Pierre Levy, du mensuel Ruptures, analyse la réaction européene à l'assassinat du général iranien Soleimani, le 3 janvier à Bagdad au moyen d’un drone par l'armée américaine. Et si les responsables de l'UE admonestaient, hélas, le mauvais camp ?
Il est sans doute trop tôt pour cerner toutes les raisons qui ont conduit le président américain à ordonner l’assassinat d’un général, considéré par les Iraniens comme un héros et de son adjoint irakien. Il est en revanche possible de pointer un extraordinaire contraste.
D’un côté, un assaut militaire d’une exceptionnelle gravité, tant politique que juridique. Pour mesurer celle-ci, il suffit par exemple d’imaginer Vladimir Poutine diligentant la liquidation du plus haut gradé ukrainien auréolé de gloire sur le front de l’Est et ce, sur le sol d’un proche allié de Kiev. Ou bien le Guide suprême iranien revendiquant fièrement l’élimination sur le territoire britannique du plus illustre des généraux américains.
On ose à peine imaginer les tirades guerrières, les bruits de bottes et de sabre, sans parler des sanctions apocalyptiques qui n’auraient pas manqué de réchauffer la planète en moins de temps qu’il ne faut pour composer un tweet vengeur.
De l’autre, après le raid ordonné par la Maison-Blanche, les réactions des chancelleries européennes, et singulièrement des plus hauts responsables de l’UE, ont brillé par leur modération, pour ne pas dire leur indulgence. Faut-il préciser que le simple terme diplomatique de «condamnation» (dont on n’est guère avare par ailleurs) n’est évidemment sorti d’aucune bouche bruxelloise. Tout juste a-t-on entendu «inquiétude», «préoccupation».
Mieux : les «appels à la retenue» ont été adressés «aux deux parties», avant que les exhortations à la «modération» ne soient finalement redirigés exclusivement vers Téhéran, dès lors que l’Iran a indiqué qu’il ne laisserait pas un tel forfait impuni.
Et quand Donald Trump a martelé, à deux reprises, qu’il n’hésiterait pas à bombarder les sites culturels perses, la Commission européenne, interrogée par des journalistes, a répondu… qu’elle n’avait «aucun commentaire» à faire. (Pour sa part, le porte-parole du Premier ministre britannique a rappelé qu’il s’agirait de «crimes de guerre» ; Boris Johnson, qu’on ne peut vraiment pas accuser d’anti-américanisme excessif, s’est manifestement senti libre de passer outre le silence de Bruxelles, proximité du Brexit oblige).
On ne s’étonnera pas, au demeurant, de l’attitude de l’UE. Son attachement au camp occidental est génétique. Et la voir condamner les commandos US était aussi réaliste que d’imaginer l’OTAN mobiliser ses troupes d’élites pour entraver le bras de Washington…
A ce stade, chacun a été obligé de constater que la riposte iranienne s’est caractérisée par une grande pondération. Au point même qu’à écouter certains eurodéputés et journalistes de grands médias, on devine presque une secrète déception… Les mêmes parlaient pourtant la veille du risque d’«engrenage». Un terme certes pas faux, mais qui laisse dans le flou les responsabilités respectives.
Car, faut-il le rappeler, les tensions entre Washington et Téhéran ont été initialement relancées par la dénonciation unilatérale par Washington, en mai 2018, de l’accord avec l’Iran visant à limiter la production de nucléaire (civil) par ce pays (accord qu’on n’est par ailleurs pas obligé d’admirer, tant il impose des restrictions illégitimes à la République islamique).
Et si l’on veut remonter vers des sources plus anciennes, faut-il rappeler le rôle – depuis longtemps bien connu – des dirigeants américains (et britanniques) dans le renversement, en 1953, du Premier ministre progressiste et nationaliste Mohammad Mossadegh, histoire de maintenir la domination occidentale dans ce pays-clé du Moyen-Orient, riche en pétrole.
Pour l’heure, les conséquences du meurtre du général Soleimani ne sont pas exactement à l’avantage stratégique des Etats-Unis.
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