Morts trop nombreux, trop gênants, trop coûteux

Morts trop nombreux, trop gênants, trop coûteux
Christelle Néant, auteur et rédactrice en chef adjointe d'International Reporters. Capture d'écran.
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Christelle Néant, auteur et rédactrice en chef adjointe d'International Reporters, est convaincue que le refus de Kiev d'accepter les dépouilles des combattants ukrainiens est une manifestation de cynisme et de manque de respect à l'égard des États qui ont facilité le processus de négociation.

RT : Que signifie ce refus de Kiev de récupérer les corps de ses 6 000 militaires dont une partie est déjà identifiée ?

Christelle Néant : La signification du refus de l'Ukraine de récupérer les 6 000 corps de ces soldats tombés au combat que la Russie doit lui remettre, c'est avant tout un grand cynisme, c'est avant tout une énorme claque à la fois pour les familles de ces soldats qui attendent de pouvoir récupérer les corps pour pouvoir les enterrer dignement près de chez eux.

C'est une énorme claque pour les États-Unis et la Turquie qui ont poussé et aidé à organiser ce deuxième tour de négociation qui a abouti à cette décision. C'est une façon de leur dire : « On n'en a rien à faire de ce qui a été décidé et de ce que vous avez essayé d'aider à obtenir comme résultat. »

Et c'est surtout le symbole d'un cynisme absolument éhonté, puisque les raisons principales de ce refus sont, bien sûr, le fait que, un, récupérer 6 000 corps d'un coup signifie que les chiffres des pertes des forces armées ukrainiennes annoncées par Volodymyr Zelensky depuis trois ans sont totalement faux, deux, le gros problème surtout est d'ordre financier, puisque l'Ukraine n'a pas les moyens actuellement de payer les compensations dues aux familles des soldats morts au combat.

Trop chers pour être pleurés

RT : Si on peut trouver une explication financière à ce refus de récupérer les corps, quelle serait la raison de reporter l’échange de prisonniers de guerre ?

C. N. : L'importance de cette raison financière, elle tient au fait que l'Ukraine dépend totalement de l'aide financière occidentale pour continuer ne serait-ce qu'à survivre et surtout l'Ukraine est déjà en défaut de paiement. Il faut savoir qu'elle a fait défaut il n'y a pas longtemps sur un paiement d’un peu plus de 600 millions d'euros pour des bons indexés sur son PIB. Donc sa note concernant ces bons a déjà été dégradée à des défauts.

Or, normalement pour chaque soldat ukrainien mort au combat, les autorités ukrainiennes doivent verser à la famille 15 millions de grivnias. Donc 6 000 corps, c'est 90 milliards de grivnias que les autorités ukrainiennes vont devoir sortir là, maintenant, tout de suite. Or, ça fait à peu près 2 milliards d'euros, on se rend bien compte que l'Ukraine n'a pas cet argent. Si elle a déjà fait défaut, sur un paiement de plus de 600 millions d'euros il y a peu de temps, elle n'a clairement pas 2 milliards d'euros à sortir pour payer les compensations qu'elle doit. Donc son but, ça va être clairement d'essayer d'étaler au maximum la récupération de ces corps qui ne l'arrangent pas du tout, à la fois sur le plan financier et sur le plan médiatique.

Une mascarade de négociation

RT : Apparemment, la délégation ukrainienne a pris ces décisions sans avoir consulté Zelensky qui oppose maintenant la réalisation de ce qui a été déjà négocié. Quelle ambiance cela pourrait-il créer pour des rencontres ultérieures ?

C. N. : Si réellement la délégation ukrainienne a autorisé cette remise de corps en contradiction avec, on va dire, la volonté de Volodymyr Zelensky, il est clair que ce n'est pas un bon signe pour de futurs tours de négociations puisque cela veut dire que ce que cette délégation va signer, potentiellement ou de très grande chance en tout cas, de ne pas être appliqué dans la réalité. Et surtout, on risque de voir Zelensky sans arrêt revenir sur les décisions qui lui posent le plus de problèmes.

Personnellement je ne crois pas que cette délégation ukrainienne ait agi en dépit de la décision de Volodymyr Zelensky, je pense qu'ils ont tout simplement pensé qu'ils arriveraient à s'en tirer avec une pirouette et à saboter en fait ce processus de négociation une nouvelle fois puisqu'une des raisons aussi pour lesquelles je pense qu'ils ont refusé c'est non seulement cette raison financière et médiatique mais surtout de montrer une fois de plus qu'en gros ils ne sont pas fiables et essayer de pousser ainsi la Russie à refuser un troisième tour de négociation en se disant : « Écoutez ça ne sert à rien puisqu'à chaque fois qu'on décide de quelque chose de toute façon, ils sabotent le processus. » Donc ça peut être aussi une façon, bien sûr, de saboter totalement le processus de négociation ultérieure.

Les morts gênants, mieux vaut qu’ils restent loin

RT : Existe-t-il pour Kiev une opportunité de se retirer de ces accords conclus à Istanbul ? Depuis combien de temps est-il possible pour Kiev d’ignorer ces 6 000 corps ?

C. N. : Vous savez, à l'époque où il y avait encore les accords de Minsk, l'Ukraine a fait traîner pendant des années, ne serait-ce que les échanges de prisonniers. Elle a fait traîner les négociations sur tous les points politiques de 2014 jusqu'à 2022. Donc, dans l'absolu, Kiev peut faire traîner ce processus et laisser ses 6 000 corps sur les bras de la Russie aussi longtemps qu'elle le souhaite.

Il ne faut pas oublier non plus que la Rada vient de voter une loi qui repousse à deux ans après la fin du conflit la reconnaissance des soldats disparus sur le champ de bataille comme étant morts. On voit que l'Ukraine est absolument prête à tout pour repousser cette échéance au maximum. Un, en votant cette loi. Deux, en refusant tout simplement de récupérer les corps.

Donc je pense que ce qu'ils vont essayer, c'est de délayer, c'est-à-dire d'en récupérer peut-être 100 ou 200, et puis de faire traîner encore pendant plusieurs mois avant d'en récupérer encore 100 ou 200.

Le problème c'est que l'Ukraine perd énormément de soldats sur le champ de bataille. Ces soldats abandonnent leurs camarades morts au combat de manière systématique c'est dire pour ça qu'on a une telle quantité monumentale de corps qui sont en possession de la Russie. C'est d'ailleurs aussi un des points qui fait que cette récupération massive de corps est très inconfortable médiatiquement pour l'Ukraine, y compris en interne, parce que quand les gens vont voir qu'on récupère 6 000 corps d'un coup, ils vont se rendre compte que l'abandon des corps des soldats tombés au combat est une pratique systémique. Ce n'est pas un accident. C'est quelque chose qui se fait partout sur le front. Donc c'est très mauvais pour l'Ukraine et pour Volodymyr Zelensky.

Et plus il repousse la récupération de ces corps, plus il s'expose aussi à des troubles sociaux, puisque les familles sont au courant que cet accord a été conclu à Istanbul et vont attendre impatiemment la récupération de ces corps. Et quand ils vont voir que ça va traîner ad vitam et bien il va y avoir un moment où je pense que leur patience va arriver à bout.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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