Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Trump 45e et 47e Président des États-Unis et la défaite stratégique de la globalisation radicale

Trump 45e et 47e Président des États-Unis et la défaite stratégique de la globalisation radicale Source: AP
Donald Trump
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L’élection de Trump, surtout avec une telle vague républicaine, est une gifle aux tenants de la globalisation radicale. Si des changements politiques sont à attendre, selon Karine Bechet-Golovko, il serait pour l’instant prématuré de s’attendre à ce que le système de gouvernance de la globalisation s’écroule magiquement de lui-même.

C’est la deuxième fois dans l’histoire américaine, après Grover Cliveland à la fin du 19e siècle, qu’un Président revienne au pouvoir lors de deux mandats non consécutifs. Trump a réussi cet exploit et il devient ainsi le 45e et 47e Président des États-Unis.

Cette victoire tranche fondamentalement sur celle de 2017. Autant alors il semblait être une épine dans le pied du géant globaliste, en pleine expansion et en pleine heure de gloire, avant l’impératif globaliste covidien puis la guerre en Ukraine contre la Russie, autant aujourd’hui le géant semble fatigué, accoudé et essoufflé, pesant de tout son poids sur sa stèle funéraire.

Nous voyons une reconnaissance sans conteste de la victoire de Trump par les Démocrates. Kamala Harris appelle au calme et à la passation pacifique des pouvoirs. Nous ne sommes plus dans la contestation violente, même si évidemment la Russie est pointée du doigt, accusée d’avoir influencé les élections.

D’une certaine manière, tel est le cas, mais pas comme les Démocrates l’entendent. La Russie, en contestant l’ordre global radical, a montré qu’une autre voie est possible, que la soumission n’est pas une fatalité, que les peuples et les Nations ont le choix. En ce sens, oui, elle a stratégiquement influencé le résultat des élections, car elle a montré le véritable visage des Démocrates, leur fanatisme.

Mais c’est bien ce fanatisme, ce jusqu’auboutisme, qui les a fait perdre. Et non pas la Russie. Le système global radical a fini par se retourner contre les États-Unis eux-mêmes en prônant la primauté de l’hégémonie, même au prix de la prospérité intérieure. Or, les Américains constituent une nation hautement matérialiste. Ils ont voté pour Trump, car ils veulent retrouver leur pouvoir d’achat, leurs emplois, des salaires, etc.

Avant les élections elles-mêmes, des signes précurseurs d’un changement du rapport de forces au sein des élites s’était fait sentir. L’on se rappellera ces médias américains, qui annonçaient ne plus soutenir les Démocrates. Et le Washington Post se réveiller et vouloir à nouveau faire du journalisme de qualité, annoncer une ligne plus « conservatrice ». Le wokisme a atteint ses limites : le projet de société qu’il porte n’est pas viable, les Américains ont voté contre – car il commence à leur coûter trop cher.

L’on peut déjà tirer deux leçons, que nos compatriotes en France pourraient longuement méditer. Nos élites aussi, enfin en ce qui concerne les élites « françaises », qui devraient relever la tête. Tout d’abord, il n’est pas possible d’organiser une fraude électorale permettant d’inverser les résultats, quand il existe un véritable mouvement populaire profond et massif. Ensuite, les États-Unis semblent être l’un des très rares pays, où il y reste encore un véritable combat politique, ce qui n’existe plus dans les pays européens depuis longtemps.

Je parle bien d’un combat politique et non pas idéologique, car Donald Trump reste dans la logique globaliste d’une exceptionnalité américaine et d’une domination de l’Amérique. Donc d’un monde centré autour d’un seul centre légitime de pouvoir. Mais il incarne cette branche rationnelle, modérée, de la globalisation, pour qui les mécanismes de gouvernance globale doivent servir le renforcement des États-Unis, ne peuvent se faire sur le dos et aux frais des Américains. Cette relative modération le rend en réalité stratégiquement beaucoup plus dangereux que les fanatiques.

America First signifie bien qu’un combat à mort est légitime contre tout ce qui peut porter atteinte aux intérêts des États-Unis, contre tout ce qui fait concurrence aux États-Unis, contre tout ce qui est susceptible de faire de l’ombre aux États-Unis. Cela signifie également que les États-Unis ne seront plus aussi prompts à soutenir d’autres pays, s’ils n’y gagnent rien.

Sous cet angle-là vont se redessiner les rapports avec l’Europe. L’équipe de Trump méprise profondément ce qu’est devenue l’Europe, comme on méprise un veule laquais, qui fut autrefois un seigneur. Macron fut parmi les premiers à le féliciter pour son élection. Quel empressement ... Macron ne croit plus au soutien américain inconditionnel dans les affaires européennes. Il se souvient soudain avec effroi, qu’il y existe des « affaires européennes », ne parlons pas des « affaires françaises », dont il va falloir désormais s’occuper. Or non seulement ces élites sont incapable de gouverner, elles ont le dos trop courbé à force d’exécuter, mais elles n’ont pas la force nécessaire pour imposer cette politique impopulaire et anti-nationale obligée par le néolibéralisme. 

Or, si les élites globalistes ont par étapes « délocalisé » les centres de décision vers l’Europe, sans le « corps » américain, elles sont affaiblies et désorganisées. Il va leur falloir se réorganiser en pleine gueule de bois.

La question ukrainienne, qui est devenue le moteur du renforcement des capacités de décision de l’UE et l’étendard d’une partie des élites radicales, notamment en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne et dans les protectorats de l’Est, va prendre une nouvelle ampleur. Il serait surprenant que Trump fasse des gestes brusques, qui pourraient conduire à la défaite de l’armée atlantico-ukrainenne sur le front ukrainien contre la Russie, car cela ne permettrait pas de garantir le nouveau pacte America First. Seulement les États-Unis vont désormais transférer sur les épaules des Européens une grande partie de la charge financière et ne soutiendront cette guerre, que dans la mesure où ils peuvent en sortir vainqueur. Et Trump sait parfaitement que la voie militaire n’est pas le seul moyen de remporter cette victoire tant recherchée contre la Russie et n’est de loin pas le plus efficace – comme l’expérience l’a montré.

Nous voyons déjà se dessiner le renforcement des fronts politique et diplomatique, qui, comme on a pu le remarquer ces dernières années, ont plusieurs fois conduit la Russie dans l’impasse. Ainsi la question des négociations va revenir avec une toute nouvelle force sur le devant de la scène. Pourquoi ne pas tenter de gagner sur le front politique, ce qu’il n’a pas été possible d’obtenir par les armes sur le champ de bataille ? La nature de ces « négociations » ne change pas, il s’agit toujours d’obtenir la capitulation de Russie, seules les carottes peuvent changer. Et la tentation des mirages sera forte, celle de « revenir à avant », celle de revenir « à la table des grands ». Ce serait un leurre, qui coûterait très cher à la Russie.

Ce qui fut ne sera plus, on ne revient pas dans le temps pour effacer certains passages et reprendre une autre bifurcation, comme si rien ne s’était passé. Il serait dangereux de se réfugier dans le raisonnement magique, tirer la couette bien haut sur l’oreiller, fermer les yeux en espérant que tout « ait repris sa place » au réveil. Au réveil, tout sera toujours à sa place, à la place où on l’a mis. La Russie est à la table des grands, elle l’a toujours été, simplement les « grands » sont en conflit. La table ne sera pacifiée, que lorsque le conflit sera épuisé et sa nature existentielle ne permet pas de le vider par la négociation. Ne pas le reconnaître risque en revanche de discréditer la Russie, qui pourrait alors être sortie de la table.

En revanche, la Russie a la chance de pouvoir utiliser le temps des troubles provoqués par le retour de Trump pour se « créer » des alliés de ses partenaires actuels. La globalisation dans sa version radicale est ouvertement remise en cause dans son cœur autant que dans son corps, ce qui redonne espoir aux mouvements étatistes dans les différents pays, notamment occidentaux. En soutenant ces mouvements, la Russie peut se créer de véritables alliés, car il est impossible de combattre en solitaire un système de gouvernance globalisé. 

Mais pour cela, il faut passer le cap de la globalisation régionalisée et oser affirmer l’ère des États souverains. Pour cela il faut réellement remettre en cause l’idéologie néolibérale, qui soutient la globalisation et qui va bien au-delà des seules valeurs traditionnelles.

L’élection de Trump ouvre une possibilité pour la Russie, si elle accepte le combat. Trump n’est pas ce Deus ex machina, débarqué sur la scène de bataille, qui va brandir un drapeau blanc et semer la paix dans son sillage. Mais il ouvre la possibilité d’un combat régulier. À un moment, où justement les élites radicales se trouvent affaiblies et désorganisées, la Russie a le choix entre se perdre dans les méandres de la négociation-reddition en vue d’un match nul tactique, soit de lancer une offensive polico-idéologique en vue d’une victoire stratégique.

La Russie a l’opportunité de provoquer un changement de pensée. Et c’est bien le changement de la pensée, qui peut changer le monde. Comment l’écrit, avec une grande justesse, Gustave Lebon dans La psychologie des foules : «  Les seuls changements importants, ceux d’où le renouvellement des civilisations découle, s’opère dans les idées, les concepts, les croyances. Les événements mémorables de l’histoire sont les effets visibles des invisibles changements de la pensée des hommes. ».

 

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