«Quinze ans, des centaines de milliers de vies et des milliards de dollars et finalement, la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme a mené à une instabilité plus grande que nous aurions pu imaginer», estime la journaliste Danielle Ryan.
Quinze ans, des centaines de milliers de vies et des milliards de dollars et finalement, la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme a entraîné une plus grande instabilité, une violence et un chaos que nous ne pouvions imaginer quand cette campagne mondiale indéfinie et infinie a commencé.
Aujourd'hui, les groupes terroristes djihadistes contrôlent plus de territoires et constituent une menace plus importante pour le monde que le 11 Septembre 2001. La semaine dernière, la société de sécurité américaine Soufan Group a procédé à un sondage selon lequel la plupart des préoccupations d’après le 11 septembre concernant le terrorisme global sont «bien plus fortes aujourd'hui qu'en 2001». Le groupe a suggéré que la propagation de l'extrémisme violent avait «dépassé tout ce que [Oussama] ben Laden pensait probablement être réalisable au cours d’une période de quinze ans».
C’est la raison pour laquelle les actions de Washington en Syrie semblent être tout à fait inconcevables pour ceux qui voudraient faire croire que l'objectif principal des Etats-Unis dans ce pays est la lutte contre les terroristes. Je suis l’une de ces personnes : je voudrais croire que la priorité numéro un de Washington, globalement, est de se battre contre le terrorisme. Je voudrais croire qu'ils vont mettre de côté les différences qu’ils ont par rapport à d'autres puissances mondiales, y compris la Russie, en poursuivant cet objectif. Malheureusement, cependant, croire à une telle chose ferait de moi quelqu’un d’incroyablement naïf.
Il est difficile d'imaginer que la situation en Syrie puisse empirer ou être plus compliquées, et pourtant c’est le cas
Pour rappel: les Etats-Unis ont en effet revendiqué que leur objectif principal en Syrie était de «dégrader et détruire» Daesh, mais au lieu de s'allier avec l'armée syrienne, qui se bat contre Daesh sur le terrain, Washington a soutenu pendant des années l'opposition constituée par les forces «rebelles modérées» qui combattent les forces gouvernementales de Bachar al-Assad. Autrement dit, Washington soutient les groupes qui attaquent l'armée qui est la mieux placée pour vaincre Daesh.
Les Etats-Unis soutiennent les forces rebelles afin de poursuivre leur objectif à plus long terme qui est un changement de régime en Syrie. Alors que la guerre s’éternise, il est devenu clair que les forces rebelles soutenues par les Etats-Unis ne sont pas «modérées» dans le sens que vous ou moi le concevez. Ils ont combattu aux côtés de la filière «officielle» d'Al-Qaïda en Syrie, le Front Al-Nosra – qui a récemment pris le nom de Front Fatah al-Cham).
L'un des principaux points de désaccord dans les négociations entre les Etats-Unis et la Russie sur le cessez-le-feu en Syrie a été la question de la capacité de Washington à faire la différence entre les rebelles soi-disant «modérés» et les extrémistes. Jusqu'à présent, aucun désenchevêtrèrent de ce genre n’a eu lieu, ce qui démontre que les Etats-Unis ont peu ou n’ont pas de contrôle sur leurs mandataires.
Un accident ou un acte intentionnel ?
Il est difficile d'imaginer que la situation en Syrie puisse empirer ou être plus compliquée, et pourtant, c’est le cas. Un peu plus d'une semaine après que Washington et Moscou ont négocié un nouvel accord de cessez-le-feu à Genève, les forces de la coalition américaine ont bombardé une base militaire syrienne à la périphérie de la ville de Deir es-Zor, tuant plus de 60 soldats et en blessant beaucoup d'autres. Le bombardement a permis aux militants de Daesh d'envahir les positions de l'armée syrienne presque immédiatement. Peu après, les Etats-Unis ont admis qu'ils étaient responsables des frappes aériennes, tout en affirmant qu'ils n’auraient jamais frappé intentionnellement une base militaire syrienne dont ils connnaissaient l'existence.
Moscou et Washington s’entre-déchirent, et la trêve peut très bien, semble-t-il, se diriger vers un échec
Cette demande a été accueillie avec un grand scepticisme à Moscou comme à Damas. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a dit que la Russie avait atteint la «conclusion terrifiante» qu'en frappant la base syrienne et en facilitant ainsi l'avance de Daesh, les Etats-Unis défendaient le groupe terroriste. Le Commandement général syrien a qualifié le bombardement d’«agression flagrante» et de «preuve concluante» que les Etats-Unis soutenaient les militants de Daesh dans leur combat contre l'armée de Bachar el-Assad.
Damas a également affirmé que si, en effet, il s'agissait d'une erreur des forces de la coalition américaine, ce serait une «conséquence directe» du refus de Washington de coordonner pleinement ses bombardements et ses cibles avec la Russie. Les Etats-Unis ont beaucoup misé sur les images satellite en leur possession, tandis que la Russie, qui travaille avec le gouvernement syrien, bénéficie d’«un meilleur renseignement humain», rapporte un ancien officier du renseignement britannique, le MI5, Annie Machon.
Elle a noté qu'il était «incroyable» que cette attaque aérienne puisse être une erreur, Annie Machon a rappelé qu’il y a quelques semaines, l'ancien directeur adjoint de la CIA, Michael Morell, avait fortement recommandé aux Etats-Unis de tuer les forces russes et syriennes afin de «faire peur» à Assad et à Moscou. «Je me demande s'il y a des éléments au sein de la structure du pouvoir des Etats-Unis qui poursuivent le plan de ce type et bombardent les forces militaires d'Assad pour lui faire peur, pour effrayer les Russes, pour essayer simplement de marquer des points», a déclaré l'ex-officier britannique.
Que vous croyiez que le bombardement de la base syrienne soit intentionnel ou non, c’est presque sans importance à ce stade. Le mal a été fait
D'autres ont conclu que les Etats-Unis disaient peut-être la vérité en affirmant que ces frappes étaient involontaires et que Daesh était la cible visée. Il est peu probable – estiment certains autres – qu’à ce moment-là, les Etats-Unis voulaient faire quelque chose qui mette en péril un cessez-le-feu fragile et se donner un immense mal de tête en matière de communication. Donc, si cela a été une erreur, c’était le pire moment imaginable pour en commettre une.
Stratégie en ruines
Mais franchement, que vous croyiez que le bombardement de la base syrienne soit intentionnel ou non, c’est presque sans importance à ce stade. Le mal a été fait. Le cessez-le-feu, pour lequel, tout d’abord, il n'y a jamais eu beaucoup d'espoir, est déjà en danger. Les forces rebelles tout comme le gouvernement Assad ont allégué de multiples violations. Maintenant, après l'attaque de Deir es-Zor les tensions sont encore plus élevées. Moscou et Washington s’entre-déchirent et la trêve qui devait conduire à une campagne aérienne coordonnée russo-américaine contre Daesh peut très bien, semble-t-il, se diriger vers un échec.
Sachant que leur stratégie est en lambeaux, il n'y a rien à faire pour les Etats-Unis à part l'admettre – ce qui ne se produira jamais – ou de continuer à parler en long et en large
D’autres preuves du désarroi qui règne sur la politique américaine ont été données dans la ville d'al-Rai à la frontière turque il y a quelques jours, quand un petit groupe de soldats des forces spéciales américaines a été menacé et poussé hors de la ville par les forces rebelles traitant les Américains d’«infidèles» et de «porcs» en leur disant de se préparer pour l'abattoir. Seulement pour être vraiment claire à ce sujet : les forces rebelles que les Etats-Unis ont activement armées et financées appellent maintenant à abattre des soldats américains. Un expert de la Syrie, Joshua Landis, a qualifié cet incident de «scène très embarrassante» pour les Etats-Unis, étant donné que ces milices soi-disant modérées sont censées être bienveillante vis-à-vis de l’aide fournie par les Etats-Unis.
Sachant que leur stratégie est en lambeaux, il n'y a rien à faire pour les Etats-Unis à part l'admettre – ce qui ne se produira jamais – ou de continuer à parler en long et en large. Sans surprise, ils ont choisi la deuxième voie. Cela est devenu très clair quand l'ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Samantha Power s’est présentée devant les caméras le 17 septembre pour accuser la Russie de «moraliser et faire de la démagogie» concernant l’attaque de Deir es-Zor. Elle est allée jusqu'à qualifier la convocation par la Russie d'une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l'ONU de «coup» – à quatre reprises. Au lieu d'essayer d’apaiser les tensions, Samantha Power «a mis des bâtons dans les roues» de toute l’opération et «devrait être licenciée», d’après le rédacteur en chef de Intelligence Review Magazine à Washington, qui croit que le secrétaire d'Etat américain John Kerry pourrait être mécontent du manque de tact de la réponse de son ambassadeur auprès des Nations unies. Imaginez seulement que les rôles aient été inversés et qu'au milieu d’un cessez-le-feu, la Russie ait bombardé illégalement des alliés des américains. Samtha Power se retrouverait vraisemblablement au premier rang des défenseurs du moralisme et de la démagogie.
Quelle est la but ultime de Washington dans tout cela ? Barack Obama a-t-il une sorte de plan dans sa manche, dont nous ignorons l’existence ? A-t-il, comme Donald Trump, un plan «secret» pour battre Daesh ? Ou essaie-t-il seulement de temporiser jusqu'à ce que ce soit à Hillary Clinton – espère-t-il – de traiter le problème ?
Quel que soit ce plan, il est grand temps de le réévaluer.
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