Bienvenue dans Walking Dead Europe

Bienvenue dans Walking Dead Europe Source: Reuters
Des migrants attendent en Hongrie pour embarquer dans des bus qui les mèneront à la frontière autrichienne.
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D'après l'analyste Pepe Escobar, les citoyens de l’Union européenne sont de plus en plus pour se débarrasser du volet politique de l’UE, dont le seul aspect qui fonctionne encore est son statut de marché géant.

Le reste est un vrai chaos : l’euro est devenu synonyme de chômage de masse, les Européens âgés de 18 à 34 ans se disent être une génération «perdue» ou au moins «sacrifiée», les «valeurs» européennes s’évaporent avec la montée de l’extrême droite populiste ; le «pacifisme» se transforme en guerre chaude et froide de la Syrie à la Russie ; et, de Paris à Bruxelles, les villes européennes sont assaillies par des salafistes djihadistes.

Appelez cela l’Europe Walking Dead

Le «non» au référendum aux Pays-Bas [sur l’accord d’association Ukraine – UE] ainsi que l’éventualité qui approche d’un Brexit sont autant d’aspects de l’Europe Walking Dead. Ajoutez désormais à cela une insulte suprême : quelle vision l’UE pourrait-elle bien proposer au monde alors qu’elle laisse le sultan turc Erdogan décider de qui peut passer les portes de la forteresse européenne ?

Même les intégrationnistes européens reconnus comme Le Monde, ancien grand journal devenu cheerleader de l’empire du chaos, publient de longs essais sur ce malaise.

Même si la fascination pour les empires en déclin est réelle (c’est tellement classe de faire des digressions à ce sujet, genre Mort à Venise, en sirotant du Cristal et en baffrant du caviar iranien), les vétérans chevronnés de la Commission européenne à Bruxelles sont perplexes face aux désirs de mort de la machine européenne.

C’est toujours facile d’oublier que le projet européen est né en mai 1950 en tant que marché commun. La mise en commun du charbon et de l’acier écartait tout risque d’une nouvelle guerre entre la France et l’Allemagne, et cette paix était doublement garantie par la protection offerte par les Américains. Dès le départ, ce protectorat américain impliquait que l’OTAN serait en réalité le vrai marché, beaucoup plus grand qu’une mini UE naissante et qui s’élargirait sous l’égide de la Pax Americana et le sentiment de peur qui régnait durant la Guerre Froide.

Après la chute du mur de Berlin, l’UE a progressivement ouvert ses portes à presque tous les  nouveaux venus européens. Officiellement, ce nouvel élan était justifié par la nécessité de répandre la «paix» et les «valeurs» du siècle des Lumières. En pratique cela permettait l’expansion de l’OTAN, avec d’énormes sommes destinées à la «reconstruction» et à la «modernisation» de l’Europe, en particulier de l’Europe de l’Est.

Cette démence expansionniste est arrivée jusqu’à la Turquie et l’Ukraine - tout cela orchestré par l’OTAN

Cette démence expansionniste est arrivée jusqu’à la Turquie et l’Ukraine - tout cela orchestré par l’OTAN qui, autrement, menaçait comme à son habitude de couper les vivres, et qui aujourd’hui impose son discours officiel à Bruxelles. Discours selon lequel la nouvelle guerre froide a été lancée par «l’agresseur russe».

Et que deviennent ces «valeurs»? L’Allemagne creuse sa propre tombe en ouvrant ses portes à l’afflux de réfugiés lâchés par Ankara pour les refermer juste après, annulant de facto le droit à l’asile politique. Les cyniques ont bien raison de noter la ressemblance avec le mur mexicain de Donald Trump.

Sur le Thalys de la mort

Le vrai débat, à Bruxelles, à Berlin et à Paris, est : les institutions supranationales de Bruxelles ont-elles rendu leur dernier souffle à cause de nations-Etats incontrôlables ? Les premiers accusés sont les pays de l’Europe de l’Est, en particulier la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie, et leur pratique de la « démocratie arbitraire ». Evidemment, l’Europe de l’ouest, riche et libérale, ne figure pas sur le banc des accusés.

En conséquence, logiquement, Berlin devrait tôt ou tard se mettre à restreindre l’aide aux pays de l’Europe de l’Est. Rappelons que la Pologne reçoit à elle seule 15 milliards d’euros par an.

L’Europe de l’Est est prête à couler, mais sûrement pas à sortir de l’UE. Quoi de plus masochiste, pour la Pologne, que de se retirer de l’UE et de se retrouver alors coincée entre deux ennemis historiques, l’Allemagne et la Russie ?

Si l’euro s’écroule c’est tout le marché commun qui s’effondre avec

Le rêve d’une Europe fédérale peut être enterré. Après tout, qu’est-ce que l’UE apporte de bon, à part la multiplication des vols de compagnies aériennes lowcost vers les destinations du Club Med ? Certes, le système de production européen est devenu si intégré que le défaire serait très onéreux. Chaque matin, le Thalys au départ de Paris est rempli d’hommes d’affaires. Cependant, si l’UE survit, à deux, voire trois vitesses, l’euro est une toute autre histoire. Car si l’euro s’écroule c’est tout le marché commun qui s’effondre avec.

D’après le Traité de Maastricht, chaque Etat membre s’est engagé à contrôler ses propres finances. En réalité ce n’est pas le cas. Désormais, l’UE tente de bricoler avec le Traité de Maastricht et la Banque centrale européenne (BCE), de son côté, est intoxiquée par ses interventions.

Sans un budget fédéral et une aide colossale que de nouveaux membres de la zone euro pourraient apporter, l’austérité – et non les diamants – est éternelle

Certains, à Bruxelles admettent que l’euro est dans une impasse. Sans un budget fédéral et une aide colossale que de nouveaux membres de la zone euro pourraient apporter, l’austérité – et non les diamants – est éternelle. Et les membres les plus pauvres en paieront le prix. Même si l’Europe ne peut pas se défaire de l’euro (les banques européennes seraient incapables de revenir en arrière) la seule issue, c’est-à-dire l’intégration de nouveaux membres à la zone euro, est bloquée.

Le somnambulisme mène à la médiocrité

La tragique crise financière de la Grèce a démontré que la troïka pouvait imposer en toute impunité des réformes sociales à un Etat souverain. Cela représentait une forme «d’intégration», mais toujours sous l’égide de la despotique troïka. En conséquence, Bruxelles ne pouvait que perdre davantage de sa légitimité politique.

Certains anciens responsables de la Commission européenne pensent que la bataille pour l’Europe sera essentiellement juridique. La Commission européenne veut maintenant faire croire à tout le monde que les règles de l’Espace Schengen s’appliquent toujours. Même si ce n’est pas le cas. Même s’il n’y a plus de libre circulation à l’intérieur de Schengen. Même si la Hongrie et la Slovaquie ont tout de suite contesté la décision du Conseil européen d’allouer des quotas de migrants à chaque Etat membre.

Les choses risquent de se gâter si l’Allemagne refuse l’intégration de nouveaux membres à la zone euro pour ne pas accabler davantage ses contribuables.

Pascal Lamy, ancien commissaire européen, est très contrarié par la perte d’influence de l’UE, l’érosion de ses «valeurs» et le déclin de l’identité européenne face aux Américains, aux Russes et aux Chinois.

L’Europe ne représente pas une priorité pour les Etats-Unis, plongés dans la guerre électorale. Pour eux, elle est malléable et incapable d’une quelconque influence. Pour les Russes et les Chinois, qui se sont embarqués dans une alliance stratégique, ce qui compte c’est de faire de bonnes affaires avec l’Europe, en espérant que l’Europe sache encore en faire. Mais cela s’avère impossible, notamment à cause de la myopie idéologique, de la médiocrité et/ou de la grande stupidité des dirigeants politiques de l’UE.

Ce qui nous attend n’est pas joli. Il y a ici un peu du film de Christopher Clark, Les Somnambules, qui raconte comment l’Europe a marché vers la guerre en 1914. Mais c’est finalement un spectacle américain à petit budget qui en donne la meilleure idée : Walking Dead Europe.

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