«Travail de mémoire» : l'historien français Benjamin Stora reçu par le président algérien Tebboune
- Avec AFP
Abdelmadjid Tebboune a expliqué l'importance d'un «travail de mémoire» commun sur toute la période de la colonisation française en Algérie, lors d'un entretien avec l'historien français Benjamin Stora, selon les déclarations de ce dernier à l'AFP.
L'historien français Benjamin Stora, qui était porteur d'une lettre du président Emmanuel Macron, a été reçu plus d'une heure le 4 juillet à Alger par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, à la veille de la commémoration en grande pompe du 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. Un entretien survenant quelques mois après la remise, en janvier 2021 à Emmanuel Macron, du rapport de Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.
Ce rapport, sur lequel Emmanuel Macron s'est appuyé pour sa politique mémorielle, ne préconise ni excuses ni repentance, ce qui a été très critiqué en Algérie, notamment par les associations d'anciens combattants.
Les relations franco-algériennes avaient également connu un coup de froid en septembre 2021, lorsque le président Macron avait reproché au système «politico-militaire» algérien d'entretenir une «rente mémorielle» autour de la guerre d'indépendance.
Un entretien témoignant d'un réchauffement entre Paris et Alger ?
L'entretien témoigne donc, selon l'AFP, du réchauffement en cours dans les relations franco-algériennes depuis quelques semaines. «Je pense qu'il y a une volonté de relancer, je ne sais pas si c'est le mot, mais de poursuivre un dialogue», estime Benjamin Stora, cité par l'agence de presse ce 10 juillet, en notant un «changement de ton» entre Paris et Alger.
Le président Tebboune lui a expliqué «l'importance majeure d'un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation», au-delà de la seule guerre d'Algérie (1954-1962), selon Benjamin Stora, qui partage cet avis. «La guerre de conquête a été très longue et très meurtrière. Elle a duré pratiquement un demi-siècle», de 1830 à 1871, rappelle l'historien.
Elle a été marquée par une «dépossession foncière et identitaire» – «lorsque les gens perdaient leur terre, ils perdaient leur nom» – et par la mise en place d'une «colonie de peuplement», avec au final un million d'Européens sur neuf millions d'habitants. Autant de traumatismes qui perdurent jusqu'à aujourd'hui dans la perception réciproque des deux peuples et qui «expliquent la difficulté des relations franco-algériennes», dit-il. «Les gens ne connaissent pas ce qu'il s'est passé. C'est le problème de la transmission aux jeunes générations et du travail en commun», affirme Benjamin Stora.
«Polarisation extrême» sur les années 1960 à 1962
«En Algérie, l'accent a été mis essentiellement sur la guerre de libération nationale. Il y a eu en France comme en Algérie une polarisation extrême sur l'unique séquence de la guerre et même de la fin de la guerre, les années 1960 à 1962», déclare également Benjamin Stora auprès de l'AFP.
Avec en toile de fond les «affrontements de groupes mémoriels» autour des différents massacres, l'exode des pieds noirs, les luttes de pouvoir à l'intérieur du nationalisme algérien. «On s'est tous focalisés sur 1962», des accords d'Evian en mars à l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet, remarque l'historien auprès de l'agence de presse française. Mais «on ne peut pas rester prisonnier d'une seule date, 1962, il faut élargir le champ de réflexion», considère-t-il.
Selon lui, le président Tebboune n'est pas revenu durant l'entretien sur les propos controversés d'Emmanuel Macron, qui s'était également interrogé sur l'existence d'une «nation algérienne» avant la colonisation française.
Le sujet mémoriel pourrait être l'objet de prochains échanges entre les deux chefs d'Etat, estime l'AFP. Dans la missive remise par Benjamin Stora, le président français appelle au «renforcement des liens déjà forts» entre les deux pays et réitère son «engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires». Il évoque aussi une «prochaine» visite en Algérie.