Jean Bricmont : avec Macron, Hollande mériterait «le prix Nobel de manipulation politique»

Jean Bricmont : avec Macron, Hollande mériterait «le prix Nobel de manipulation politique» © Charles Platiau Source: Reuters
Emmanuel Macron et François Hollande
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Présumé candidat antisystème, Macron en est un pur produit, un clone de Hollande, explique l'essayiste Jean Bricmont. Pour qui l'emprise médiatique et l'ignorance de l'histoire font qu'on peut devenir président même si on nie la culture française.

RT France : Benoît Hamon et François Fillon ont apporté leur soutien à Emmanuel Macron. Pensez-vous que le deuxième tour est déjà dessiné ce soir ?

Jean Bricmont (J. B.) : Oui, je pense que le deuxième tour est dessiné. Je pense qu’il y aura une campagne massive en faveur d’Emmanuel Macron. Il y a déjà eu une campagne massive pour lui durant le premier tour – regardez tous les médias, toutes les couvertures. Il est un pur produit des médias. Il n’a jamais été élu même dans une mairie, député, rien du tout. Il n’a pas de carrière politique. C’est un banquier d’affaires qui est rentré dans le cabinet de François Hollande. Et François Hollande, en se rendant compte qu’il était lui-même impopulaire, a décidé de faire élire son clone, et il y est arrivé. Je pense qu’il devrait avoir le prix Nobel de la manipulation politique, parce que c’est un tour de magie.

Les gens vont voter pour Emmanuel Macron par défaut, pour éviter Marine Le Pen, c’est toujours le truc de l’agitation anti-Le Pen qui marche

RT France : Pourquoi Emmanuel Macron va-t-il être élu ?

J. B. : Par rejet de Marine Le Pen. Aussi parce qu’on le présente comme nouveau et antisystème, alors qu’il est le pur produit du système, parce qu’il est soutenu par tout le système médiatique, par les banquiers, par les européistes, par tout le monde. Et il va être élu comme antisystème, car les gens qui regardent la télé disent qu'il est jeune, qu'il est sympa, qu’il va tout changer, qu'il n' est ni de gauche ni de droite, et cela marche.

C’est effrayant de voir l’emprise des médias sur le peuple français. Ceci dit, il n’a que 20-25% environ de l’électorat, et le reste ne l’aime pas. Les électeurs de François Fillon ne l’aiment pas, et vont se rallier à lui soi-disant pour sauver la République. Tout comme les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Evidemment, c’est ridicule, parce que Marine Le Pen ne va pas renverser la République. Il va se retrouver face à une population qui est assez hostile, et ça c’est une base de résistance.

Fillon était Premier ministre pendant la guerre en Libye, et c’est bien plus criminel que de se faire acheter des costumes par les copains

Si je prends Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, François Mitterrand, Charles de Gaulle... Tous ces gens avaient un certain soutien de la masse, mais Emmanuel Macron, je ne vois pas où. J’estime que les gens ont voté pour lui par défaut, pour éviter Marine Le Pen. Et là, ils vont voter au deuxième tour pour éviter Marine Le Pen... C’est toujours le truc de l’agitation anti-Le Pen qui marche. Pour éviter l’extrémisme, le chaos... C'est pour ces raisons qu'ils n'ont pas voté Jean-Luc Mélenchon non plus et il n’y avait pas d’autres candidats. Certes, il y avait François Fillon, mais il a été assassiné par les affaires, qui sont très discutables. Je ne dis pas que ce n’est pas vrai, mais il était Premier ministre pendant la guerre en Libye, et c’est autre chose que de se faire acheter des costumes par les copains. C’est bien plus criminel, et il n’a pas démissionné à ce moment-là. Mais comme il a joué au «Père la Vertu», le grand catholique qui veut prendre des mesures d'austérité, il faut être au-dessus de tout soupçon, etc... Et puis on a été lui chercher toutes ces casseroles. Evidemment, ça lui a coûté. Il a souffert de tout cela, toutes ces manœuvres, parce que s'il n'y avait pas eu ça, il aurait été élu dans un fauteuil.

Emmanuel Macron est au deuxième tour, et il est héritier du PS – c’est ça  qui est terrible à dire

RT France : On se retrouve pour la première fois avec les deux grands partis historiques français, le PS et Les Républicains, qui ne sont pas au deuxième tour…

J. B. : Emmanuel Macron est au deuxième tour, et il est l'héritier du Parti socialiste. C'est assez terrible à dire. C’est vrai que dans l’esprit des gens, on voit un rejet. C’est un paradoxe. Il est un pur produit du système, mais risque d’être élu comme passant pour antisystème, c’est un tour de magie. Il n’y a pas de magicien qui fasse des trucs aussi extraordinaires. Il passe comme s’il était hors système, ni de gauche ni de droite, «on est fatigué de la politique traditionnelle»... Les Républicains et Benoît Hamon qui est soi-disant candidat du PS – soi-disant, parce que le vrai candidat c’était Emmanuel Macron – sont éliminés dès le premier tour, ce qui est un peu un séisme.

Avec le processus de Maastricht et la construction européenne, la France a abandonné sa souveraineté sur toutes sortes de sujets

Je souhaite bonne chance à Emmanuel Macron, parce que cette élimination reflète une insatisfaction profonde dans la société française, qui n’est pas facile à résoudre et qui a à voir fondamentalement avec l’absence de la souveraineté de la France sur ses propres décisions. Parce qu'avec le processus de Maastricht et la construction européenne, la France a abandonné sa souveraineté sur le droit, sur les lois, sur les frontières, sur le militaire, sur toutes sortes de sujets. Les Français, en tant que peuple qui a une histoire, une identité et une conscience très fortes – je ne parle pas de nationalisme, mais plutôt d'une certaine dignité, ce qui est sain – n’acceptent pas cela.

Mais il n’y a pas d’analyse de fond qui est faite, pas de discussions, les médias enfument... et on se tourne vers Emmanuel Macron. Il aura beaucoup de mal à gouverner. Je trouve triste d’avoir un président de la France qui dit qu’il n'y a ni art, ni culture française. La France ne mérite pas ça. Il est peu probable que cela aurait été possible aux Etats-Unis, en Russie, en Israël, voire même en Allemagne. Il n’y a qu’en France, où d’une certaine façon, il y a un culte du dénigrement constant du pays par les élites, qui a envahi l'éducation, les universités, qui fait qu'on peut être élu président en disant de telles choses.

On peut ne pas aimer Marine Le Pen, ce n’est pas ça la question, ou être pour Macron parce qu’on est pour l’Europe par exemple, mais le fascisme n’est pas un argument

RT France : Pensez-vous que dans deux semaines, au deuxième tour, on va avoir un fort taux d'abstention ?

J. B. : Je l’espère, mais l’excuse de la lutte contre le fascisme… On peut ne pas aimer Marine Le Pen, ce n’est pas ça la question, ou être pour Emmanuel Macron parce qu’on est pour l’Europe par exemple, mais le fascisme n’est pas un argument. A propos de la polémique du Vel d'Hiv, Marine Le Pen a repris la position de Charles de Gaulle qui était que la France n’est pas coupable, parce que la France était à Londres et non pas à Vichy. Quand elle dit ça, on lui dit «vous retombez dans l’extrême droite», dans les trucs de son père qui, alors que le FN traditionnellement, tout du moins ceux qui étaient vichystes, disait le contraire. On crée de l’ignorance et de l’incompréhension de l’histoire pour culpabiliser les Français, qui ne sont évidemment pas responsables, parce qu'ils n'étaient pas nés à l'époque. Mais cela montre une mentalité dans les élites – qui est vraiment pathologique – de haine de la France, de haine de tout ce qui peut représenter le peuple français et son histoire... au point que lorsque Marine Le Pen fait un tournant à 180 degrés sur la position qui était celle du FN, en adoptant une position gaulliste plutôt que pétainiste, on lui dit qu’elle est pétainiste.

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