Avec la crise du coronavirus et avec le naufrage de la bureaucratie française dans la gestion de la pandémie, les relocalisations ont le vent en poupe. Mais personne ne précise le prix à payer pour cette reconquête de la souveraineté.
Il est vrai que les relocalisations et le protectionnisme sont faciles à défendre dans ces moments où la France se découvre étrangement démunie face aux défis contemporains.
Qu’un virus contagieux circule, et l’on découvre que, sans l’industrie chinoise, il n’est pas possible aux Français de disposer de masques pour se protéger contre la contagion. C’est évidemment fâcheux.
Les relocalisations, tout le monde est forcément pour…
Conclusion logique : il faut relocaliser l’industrie en France, notre industrie qui, au fil des années, a préféré se développer à l’étranger et délaisser le territoire national. Faut-il ici reprendre les chiffres bien connus de l’INSEE et de différents instituts, comme Rexecode, qui ont utilement montré que les multinationales françaises créent plus d’emplois à l’étranger qu’en France, à l’inverse des pratiques allemandes ?
On comprend immédiatement que si toutes ces usines parties à l’étranger, ou construites hors de France, étaient rapatriées sur le sol national, bien des problèmes intérieurs (le chômage, la dépendance vis-à-vis de l’étranger) seraient résolus. Alors répétons en boucle : vive les relocalisations ! Et à bas le libre-échange…
Mais pourquoi les délocalisations sont-elles intervenues ?
Par un étrange hasard, les partisans des relocalisations font l’impasse sur les questions embarrassantes que soulève cet objectif industriel. Car si nos usines sont parties méthodiquement depuis une trentaine d’années, le phénomène ne s’explique pas seulement par la méchanceté des patrons qui ont pris la décision de partir. Le choix de l’émigration repose sur des raisons objectives.
Ces raisons sont bien connues : une préférence collective s’est exercée en faveur des prix bas, sur le low cost. Cette préférence est moins celle des producteurs que des consommateurs, parfois les ouvriers eux-mêmes des usines délocalisées, qui veulent acheter moins cher. Ce phénomène a opéré en Europe (où les pays d’Europe de l’Est, comme la Roumanie, ont développé des produits concurrents comme les Dacia), mais aussi en Afrique du Nord ou en Asie.
Ici, un serpent s’est mordu la queue : plus il fallait protéger les salariés occidentaux contre les risques en augmentant le coût du travail, moins les conditions de production en France ont été attractives, et plus vite les usines sont parties à l’étranger.
Parallèlement, la main-d’œuvre française a boudé de plus en plus ouvertement les métiers ingrats de l’industrie, préférant les métiers de service, moins salissants. Cette désaffection a poussé de nombreux industriels à s’installer là où la main-d’œuvre était plus facile à recruter.
Les non-dits de la relocalisation
Dans l’hypothèse où une politique de relocalisation serait décidée, elle se heurterait donc à quelques difficultés qui ne semblent pas avoir été expliquées aux Français.
La première de ces difficultés est d’endosser une hausse des prix sur le marché national. En France, la production ne pourra se faire aux coûts roumains, chinois ou tunisiens. Les prix de vente s’en ressentiront. Or, personne n’a expliqué clairement aux Français que relocalisation était synonyme de perte de pouvoir d’achat.
La deuxième de ces difficultés tient à la disponibilité de la main-d’œuvre, dans tous les sens du terme. Beaucoup de salariés français ont en horreur l’idée que, en signant un contrat avec un employeur, ils mettent leur force de travail à sa disposition. Si l’on veut concurrencer les salariés chinois, il va falloir mettre beaucoup d'eau dans le vin de nos syndicats et de nos revendications salariales.
Tous ces points impopulaires, désagréables, fâcheux, ne sont évidemment ni abordés ni expliqués par tous les adeptes de la relocalisation. Ce slogan risque pourtant de créer quelques déceptions lorsqu’il devra être traduit en acte…
Eric Verhaeghe
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