Pourquoi Volodymyr Zelensky, comédien et humoriste, plaît aux électeurs ukrainiens
Qualifié pour le second tour de la présidentielle ukrainienne, Volodymyr Zelensky rappelle que son pays est aussi de culture russe, tout en tenant un discours patriotique ukrainien. Mais pourrait-il tenir une telle position au cas où il serait élu ?
Est-ce l'expression d'un souhait de renouvellement de la part des Ukrainiens ? Cinq ans après le coup d'Etat de l'Euromaïdan en février 2014, dans un scrutin où, pour la première fois, tous les candidats, sont dans les grandes lignes pro-Union européenne, Volodymyr Zelensky a tout d'un ovni politique.
Ce comédien et humoriste de 41 ans, qui doit sa notoriété à une série télévisée diffusée en Ukraine, Serviteur du peuple où il campe le président ukrainien, a obtenu plus de 30% des voix lors du premier tour de l'élection présidentielle du 31 mars. De quoi inquiéter sérieusement le président sortant, Petro Porochenko, qui arrive en deuxième position, loin derrière, avec seulement 16,7% des suffrages.
Un comique en position de l'emporter dans un pays à l'économie ruinée et dont une partie du territoire est entrée en rébellion ? En France, Le Monde s'efforce de prendre la mesure du phénomène et se concentre sur l'«insolence comme marque de fabrique» de Volodymyr Zelensky et sur «les sommets de populisme» de la série dont il est le coauteur.
Pour autant, les sirènes supposées du populisme ne sauraient expliquer totalement le succès électoral de cet Ukrainien qui ne cache pas sa préférence pour la langue russe plutôt que l'ukrainien, né de surcroît dans la ville industrielle russophone de Kryvyi Rih (Krivoï Rog en russe), dans le centre du pays. Dans un pays considérablement appauvri, maintenu sous perfusion par le Fond monétaire international (FMI), Volodymyr Zelensky est peut-être le candidat le moins anxiogène de tous. Et, grâce à un positionnement habile et à une faculté d'éviter les sujets qui fâchent, il a su, du moins jusqu'ici, faire preuve d'apaisement, après cinq ans d'opération militaires dites antiterroristes (ATO en anglais) contre les populations russophones des républiques autoproclamées de la région du Donbass.
Défense de la langue russe en Ukraine
En dépit de l'ambiance russophobe qui règne en Ukraine depuis la révolution du Maïdan, Volodymyr Zelensky s'est prononcé en faveur de l'utilisation de langue russe, dans les régions où elle est parlée historiquement. Selon des propos rapportés par le site moscovite Lenta le 21 février dernier, l'humoriste a ainsi plaidé pour que les autorités préservent la liberté de parler le russe, mais dans un souci d'apaisement, en insistant sur le fait que selon la Constitution, l'ukrainien était bien la langue officielle du pays. «Ne cherchez pas à étouffer le russe», a-t-il lancé, concédant, dans le même temps : «La langue ukrainienne est une langue merveilleuse, quand elle est parlée correctement [...] Tout le monde passe avec plaisir à la langue ukrainienne, notre système éducatif est aujourd'hui si bien construit.» Avec pour objectif d'affaiblir l'influence historique de la langue et de la culture russe en Ukraine, le pouvoir de Kiev s'est engagé dans une politique d'«ukrainisation» du pays. En mai 2017, le Parlement ukrainien a dopté une loi prévoyant que les trois quarts des programmes télévisés soient diffusés en ukrainien, une mesure visant à limiter l'utilisation de la langue russe.
Pragmatisme ambigu sur la Crimée et les relations avec la Russie
Avec la même modération, faisant preuve de pragmatisme, Volodymyr Zelensky semble vouloir également dépassionner la question de la Crimée, rattachée à la Fédération de Russie en mars 2018.
«La Crimée nous reviendra, nous devons le comprendre, quand il y aura un changement de pouvoir en Russie, je n'ai pas d'autre issue à proposer», avait ainsi déclaré le candidat, le 23 mars dernier. Mais d'ajouter dans la foulée que le changement de pouvoir en Ukraine qu'il incarnerait, s'il remportait l'élection présidentielle, pourrait devenir un exemple pour la Russie, se prononçant en outre en faveur de moyens diplomatiques pour résoudre le conflit armé dans le Donbass.
Pour autant, Volodymyr Zelensky ne se départit pas d'un discours plus patriotique, en soulignant que les négociations tripartites avec la Russie, les Etats-Unis ainsi que l'Union européenne doivent se poursuivre. L'humoriste-candidat prône même, selon le site Lenta «une intense guerre de l'information qu'il faudra gagner». Le 31 mars, après sa qualification pour le second tour de l'élection présidentielle ukrainienne du 21 avril prochain, des journalistes ont invité Volodymyr Zelensky à imaginer à quoi pourrait ressembler une entrevue avec le président russe, Vladimir Poutine. «Si je rencontre Monsieur Poutine, je lui dirai : "Eh bien, vous nous avez enfin rendu nos territoires. Combien vous allez nous payer pour en dédommagement ?"»
Fermeté face à la Russie... fiction ou réalité ?
De telles déclarations constituent autant de concessions au sentiment nationaliste ukrainien, porté aussi par le président sortant Petro Porochenko. Ce dernier avait d'ailleurs rappelé en janvier dernier que son seul adversaire demeurait le président russe Vladimir Poutine, affirmant que les autres candidats avaient «peur» de l'affirmer. «Tout ce qui affaiblit l’Ukraine renforce Poutine. Notre choix actuel concerne l'Ukraine ou la Russie», avait-il déclaré. Ce 31 mars, au soir du premier tour de la présidentielle, Petro Porochenko s'est montré d'emblée pugnace, lançant à l'adresse de son adversaire que le temps des blagues était fini. «[Vladimir Poutine] rêve d'un président doux, soumis gentil, blagueur, inexpérimenté, faible, amorphe du point de vue idéologique», a-t-il lancé.
«Soit #Porochenko, soit #Poutine » ? Le difficile choix de la présidentielle en #Ukraine 🇺🇦
— RT France (@RTenfrancais) 30 janvier 2019
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Faible, Volodymyr Zelensky ? Il est pourtant le seul candidat à s'être autorisé, du moins dans la peau d'un président de fiction qu'il incarne dans sa série Serviteur du peuple, à lancer à une délégation du FMI en visite en Ukraine : «Allez vous faire enc...» S'il venait à être élu, le président réel coïnciderait-il avec son personnage de fiction ?
Alexandre Keller