choix de l'Etat d'avoir stoppé la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides, avec la fin du programme Astrid en 2019. Ils rappellent que cette technologie – explorée pendant ce temps par la Chine, la Russie, l’Inde et le Japon – permet pourtant de résoudre la «question du combustible et celle des déchets, ceux-ci étant recyclés et transformés en... combustible». Le combustible, l'uranium 238, utilisé dans le projet Astrid, se trouve d'ailleurs en abondance sur le sol français. Ils qualifient donc de «mortifère» pour la France l'arrêt de ce programme.
Au regard de ses avantages environnementaux, on comprend mal pourquoi le parti écologiste français maintient son hostilité au nucléaire
S'appuyant également sur des données de 2017 publiés dans Forbes, à partir d'une étude européenne, ils démontrent que le nucléaire serait la moins mortelle des énergies avec 90 décès pour 1 000 TWh produits (liés principalement aux tragédies de Tchernobyl et Fukushima). A cause notamment des chutes liés aux techniciens travaillant sur les éoliennes, celles-ci seraient même davantage dangereuses avec un ratio de 150 décès pour 1 000 TWh. A cause de la pollution engendrée, l'énergie la moins vertueuse au niveau santé est sans surprise le charbon avec 170 000 morts pour 1 000 TWh produits.
Constatant aussi «l'état actuel des technologies "renouvelables" et des moyens de stockage qu’elles imposent», les orientations gouvernementales exposent, selon eux, «la France à de vastes coupures d’électricité et à de graves déconvenues environnementales et financières».
Les signataires s'élèvent en conséquence contre les écologistes français : «Le parti écologiste a toujours ignoré ces résultats.»
«Au regard de ses avantages environnementaux, on comprend mal pourquoi le parti écologiste français maintient son hostilité au nucléaire», écrivent-ils.
D'aucuns verront dans ce comité une sorte de lobby pro-nucléaire pour peser face aux injonctions des écologistes, mais le collectif – qui se décrit lui même comme «de sensibilités et horizons très divers», assure qu'il, «vise uniquement l’intérêt général».
Une plateforme internet, «avec des pages régionales», va prochainement être lancée pour sensibiliser les Français sur le défi énergétique. Le tournant écologique sera-t-il nucléaire ?
Bastien Gouly