La nécessité de mettre en place des élections démocratiques en Ukraine est souvent avancée comme un élément de règlement du conflit. Pour Karine Bechet-Golovko, ces élections ne peuvent qu’être la conséquence et non la source de la sortie du conflit, car celui-ci est idéologique et il ne peut être dépassé par la voie électorale.
Les élections ne sont ni une farce, ni une mise en scène. Pour être démocratiques, elles doivent elles-mêmes être réalisées dans une société démocratique. D’où l’impasse fondamentale d’un changement de pouvoir permettant l’arrivée pacifique d’un « dirigeant légitime » en Ukraine, souvent avancé comme élément de règlement du conflit sur le front ukrainien.
Le processus électoral a pour fonction de faire ressortir la volonté populaire, afin de conduire aux manettes de l’État les personnes représentant la volonté et l’opinion de la majorité. C’est en cela que les élections sont un élément de la démocratie : elles doivent idéalement permettre à la majorité de gouverner avec l’assentiment de la minorité.
Mais pour qu’il y ait des représentants de la majorité et de la minorité, encore faut-il qu’il y ait des partis politiques, portant réellement différentes visions politiques. Ce qui est appelé le pluralisme politique. Sinon, quel choix peut être fait ? Il ne s’agit pas de choisir entre des visages différents, qui in fine portent le même programme politique. Dans ce cas, les élections sont dévoyées, elles ne sont qu’une farce, devant légitimer un processus anti-démocratique.
Si formellement il existe certes plusieurs partis politiques, mais qui soutiennent à quelques détails près la même ligne politique, le processus électoral ne peut permettre la gouvernance de la majorité, car les électeurs n’ont pas de choix réel.
Or, que reste-t-il des partis politiques en Ukraine ? Rien.
Après le Maïdan de 2014, les opposants politiques avaient déjà été persécutés, judiciairement et physiquement, les médias récalcitrants mis au pas ou fermés, ce qui avait permis de réduire à son minimum la vie politique du pays.
Le régime ukrainien a interdit tout parti d’opposition
Rappelons, qu’en mars 2022, après la décision de la Russie de réagir militairement aux provocations et agressions à ses frontières, le régime ukrainien est allé encore plus loin et a interdit tout parti d’opposition, fermant les 11 derniers tentant plus ou moins d’essayer de faire entendre délicatement et faiblement une autre voix.
Cette décision, prise en accord avec le Conseil de sécurité et de défense, a été alors annoncée par Zelensky, après l’interpellation de l’opposant Victor Medvedchuk, qui sera ensuite échangé avec la Russie. Il s’agissait, je cite, « de suspendre l'activité d'un certain nombre de partis politiques pendant la période de la loi martiale », à savoir la Plateforme d'opposition - Pour la vie !, le parti Sharia, le parti Nachi, le parti Bloc d'opposition, l'opposition de gauche, l'Union des forces de gauche, Pouvoir, le Parti socialiste progressiste, le Parti socialiste, le Parti des socialistes et le Bloc de Vladimir Saldo.
La raison de cette chasse aux sorcières est simple : ces mouvements politiques sont considérés d’opposition, donc en tant que tels, ils sont étiquetés comme soutenant la Russie. L’alternative est ici claire : soit les mouvements politiques soutiennent l’Occident et ils sont acceptés, soit ils sont étiquetés pro-russes et sont bannis. Les mouvements politiques « pro-ukrainiens » sont totalement absents de la rhétorique politique ukrainienne actuelle.
En ce sens, le conflit, qui se déroule à l’intérieur du territoire ukrainien, est idéologique et non pas politique. Il oppose deux visions du monde incompatibles, deux modèles de gouvernance étrangers l’un à l’autre.
Un espace idéologique comprend plusieurs voies politiques, c’est-à-dire différentes manières de réaliser la vision du monde et de l’homme portée dans cet espace. Dans ce cas, les élections permettent de passer de l’une à l’autre, tout en restant dans le même cadre idéologique. Et tel est bien le rôle du processus électoral : il permet de dépasser le conflit entre les partis politiques, en l’intégrant dans le jeu politique. Puisque chacun y voit une chance de gouverner à un moment donné, il ne va pas lutter contre ce système, mais à l’intérieur de ce système et selon les règles de ce système.
En revanche, lorsque le conflit est idéologique, c’est-à-dire lorsque les forces politiques réelles s’opposent non pas à l’intérieur d’un même cadre idéologique, mais au sujet de ce cadre idéologique, les élections sont inefficaces pour dépasser le conflit.
En effet, ici le conflit ne peut être intégré et devenir un élément de dynamique du système, car il ne peut être dépassé que par la disparition de l’opposant ou du système lui-même.
Quelles que soient les élections organisées, elles ne seront qu’une farce
Concrètement en ce qui concerne l’Ukraine, l’opposition « pro-ukrainienne » à Zelensky et aux forces globalistes, qui l’ont mis en place, ne peut exister (ni politiquement, ni physiquement), car elle suppose l’existence d’un intérêt propre de cet espace ukrainien, qui soit différent et supérieur à l’intérêt globaliste. Ce qui constitue un danger existentiel pour le modèle idéologique en place actuellement sur le sol ukrainien.
En ce sens, quelles que soient les élections qui seraient organisées aujourd’hui dans ce contexte pour faire émerger un nouveau président ukrainien, elles ne seront qu’une farce. Les partis « d’opposition » existants ne sont que des variantes à l’intérieur du modèle globaliste, conformes aux besoins des forces qui occupent réellement l’Ukraine.
Le sortant ne serait, dans la forme, pas plus légitime que le précédent (faute de véritable pluralisme politique) et ne permettrait pas, sur le fond, de sortir du conflit (faute d’être un véritable sujet politique).
Ainsi, sans libérer le territoire ukrainien de ces forces d’occupation, il ne sera pas possible de restaurer des processus électoraux honnêtes et pluriels, donc démocratiques. Les seuls qui permettent l’émergence d’un sujet légitime. C’est bien pour cela que la question de l’élection d’un nouveau président ou gouverneur en Ukraine ne peut être que la conséquence du règlement du conflit.
La question de la maîtrise du territoire est fondamentale ici. Soit les globalistes continuent à contrôler (politiquement, militairement) le territoire ukrainien et n’importe quelle figure issue de la mise en scène électorale leur sera in fine soumise et sans légitimité politique. Soit les globalistes ne contrôlent plus le territoire et les peuples peuvent revenir dans le cours historique, qui est le leur, sachant qu’il faudra réellement du temps pour libérer les esprits en plus des territoires de tant d’années d’une propagande atlantiste aussi intrusive qu’agressive.