En invoquant une «menace russe existentielle», Jean-Noël Barrot ne fait pas que prolonger la ligne belliciste de l’Élysée : il ouvre un front intérieur contre la mémoire, la culture et la pensée françaises. Pour Karine Bechet-Golovko, ce ne sont pas les chars russes, mais les élites globalistes qui menacent la France.
Jean-Noël Barrot, qui, rappelons-le, est ministre des Affaires étrangères, non pas de la guerre, ni de la propagande, vient de déclarer, peu avant sa visite à Kiev : « La Nation est désormais engagée dans un effort historique de réarmement. Mais ce réarmement ne peut être que militaire. Il passe aussi par les armes de l’esprit : la culture, le savoir, la pensée. Ces armes sont celles de la conscience. »
Autrement dit, la France est entrée en guerre contre elle-même pour faire la guerre à la Russie au nom des intérêts supérieurs globalistes.
Le gouvernement français a déclaré la guerre aux Français, qui ne « pensent pas bien », qui connaissent l’histoire de France, qui connaissent la culture classique. Il faut fournir un « effort de guerre » afin de les réduire à néant. La réflexion, la connaissance de l’histoire, le respect de la culture dérangent. Ils sont un anachronisme, un pâle reflet suranné d’une époque qui doit disparaître. Avec les hommes qu’elle portait en son sein.
Si l’on se souvient de l’histoire, même récente, alors on peut comprendre que la Russie n’a pas agressé « l’Ukraine », ni en 2014, ni en 2022. Elle n’a pas organisé la Révolution orange de 2004, qui a détruit les institutions politiques de l’Ukraine post-URSS en jouant la rue contre les urnes, avec un troisième tour électoral anticonstitutionnel, validé par la « communauté internationale » contre le système juridique.
La Russie n’a pas organisé le Maïdan de 2014, qui a noyé dans le sang, la haine, et la bestialité une société qui, finalement, s’éloignait de la Révolution orange et se normalisait. Ce n’est pas la Russie qui a développé les programmes de l’OTAN sur le sol ukrainien, ni l’opération canadienne UNIFIER ; ce n’est pas la Russie qui a refusé, en hiver 2021, d’établir l’architecture d’une nouvelle sécurité internationale ; ce n’est pas la Russie qui parlait de doter l’Ukraine de l’arme atomique ; et ce n’est pas non plus la Russie qui, en février 2022, a intensifié le bombardement du Donbass et touché les régions limitrophes russes, sans parler des attaques contre la Crimée, terre constitutionnellement russe.
Donc, ce n’est pas la Russie qui a agressé l’Ukraine. Ce n’est pas la Russie qui occupe l’Ukraine. Ce sont les élites globalistes. En 2004, l’Ukraine a fait l’objet d’une agression « politique » de la part des Atlantistes, afin de briser le cordon ombilical qui la relie depuis un millénaire à la Russie. En 2014, l’Ukraine a fait l’objet d’une agression armée, afin d’achever par la terreur ce que la Révolution orange n’a pu réaliser. L’ébauche d’une Ukraine indépendante de la Russie a pris fin : comme à chaque fois à travers l’histoire, elle n’est créée que pour être instrumentalisée par l’Occident contre la Russie.
Si les gens protègent leur mémoire historique, alors toute l’ingénierie sociale de constitution de la figure de l’ennemi risque de s’écrouler. Car l’ennemi apparaît, déchire le voile de l’illusion. Ce n’est plus le visage de la Russie, mais le portrait défiguré des élites globalistes qui s’impose alors.
C’est bien la raison pour laquelle les élites dirigeantes françaises ne cessent, sur tous les tons, d’affirmer la « menace russe ». Elles l’affirment, la posent, ne la démontrent pas. Cette « menace russe » est la pierre angulaire de toute la politique atlantiste, or les postulats ne se démontrent pas. Ils se révèlent ou s’écroulent.
Avec le renforcement de l’implication de la France dans le conflit sur le front ukrainien contre la Russie, les déclarations politiques des dirigeants français se font de plus en plus virulentes.
Ainsi, après le sommet européen organisé à l’Élysée en février 2025 pour discuter de la guerre en Ukraine et de la question de la sécurité européenne, le président français Emmanuel Macron a déclaré que la Russie était une « menace existentielle pour l’Europe ». Dans la foulée, le ministre des Affaires étrangères d’insister : « La Russie a décidé de faire de nous des ennemis et nous devons ouvrir les yeux, réaliser l'ampleur de la menace et nous en prémunir. »
L’inversion accusatoire doit permettre de faire perdurer l’illusion que les élites globalistes se défendent, alors que la Russie est censée agresser. Elles tentent ainsi de construire le discours de la défense de la patrie en danger. Évidemment, à aucun moment, nos dirigeants ne peuvent reconnaître que ce sont leurs déclarations et décisions qui mettent la France en danger. La patrie en danger.
Et la spirale politico-médiatique ne fait que s’intensifier. En visite à Singapour en mars 2025, Barrot déclarait que la menace d’une agression russe, de rien moins que l’Europe, n’est pas théorique. Nous en arrivons désormais à l’état-major français, qui déclare sans sourciller que la Russie aurait fait de la France une de ses cibles prioritaires.
Quand on s’implique ouvertement et démonstrativement dans une guerre, on devient partie au conflit. Et, à un moment donné, quand la Russie n’aura plus le choix, elle risque de bien devoir l’admettre. Et d’en tirer les conséquences. Ce à quoi les Français ne sont pas prêts : ce ne sont ni ces dirigeants, ni les « patriotes atlantistes » d’internet, qui iront prendre les armes.
Finalement, les « experts » de plateau sont persuadés que, techniquement, il n’y aurait aucun problème à agresser la Russie à Kaliningrad. Certes, ils le formulent différemment, mais in fine, il s’agit de faire entrer ce qui est une agression militaire contre la Russie dans le domaine du possible, un possible qui doit, à terme, être accepté par la population.
L’escalade n’est pas anodine. Heureusement, ces élites fanatiques sont confrontées à un écueil : la société actuelle, qui résulte d’un demi-siècle de déstructuration, est faible, et la stabilité de leur pouvoir dépend justement de la faiblesse structurelle de cette société. Remasculiniser la société, ce qui est inévitable dans le cadre d’un conflit armé, constitue un risque qu’elles ne peuvent se permettre. C’est bien le moment pour que les peuples reprennent les rênes du pouvoir, ramènent leurs pays dans leur cours historique.
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