La guerre des vaccins ? A peine arrivé, Spoutnik V déjà face à l'hostilité
Après l'annonce par Vladimir Poutine de l'enregistrement d'un vaccin contre le Covid-19 «pour la première fois au monde», les réactions sceptiques, voire hostiles, ne se font pas attendre. Une vingtaine de pays ont pourtant déjà commandé des doses.
«Pour la première fois au monde, un vaccin contre le nouveau coronavirus a été enregistré» : l'annonce faite ce 11 août par Vladimir Poutine lors d'une visioconférence, n'est pas passée inaperçue. Particulièrement fier de cette prouesse, la Russie a mis en place un site internet en sept langues visant à présenter à la face du monde Spoutnik V (V pour vaccin), nommé en référence au satellite soviétique pionnier de la recherche spatiale.
Vladimir Poutine a expliqué espérer que le pays initierait rapidement une «production de masse» de doses, prévue pour septembre, pour que «tous ceux qui le souhaitent» puissent se faire vacciner. «Je le répète, il a passé tous les tests nécessaires», a-t-il souligné.
Si la vaccination sera particulièrement réservée au marché domestique russe, sur une base de volontariat, comme l'a annoncé ce 12 août en conférence de presse le ministre de la Santé Mikhaïl Mourachko, 20 pays étrangers ont d'ores et déjà précommandé plus d'un milliard de doses, d'après TASS.
Pourtant, à l'international, l'annonce a reçu un accueil parfois mitigé... voire hostile. A commencer par la France.
La France dans l'attente «de grands laboratoires pour disposer d’un vaccin»
«Je n’ai pas à donner ma confiance à ce vaccin russe», a ainsi lancé le ministre français de la Santé Olivier Véran, en déplacement à la Grande-Motte, près de Montpellier, le 11 août, estimant que la France et les Européens étaient «dans l'attente de grands laboratoires pour disposer d'un vaccin».
«Nous ne sommes pas dans la démarche d’un médecin français, nous sommes dans une démarche européenne [...] qui travaille avec tous les grands laboratoires pour faire en sorte que nous ayons accès à un vaccin», a par ailleurs déclaré le ministre. «Pour l’instant, de ce que j’ai à connaître des études scientifiques qui sont parues, nous sommes dans l’attente de grands laboratoires pour disposer d’un vaccin», a-t-il insisté.
De son côté, entre autres médias sceptiques, le journal Libération a choisi de représenter le président russe, seringue à la main, en une de son édition du 12 août. «Vladimir Poutine a cherché à prendre de court le monde entier mardi, en annonçant la mise au point de Spoutnik V, vaccin contre le coronavirus qui n'a pas encore passé la phase finale de tests», peut-on lire en légende.
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— Libération (@libe) August 11, 2020
Le ministère allemand de la Santé a lui aussi émis des doutes le jour même sur «la qualité, l'efficacité et la sécurité» du vaccin russe. «Il n'y a pas de données connues concernant la qualité, l'efficacité et la sécurité du vaccin russe», a déclaré une porte-parole du ministère, rappelant qu'au sein de l'Union européenne, «la sécurité des patients [était] la première des priorités».
Moscou déplore la «concurrence» internationale
Des critiques balayées par le ministre russe de la Santé. «Les collègues étrangers, qui semblent percevoir une certaine concurrence [...] expriment certaines opinions qui, selon nous, sont absolument sans fondement», a ainsi déclaré Mikhaïl Mourachenko ce 12 août en conférence de presse. «En effet, de nombreux pays ont recouru à une forme de régime de recherche à marche forcée. Mais le vaccin russe est le résultat de certaines connaissances et données cliniques dont on disposait déjà», a-t-il en outre souligné.
Et pour cause, alors que les commandes de traitements expérimentaux se multiplient aux quatre coins du monde, des tests d'autres vaccins sont en cours dans d'autres pays.
A Washington, Donald Trump a ainsi annoncé le soir du 11 août un contrat de 1,5 milliard de dollars pour la livraison de 100 millions de doses du vaccin expérimental de la biotech américaine Moderna, le sixième contrat de ce genre depuis mai.
En Chine, c'est le vaccin mis au point par le laboratoire Sinovac Biotech, appelé Coronavac, qui est entré dans la dernière étape des essais cliniques avant l'homologation. Ce vaccin est déjà actuellement testé sur 9 000 volontaires au Brésil, le deuxième pays le plus touché au monde par la pandémie de coronavirus après les Etats-Unis.
L'Indonésie a pour sa part commencé le 11 août à tester sur 1 600 volontaires un autre vaccin, également en phase III.
Prudence à l'OMS
Pour sa part, l'OMS, qui avait précédemment émis des doutes sur la rapidité de développement du vaccin russe, s'est montrée prudente quant à l'annonce russe. Son porte-parole Tarik Jasarevic a ainsi déclaré le 11 août : «Nous sommes en étroit contact avec les Russes et les discussions se poursuivent. La préqualification de tout vaccin passe par des procédés rigoureux.»
Spoutnik V est un vaccin «à vecteur viral», c'est-à-dire qu'il utilise comme support un autre virus, qui a été transformé artificiellement afin de combattre le Covid-19. Cette technique n'est pas employée uniquement par les Russes, mais également par d'autres équipes de recherche, comme par exemple celle de l'université d'Oxford.
Le vaccin sera mis en circulation le 1er janvier 2021, d’après le registre national des médicaments du ministère de la Santé, cité par plusieurs agences de presse russes. L'autorisation du ministère de la Santé ouvre la voie à de vastes essais, couvrant des milliers de participants, et que l'on surnomme communément «phase III», qui doit commencer le 12 août, après lesquels le vaccin reçoit, ou non, une autorisation définitive.
A l'échelle du monde, le coronavirus a infecté plus de 20 millions de personnes. 742 035 ont perdu la vie.