Six ans de guerre civile en Syrie et une diplomatie française en zigzags

Six ans de guerre civile en Syrie et une diplomatie française en zigzags
En six ans de guerre, la diplomatie française a connu plusieurs revirements
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Alors que le 15 mars marque le triste sixième anniversaire du conflit qui ravage la Syrie, RT France revient sur l’évolution de la diplomatie française des premières manifestations en Syrie en 2011 à l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.

Retour en 2011. Quelques semaines après les révolutions tunisienne et égyptienne, des manifestations commencent à naître en Syrie. Le coup d'envoi est donné le 15 mars quand quelques dizaines d'individus battent le pavé à travers plusieurs villes du pays. S'en suivront plusieurs autres mobilisations. Très vite, on assiste à une militarisation de l'opposition à Bachar el-Assad. Selon la version de cette dernière ainsi que de la majorité des chancelleries occidentales, les autorités syriennes ont fait feu sur des civils. Pour Damas, l'insurrection est pilotée de l'étranger et ses adversaires sont composés majoritairement d'extrémistes. C'est le début d'une terrible guerre civile entre pro et anti-gouvernement.

Du côté du Quai d’Orsay, les premiers jours de contestation contre le chef de l’Etat syrien sont propices au tâtonnement. Malgré les condamnations en cascade de divers ONG et gouvernements, Etats-Unis en tête, qui accusent Bachar el-Assad de «massacrer» son peuple, la France se montre hésitante. Il faut dire que Paris et Damas entretiennent des liens privilégiés de longue date. Après tout, la Syrie était sous mandat français jusqu’en 1947. Le 14 juillet 2008, moins de trois ans avant le début du conflit syrien, les troupes de l'Armée arabe syrienne défilent sur les Champs-Elysées sous le regard d’un Bachar el-Assad invité officiel de Nicolas Sarkozy.

Hésitations diplomatiques

Le 27 avril 2011, Lamia Chakkour, ambassadrice de Syrie en France, est convoquée au ministère des Affaires étrangères pour se voir signifier la condamnation de Paris. Le 29 avril, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU tient une session spéciale et à l’époque, la France n’appelle pas encore clairement au départ du chef du gouvernement syrien.

Caroline Donati, auteure de L'Exception syrienne, expliquait au quotidien Le Monde en 2011 la chose suivante : «Les raisons invoquées par les diplomates occidentaux pour expliquer cette grande réserve de critiques contre Bachar el-Assad sont l'absence d'opposition.» Justement, dans les mois qui suivent, la rébellion dite «modérée» se structure. Le 29 juillet 2011, l'Armée syrienne libre voit le jour. Constituée majoritairement de civils et de déserteurs des forces gouvernementales, elle est censée se trouver à la pointe du combat contre les troupes de Bachar el-Assad. Difficile de connaître le nombre exact de ses soldats. Les chiffres varient de quelques milliers à 50 000 combattants. Le volet politique suivra en septembre de la même année.

Depuis la Turquie, le Conseil national syrien se met en place. Il inclut des libéraux, des nationalistes, des Kurdes, des Assyriens et des islamistes. Plusieurs pays occidentaux ne tarderont pas à le reconnaître comme interlocuteur légitime. C'est le cas de la France en novembre et des Etats-Unis un mois plus tard.

Le choix des «rebelles»

A partir de ce moment, Paris choisira le camp de «l’opposition modérée». Peu importe si, dès 2012, un rapport des services secrets américains tire la sonnette d’alarme. Selon le document rendu public en septembre dernier, l’insurrection syrienne est principalement menée par des forces extrémistes. L’Agence du renseignement et de la défense (DIA) dresse un bilan effroyable décrivant une situation prenant clairement un tournant sectaire. Selon elle, des salafistes, les Frères musulmans et Al-Qaïda sont en pointe de la lutte contre le gouvernement. Elle affirme aussi qu’Al-Qaïda en Irak (ancêtre de Daesh) soutient la rébellion depuis le début. Peu importe si la véritable force de cette Armée syrienne libre a été maintes fois remise en cause comme par Frédéric Pichon, spécialiste de la Syrie et chercheur à l’université de Tours, qui expliquait dans les colonnes de La Croix en 2013 : «Il y a longtemps que les djihadistes ont pris le pouvoir dans l’opposition syrienne armée. On fait semblant de découvrir que l’Armée syrienne libre est faible, qu’elle n’existe pas. En fait, l’ASL a été une franchise commode. Elle était composée des mêmes combattants qui aujourd’hui sont dans le front islamique, financés par les Saoudiens, ou des combattants du Front al -Nosra ou des groupes affiliés à Al-Qaïda. Il y a toujours eu une grande porosité entre ces groupes de combattants.» La France a misé sur son cheval de bataille. Quitte à déclencher de vives polémiques.

Dans un article du Monde daté du 13 décembre 2012, on apprenait que Laurent Fabius, chef de la diplomatie française à l’époque, considérait qu’un groupe terroriste faisait du «bon boulot» sur le terrain en Syrie. Extrait : «En revanche, la décision des Etats-Unis de placer Jabhat Al-Nosra, un groupe djihadiste combattant aux côtés des rebelles, sur leur liste des organisations terroristes, a été vivement critiquée par des soutiens de l’opposition. Laurent Fabius a ainsi estimé que "tous les Arabes étaient vent debout" contre la position américaine, "parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot". "C’était très net, et le président de la Coalition était aussi sur cette ligne", a ajouté le ministre.»

Autre controverse entraînée par les choix diplomatiques français : la fourniture d’armes à l’opposition syrienne. Dans le livre Dans les coulisses de la diplomatie française, de Sarkozy à Hollande du journaliste Xavier Panon, on apprend que le président français a donné l’autorisation de fournir des armes à l’opposition syrienne dès la fin 2012 ; malgré l’embargo de l’Union européenne. Alain Juillet, ancien directeur des renseignements extérieurs n’a pas hésité à parler de «faillite des services de renseignement». «A l’époque, on entendait "on soutient les Syriens libres". Mais quand on regarde sur le terrain ce que c’est que les Syriens libres, c’est rien du tout !», s’exclamait-il sur France Inter le 20 novembre 2015.

Quand Barack Obama faisait faux bond à François Hollande

Le zèle de la France concernant le conflit syrien a trouvé son paroxysme en 2013 quand le locataire de l'Elysée a sérieusement envisagé une intervention militaire directe. En août 2016, les extraits publiés par Le Monde du livre Un président ne devrait pas dire ça des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme confirment que le président français a mal vécu la volte-face de Barack Obama.

Le 30 août 2013, il est 18h05 dans le bureau de l’Elysée. Le président de la République en profite pour relire une note d'un de ses généraux : «Vous pourrez dire au président Obama que vos moyens militaires sont prêts à agir dès à présent.» L'armée française attend le feu vert de Washington pour intervenir en Syrie. A l’époque, les Etats-Unis cherchent un prétexte pour s'engager militairement. Quelques jours auparavant, le 21 août, l’armée régulière et l’opposition syriennes étaient engagées dans de vifs combats pour le contrôle de la banlieue de Damas. A la Goutha, une attaque à l’arme chimique a fait des centaines de victimes.

Pour l’opposition et les gouvernements occidentaux, le coupable est vite trouvé. Le président syrien vient de gazer son peuple. Très vite, de nombreux médias suivent et n’hésitent pas à relayer les accusations des chancelleries occidentales. Un collège d’experts de l’ONU se montre formel : les munitions ont été tirées depuis les positions du gouvernement. Bachar el-Assad a toujours nié.

Au fur et à mesure, de plus en plus d’éléments sont venus contredire cette version. Richard Lloyd, ancien inspecteur de l’ONU et spécialiste des missiles, se met à travailler avec Theodore Postol, un professeur du MIT et sort un rapport de 23 pages. Basé sur des expertises balistiques, l’inspection de centaines de photos et des analyses physiques, leur travail s’oppose aux précédents comptes-rendus pointant la responsabilité de Bachar el-Assad.

Peu importe, pour Washington comme pour Paris et Londres, le casus belli est tout trouvé. Pourtant, côté français, même Bernard Squarcini, ancien chef du renseignement intérieur, émet de sérieux doutes quant au rapport accusateur présenté par l'ex-Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Il le qualifie de «note de notes, pas conclusive et certainement pas suffisante». Reste que François Hollande n’attend que le feu vert américain pour passer à l’acte... mais patatras ! Un calendrier diplomatique complexe et une opinion publique réticente depuis la guerre en Irak poussent Barack Obama à faire marche arrière.

L’impossibilité d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, vétos russe et chinois obligent, ainsi que la décision de l’ancien chef du gouvernement britannique David Cameron de faire appel à la Chambre des communes vont faire capoter le projet. «Cameron vient de consulter la Chambre des communes, donc pour moi, je préfère avoir le vote du Congrès», lance alors Barack Obama à son homologue français. Vu l’hostilité de l’institution américaine à une intervention directe, cette déclaration signe la fin des velléités guerrières de François Hollande. L'armée française a été mobilisée... pour rien.

Les premières frappes… et les attentats

Impacté par ce revers, François Hollande ne fera pas évoluer la position française de manière majeure au cours des mois suivants. Il faudra attendre le 19 septembre 2014 pour voir l’Hexagone démarrer sa campagne de frappes en Irak dans le cadre de la coalition internationale dirigée par Washington. Un an après, en septembre 2015, les chasseurs français commencent à bombarder le territoire syrien. En octobre 2016, le ministère de la Défense annone que l’aviation tricolore (Air et Marine) a procédé à 857 frappes aériennes depuis le début des opérations, soit 1,1 frappe chaque jour.

Auteur: Ministère de la Défense

Mais ce sont bien les attentats ayant frappé l’Hexagone en 2015 qui vont provoquer la première véritable inflexion diplomatique française depuis le début du conflit syrien.

Au lendemain des terribles attaques du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis qui ont enlevé la vie à 130 personnes, cette phrase se mue en nouveau mantra diplomatique : «La France est en guerre.» Le président le répète devant le Congrès réuni exceptionnellement à Versailles le 16 novembre. La France «parle avec tout le monde» et doit gagner la guerre contre Daesh à l’aide d’une «coordination internationale». On sent souffler un vent de renouveau. Dans l’entourage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, on n'hésite pas à qualifier les attentats de «tournant» dans l’engagement français en Syrie.

Moscou, engagé depuis plusieurs semaines en Syrie sur demande officielle de Bachar el-Assad, se montre enthousiaste à l’idée de coopérer avec l’armée française dans un dessein commun : l’élimination de Daesh. Après s’être entretenu avec son homologue François Hollande, le président russe Vladimir Poutine évoque la nécessité d’un «plan d’action conjoint avec la France», dont les forces, insiste-t-il, doivent être traitées «comme des alliées». Paris annonce de son côté le déploiement de son porte-avion, le Charles-de-Gaulle, au large de la Syrie.

A la suite d’une visite à la Maison-Blanche, François Hollande aborde même la coordination de la lutte antiterroriste lors d’une rencontre avec Vladimir Poutine le 26 novembre 2015, qui sera marquée d’une image forte : les deux hommes se tutoient. Le dirigeant français rappelle la nécessité d’une «large coalition […] contre le terrorisme et contre Daesh», proposant : «Nous devons être à l’initiative.» Le chef d’Etat russe donne son approbation.

Retour à la case départ

Pourtant, à la veille de l’anniversaire des attentats de Paris en novembre 2016, bien de l’eau a coulé sous les ponts et la position de la France en Syrie semble revenue à ses premiers amours : alignement sur Washington, hostilité envers l’action de Moscou et position anti-Assad.

Le 6 octobre 2016, Jean-Marc Ayrault, de passage à Moscou, défend un projet de résolution proposé au Conseil de sécurité de l'ONU, réclamant l'«arrêt des bombardements» russes sur les «rebelles» de la ville syrienne d’Alep. La Russie, de son côté, souligne qu’elle ne cible que des groupes de djihadistes retranchés à l’est d'Alep, parmi lesquels un allié d’al-Qaïda, le Front Fatah al-Cham (anciennement Front al-Nosra), qui avait par ailleurs exprimé son approbation des attentats du 13 novembre 2015.

Sur les ondes de France Inter, le matin du 10 octobre, le successeur de Laurent Fabius déclare attendre du futur chef d'Etat américain qu'il fixe un nouveau cap pour la politique étrangère des Etats-Unis en Syrie, et place donc ses espoirs en Hillary Clinton. «Quelle sera la ligne qui sera défendue par la future, j'espère, présidente des Etats-Unis ? Je souhaite qu'elle soit claire», fait savoir Jean-Marc Ayrault, avant de donner une idée de la nouvelle ligne qu'il aimerait voir suivie par Washington : «En 2013 nous avions espéré avec François Hollande riposter à Bachar el-Assad qui avait utilisé les armes chimiques et au moment d'agir [...] ni les Britanniques ni les Américains n'étaient au rendez-vous.»

Quelques jours plus tard, l’ambiance franco-russe ne se réchauffe guère lorsque le président français provoque l’annulation de la venue de Vladimir Poutine, qui avait été convié par l’Elysée à Paris le 19 octobre, en déclarant au micro de l’émission Quotidien qu’il se «pose encore la question» de savoir s’il recevra, ou non, le dirigeant russe. Qui plus est, il indique au passage qu’il envisage de faire comparaître la Russie et la Syrie devant la Cour pénale internationale pour leurs actions à Alep. Le 19 octobre, l’ONG des Casques blancs a même été reçue à l’Elysée. En dépit de ses liens présumés avec des organisations terroristes.

Nouveau paradigme

Mais le 8 novembre, un événement qui a fait trembler la planète a forcé la diplomatie française à revoir sa stratégie. Contre toute attente, Hillary Clinton a été battue et Donald Trump a été élu 45e président des Etats-Unis. Ce dernier, qui a vivement critiqué la diplomatie occidentale vis-à-vis du conflit syrien durant la course à la Maison Blanche, n’est pas du tout sur la même longueur d’onde que le Quai d’Orsay, si l’on tient compte des décisions de ce dernier ces six dernières années.

Malgré des critiques, François Hollande s’est même dit prêt à travailler avec son nouvel homologue. Lors d’un entretien téléphonique réalisé le 11 novembre, qui a duré «environ 7-8 minutes» et s'est déroulé «dans de bonnes conditions», le locataire de l'Elysée et Donald Trump ont «évoqué les sujets communs sur lesquels ils ont convenu de travailler pour clarifier les positions : la lutte contre le terrorisme, l'Ukraine, la Syrie, l'Irak et l'accord de Paris [COP21].»

Mais c’est bien en mai prochain que l’on devrait connaître la direction empruntée par la diplomatie française au regard du dossier syrien. Si l’on s'attarde sur les trois favoris à l’élection suprême, Emmanuel Macron est le plus proche de la position de François Hollande sur le conflit syrien, mais la nouvelle configuration qu’entraîne l’élection de Donald Trump rendrait difficile un statu quo. François Fillon ne fait pas du départ de Bachar el-Assad une condition à la résolution de crise et est partisan d’un rapprochement avec la Russie. Quant à Marine Le Pen, elle érige la non-ingérence en pierre angulaire de sa politique étrangère. Vraisemblablement, on peut s’attendre à du changement.

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