Aide conditionnée par le respect de l'Etat de droit: l'UE rejette le recours de Budapest et Varsovie
- Avec AFP
Rejetant les recours formés par la Hongrie et la Pologne, la Cour européenne a consacré dans un arrêt un «régime de conditionnalité» lié au respect de l'Etat de droit pour toute aide européenne. Une décision condamnée par Budapest et Varsovie.
La Cour de Justice de l'Union européenne a validé le 16 février, dans un arrêt, un dispositif liant le versement des fonds de l'UE au respect de l'Etat de droit, infligeant un revers à Budapest et Varsovie, qui sont dans le viseur de ce nouveau «régime de conditionnalité».
La CJUE, dont la décision était pour la première fois retransmise en direct sur son site, a suivi l'avis de l'avocat général et rejeté les recours en annulation introduits par la Hongrie et la Pologne contre ce règlement.
La Hongrie, par la voix de sa ministre de la Justice Judit Varga, a fustigé une «décision politique» qui serait, selon elle, liée à la loi sur l'homosexualité adoptée cet été à Budapest, très critiquée par certains pays membres de l'Union européenne. Pour Budapest ce texte vise à protéger les mineurs d'une «promotion de l'homosexualité».
«La pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l'identité de genre, le changement de sexe et l'homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans», pouvait-on lire dans un document que l'AFP s'était procuré en juin 2021. Depuis lors, Budapest est en prise avec Bruxelles pour obtenir des aides du fond de relance européen que l'UE se refusait de verser, sous pressions de plusieurs Etats-membres comme la France.
L'arrêt de la CJUE permet donc aux institutions européennes de conditionner le versement de telles aides, notamment au respect de certaines valeurs liée au concept d'Etat de droit. «Ce mécanisme a été adopté sur une base juridique adéquate [et] respecte les limites des compétences attribuées à l'Union ainsi que le principe de sécurité juridique», indique notamment la Cour dans un communiqué.
La Pologne a pour sa part qualifié l'arrêt d'«attaque contre [sa] souveraineté», le rejet par la CJUE de son recours contre un dispositif liant le versement de fonds européens au respect des valeurs démocratiques qui sont «identifiées et sont partagées par [les Etats membres de l'UE]». «Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est l'unité contre l'attaque de notre souveraineté. La Pologne doit défendre sa démocratie contre le chantage qui vise à nous priver de notre droit à l'autodétermination», a écrit sur Twitter le vice-ministre de la Justice Sebastian Kaleta.
Potrzebna jest dzisiaj jedność przed atakiem na naszą suwerenność, Polska musi bronić swojej demokracji przed szantażem, który ma nam odebrać prawo do samostanowienia. Tym bardziej, że Polska ma tracić fundusze za rozwiązania, które są standardem w Hiszpanii czy w Niemczech.
— Sebastian Kaleta (@sjkaleta) February 16, 2022
Berlin s'est à l'inverse félicité d'un arrêt qui «renforce notre communauté de valeurs». «L'Etat de droit est le fondement de l'UE», a rappelé le chef de la diplomatie allemande Annalena Baerbock dans un tweet.
#Rechtsstaatlichkeit ist das Fundament der #EU. Verstöße kosten nicht nur unsere Glaubwürdigkeit, sondern unseren Zusammenhalt. Das heutige #EuGH-Urteil bestätigt ein weiteres, wichtiges Instrument für 🇪🇺, um unsere Wertegemeinschaft zu schützen & zu stärken.
— Außenministerin Annalena Baerbock (@ABaerbock) February 16, 2022
L'arrêt de la CJUE «confirme un autre instrument important pour l'UE dans le but de protéger et renforcer notre communauté de valeurs», ajoute-t-elle.
A Paris, on estime que le jugement européen est «une bonne nouvelle». «C'est un outil supplémentaire dans la boîte à outils de l'Etat de droit», a déclaré à l'AFP le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes Clément Beaune
L'approbation par la CJUE de cet instrument inédit va accroître la pression sur la Commission, chargée de l'activer. L'exécutif européen avait accepté, en accord avec les Vingt-Sept, d'attendre l'avis de la Cour avant d'agir, alors que le règlement est en vigueur depuis le 1er janvier 2021.
Le Parlement européen presse la Commission d'agir
«Nous agirons avec détermination», a assuré sa présidente Ursula von der Leyen dans un tweet, en saluant la décision de la Cour.
I welcome @EUCourtPress confirmation of the legality of the conditionality regulation.
— Ursula von der Leyen (@vonderleyen) February 16, 2022
The Commission will defend the Union’s budget against breaches of the principles of the rule of law.
We will act with determination.https://t.co/MduLesefJQpic.twitter.com/gTB34hBfFp
Depuis des mois, le Parlement européen s'impatiente. Il a même engagé un recours pour inaction contre la Commission. Poussé à agir, l'exécutif européen avait envoyé en novembre des lettres à la Pologne et la Hongrie exposant à nouveau ses critiques sur le respect de l'Etat de droit dans ces deux pays de l'ex-bloc de l'Est.
Côté hongrois, la Commission a évoqué des problèmes relatifs à la passation de marchés publics, aux conflits d'intérêts et à la corruption. Concernant Varsovie, sont visées les atteintes à l'indépendance des juges et la remise en cause de la primauté du droit européen et des décisions de la CJUE.
«Le Parlement européen attend désormais de la Commission qu'elle applique rapidement le mécanisme de conditionnalité», a réagi la Maltaise Roberta Metsola (PPE, droite), présidente de cette assemblée où doit se tenir un débat sur la question dans l'après-midi. «Les valeurs comptent, et les citoyens ont le droit de savoir comment les fonds communs sont utilisés», a-t-elle ajouté.
L'eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe) s'est réjouie d'une «victoire majeure»: «L'Europe se dote enfin d'un levier puissant et concret pour sanctionner les leaders populistes qui veulent mettre au silence tous les contrepouvoirs de notre modèle démocratique», a-t-elle estimé.
Victoire pour la démocratie 🇪🇺 !
— Fabienne Keller (@fabienne_keller) February 16, 2022
Je salue cette décision majeure, l'UE se dote d'un levier puissant pour sanctionner les leaders populistes qui veulent mettre au silence nos juges, nos journalistes & la société civile.
❌️ #Orban#Kaczynski, vous ne recevrez plus les fonds € ! https://t.co/l1fgXlfBMhpic.twitter.com/ZpOFBFTtLo
«Quand allez-vous enfin agir ?», a interpellé l'eurodéputé Daniel Freund (Verts) en retweetant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.
When will you finally act? https://t.co/ItLsc97y0F
— Daniel Freund (@daniel_freund) February 16, 2022
Cependant, le déclenchement d'une telle procédure pourrait prendre des semaines, voire plus. La Commission veut encore finaliser des «lignes directrices» pour la mettre en œuvre. Par ailleurs, le 3 avril se dérouleront les élections législatives en Hongrie où le Premier ministre souverainiste Viktor Orban fera face à une alliance de l'opposition, ce que compliquerait la donne, Bruxelles craignant d'être accusé d'ingérence.
Le règlement permet de priver de fonds européens un pays où sont constatées des violations de l'Etat de droit qui «portent atteinte ou risquent de porter atteinte» aux intérêts financiers de l'UE, «d'une manière suffisamment directe». Une éventuelle suspension ou une réduction des paiements doit être endossée par au moins 15 Etats membres sur 27. Le mécanisme s'applique aux fonds versés dans le cadre du budget européen, qui constituent des sommes conséquentes pour ces deux pays – ils figurent parmi les principaux bénéficiaires nets des fonds européens –, ainsi qu'aux plans de relance post-Covid. Ceux de la Pologne et de la Hongrie n'ont toujours pas été approuvés.
Issu d'un difficile compromis intervenu en 2020, ce «régime de conditionnalité» était réclamé par plusieurs Etats membres, dont les Pays-Bas, pour protéger les finances de l'UE. Parmi les instruments à disposition de l'UE pour lutter contre les atteintes aux principes démocratiques, la procédure de l'article 7 du traité sur l'UE, déclenchée contre la Pologne et la Hongrie, permet de sanctionner un pays pour non-respect des valeurs de l'UE. Elle peut aller jusqu'à le priver de droit de vote au Conseil, mais s'est révélé en pratique impossible à mener à terme.