Covid-19 : Rolling Stone magazine pris en flagrant délit de fake news sur l'ivermectine ?
Des hôpitaux engorgés, des personnes qui perdraient la vue ? Rolling Stone magazine a brossé un tableau dramatique du traitement à l'ivermectine, basé sur le témoignage d'un médecin. Mais un hôpital avec lequel travaille celui-ci a démenti en bloc.
Médicament antiparasitaire peu couteux utilisé chez l'homme depuis des décennies et qui pourrait aider comme traitement contre le Covid-19, l'ivermectine se trouve une nouvelle fois au centre des débats aux Etats-Unis. Récemment mis en avant par le très populaire commentateur politique Joe Rogan, qui a affirmé en avoir pris après avoir contracté le Covid-19 – dont il s'est depuis déclaré guéri – le traitement a en effet fait l'objet le 3 septembre d'un article de presse à charge émanant du magazine Rolling Stone.
Le bimensuel expert en pop culture et à dominante musicale s'appuie ainsi sur le témoignage d'un certain docteur Jason McElyea, qui soutient que l'utilisation de l'ivermectine dans l'Etat de l'Oklahoma «a provoqué un tel engorgement des urgences que les victimes de coups de feu ont eu du mal accéder aux établissements de santé». «Toutes les ambulances sont bloquées à l'hôpital et attendent qu'un lit se libère pour pouvoir prendre en charge le patient, mais elles n'en ont pas, c'est tout», s'alarme le médecin. Jason McElyea liste par ailleurs les effets néfastes du médicament qu'il aurait provoqués : nausées, vomissements, douleurs musculaires, crampes et même une perte de la vue… « La réaction la plus effrayante dont j'ai entendu parler et que j'ai vue est celle de personnes arrivant avec une perte de la vision».
Le NHS Sequoyah n'a traité aucun patient en raison de complications liées à la prise d'ivermectine
Ce tableau véritablement cataclysmique dressé par le médecin, alors que l'engouement autour de l'ivermectine prend de l'ampleur outre-Atlantique, a été immédiatement repris par la presse anglo-saxonne, à l'image du Guardian, de The Independent, ou encore de Business Insider.
Pourtant, l'histoire fait face à un problème de taille : le Northeastern Hospital System (NHS) Sequoyah, avec lequel travaille le docteur Jason McElyea, a formellement démenti les affirmations de ce dernier, précisant par ailleurs que le praticien n'avait pas travaillé dans les locaux de hôpital «depuis plus de deux mois».
«Le NHS Sequoyah n'a traité aucun patient en raison de complications liées à la prise d'ivermectine. Cela inclut le fait de ne traiter aucun patient pour une surdose d'ivermectine. Tous les patients qui se sont rendus dans notre service des urgences ont reçu les soins médicaux appropriés», écrit ainsi l'hôpital dans un communiqué que l'on peut lire sur sa page d'accueil. «Notre hôpital n'a pas eu à refuser de patients cherchant à recevoir des soins d'urgence», y est-il encore précisé.
The health system this doctor claims to be speaking about essentially calls him a liar on all counts.
— AJ Kay (@AJKayWriter) September 5, 2021
I really do wonder if these randos are paid to tell fake stories in the media.
Why else would they do it?https://t.co/pUKHi4pMxbhttps://t.co/FfbGU39igwpic.twitter.com/DYak1BxFGO
Rolling Stone a depuis intégré le communiqué de l'hôpital à son article, sans pour autant en changer le fond.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les autorités sanitaires européennes et américaines déconseillent l'utilisation de l'ivermectine contre le Covid, ce qui n'empêche pas un engouement pour le traitement. Aux Etats-Unis, des conservateurs proches de l'ancien président Donald Trump, comme les présentateurs de Fox News Laura Ingraham et Sean Hannity, ou le sénateur Ron Johnson en ont fait la promotion. Les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont noté, le 26 août, une hausse des ventes du médicament, qui faisait l'objet de 3 600 ordonnances par semaine avant la pandémie contre 88 000 en août. L'Agence américaine du médicament, la FDA a mis en garde contre les dangers de surdose ou l'usage de la forme vétérinaire du médicament.
Malgré le désaveu de l'OMS, le médicament a déjà rencontré le succès dans plusieurs pays comme le Brésil, le Liban ou l'Afrique du Sud. En Indonésie, l'AFP rapporte que les pharmacies font face à une ruée sur l'ivermectine. En Inde aussi, où un collectif d’avocats de Bombay a annoncé lancer des poursuites contre Soumya Swaminathan, pédiatre spécialiste de la tuberculose et directrice scientifique de l'OMS. Les avocats indiens l’accusent d’avoir écarté des preuves en faveur de l'ivermectine, d'avoir tweeté pour en déconseiller l’usage (ce qu'ils assimilent à de la désinformation ayant entraîné des morts), et d’avoir favorisé les laboratoires qui produisent les vaccins.
Plus récemment, une étude de l'Institut Pasteur a souligné une réduction des symptômes liés au Covid-19 grâce à l'ivermectine. Le médicament agirait sur le récepteur nicotinique, selon le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux.