Fermeture de l’USAID, menaces de droits de douanes, Trump donne l’impression de partir dans tous les sens. Mais Make America great again, c’est avant tout faire de la politique intérieure. Et derrière une apparence brouillonne et souvent farfelue, c’est en réalité et avant tout ce qu’il fait. L’analyse du géopolitologue Alexandre Regnaud.
750 dollars pour les victimes de l’ouragan Hélène de 2024, contre 640 millions pour les migrants illégaux et 60,8 milliards d’aide à l’Ukraine votés en même temps au Congrès. Un constat gênant qui a fortement agité la campagne électorale, et bon exemple de l’état d’esprit de nombreux citoyens américains. Autres chiffres, d’après les services ferroviaires, 1 164 trains ont déraillé aux États-Unis en 2022, soit 3 par jour en moyenne, symbole d’un pays qui tombe littéralement en ruine. Ajoutons, loin des images d’Épinal d’Hollywood, des centres ville délabrés et peuplés de quasi zombies shootés au Fentanyl, opioïde de synthèse véritable fléau du pays. Bref, l’Amérique va (très) mal derrière son paravent interventionniste. Trump a été élu principalement pour agir contre ce déclin intérieur, et derrière des apparences parfois trompeuses, c’est exactement ce qu’il fait.
Ainsi, le fameux DOGE d’Elon Musk est là avant tout pour faire faire des économies au budget fédéral. Le but ici n’est évidemment pas de réduire la dette, autour de 30 000 milliards de dollars c’est impossible. L’objectif est de dégager des fonds pour d’autres priorités à l’intérieur même du territoire, en commençant par faire des économies sur les dépenses extérieures. La fermeture de l’USAID ou du NED ne sont pas autre chose. Bien sûr, cela permet aussi de lutter contre l’Etat profond et de redorer un peu l’image des Etats-Unis auprès d’un certain public dans le monde en mettant un terme à certains délires wokes ou aux ingérences politiques les plus grossières. Mais surtout, cela envoie un message clair aux citoyens américains : on arrête le gaspillage à l’étranger et on se recentre sur le local.
Autre aspect, les menaces régulières de «tarifs», c’est-à-dire de droits de douanes, proférées à tort et à travers. Dans bien des cas, ils seraient à moyen terme plus pénalisants pour l’économie et l’inflation américaine que pour les pays ciblés. Il s’agit donc ici uniquement d’un instrument de pression politique pour Trump afin d’obtenir ce qu’il veut, et là aussi, avant tout avec un double objectif intérieur.
Des voisins immédiats, Mexique et Canada, Trump veut un meilleur contrôle de leurs frontières, notamment pour enrayer le trafic du fameux Fentanyl qui ravage la population américaine. Également pour le Mexique, il s'agit de réduire l’immigration de masse, objet d’un profond mécontentement des citoyens américains et vecteurs de trafics et de criminalité. Et cela fonctionne : le Mexique a augmenté ses effectifs à la frontière. D’après Stephen Miller, chef adjoint de cabinet de la Maison Blanche : «Depuis que vous avez publié vos décrets du premier jour, les passages frontaliers ont diminué d'environ 95%... Les cartels sont extrêmement frustrés car ils n'ont jamais vu une répression comme celle-ci auparavant». Les «tarifs» envers le Mexique ont d’ailleurs pour l’instant été suspendus.
L’autre objectif est économique. Pour les voisins immédiats, cela vise à agir sur la relocalisation de la sous-traitance. Un grand nombre d’entreprises américaines sous-traitent une partie de leur production au Mexique, parce que la main d’œuvre est moins chère, ou au Canada, parce qu’elle est plus qualifiée. En imposant des «tarifs», Trump veut réduire la rentabilité du système et forcer le rapatriement des sous-traitants sur le sol américain, avec des emplois américains.
Même logique pour l’étranger plus lointain, mais avec des lignes de production entières. Dans une interview au Financial Times, Florent Menegaux, directeur exécutif du géant français Michelin, envisage d’ailleurs clairement d'augmenter ses investissements dans des projets aux Etats-Unis pour atténuer les pressions commerciales de l'administration Trump, et explique que "l'exportation de produits de l'UE n'est pas économiquement viable à l'heure actuelle".
Coup double pour Trump, qui utilise la menace douanière pour faire plier les autres pays aux intérêts américains et qui crée en parallèle de l’emploi aux Etats-Unis.
Ainsi, souvent difficile à décrypter derrière un style exubérant et un certain nombre de fantasmes l’entourant, Trump donne l’impression de ne s’intéresser qu’à l’échelle internationale. Il met pourtant en place les premiers jalons d’une politique de plus long terme, recentrée sur les Etats-Unis mêmes, avec un objectif clair, tenter de remédier au profond déclin intérieur d’un pays qui a davantage besoin qu’on s’occupe de lui que d’imposer ses échecs aux autres.
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