Angela Merkel ressuscite l’idée d’une union politique en Europe
Alors que la Cour de Karlsruhe et la justice européenne s’écharpent sur le mandat de la BCE, la chancelière allemande allume les contre-feux. Pour elle, une union politique devient nécessaire. Mais de quelle Europe politique parle-t-elle au juste ?
«Il faut une union politique, une union monétaire ne suffira pas.» Pour Angela Merkel, ce vœu de Jacques Delors, quand il était président de la Commission européenne, est plus que jamais d’actualité. Pressée par le Bundestag de réagir à l’arrêt de la Cour de Karlsruhe visant la BCE, la chancelière a répondu qu’il fallait au contraire en profiter «pour faire progresser l’intégration de la zone euro». Ajoutant qu’agir avec une «boussole politique claire» fera de l’euro une monnaie forte et pérenne.
Cette fuite en avant d’Angela Merkel masque à peine l’embarras de Berlin après le cataclysme déclenché par la Cour suprême allemande au début du mois. Dans leur arrêt, les juges de Karlsruhe ont sommé la BCE de s’expliquer, sous trois mois, sur ses rachats de dettes publiques pour soutenir l’économie européenne. Réponse quasi-immédiate de la Cour de justice de l’UE (CJEU) à Luxembourg : le droit européen prime sur les juridictions nationales. En jeu : la participation de la Bundesbank, la banque centrale allemande, aux programmes de rachats d’actifs de la BCE. Et au-delà, la cohésion même de la zone euro. D’où l’urgence de désamorcer la crise.
Christian Saint-Etienne, professeur d’économie au CNAM, voit déjà dans le discours d’Angela Merkel «un exercice de politique interne pour ne pas se faire attaquer sur sa droite». Mais au-delà de la posture politique, son intervention vise surtout selon lui «à faire baisser la pression dans la cocotte-minute allemande après la décision de Karlsruhe».
Pour Jacques Sapir, économiste à l’EHESS et intervenant régulier sur RT France, la chancelière marche sur des œufs : «Sa Cour suprême n’a aucune autorité sur la BCE, mais en Allemagne, aucun politique ne peut être en contradiction avec la constitution. Si la Bundesbank ne peut plus participer aux programmes de rachats d’actifs de la BCE, l’Allemagne devra quitter l’Union économique et monétaire (UEM).» Et sans les Allemands, difficile d’envisager une survie de l’euro. En tous cas tel qu’on le connait.
Ira-t-on juste là ? Jacques Sapir n’y croit pas mais penche plutôt pour un compromis : «La BCE dira qu’elle ne reconnait que l’autorité de la Cour de justice de l’UE, mais qu’elle accepte d’infléchir son programme de rachat de dettes. Ce qui donnera raison à la cour de Karlsruhe.»
Sauver l’euro par une plus forte intégration, d’accord. Mais pourquoi Angela Merkel insiste-t-elle sur la nécessité d’une union politique ? Et de quelle union parle-t-elle au juste ? S’agirait-il d’une union au sein de la zone euro, ou de l’Europe elle-même ?
Pour Christian Saint-Etienne, la question est centrale. Même si la chancelière a toujours été très ambiguë sur le sujet. «Si l’on va vers une union politique dans la zone euro, les chefs d’orchestre ne seront ni Français, ni Italiens. Ils seront plutôt Allemands et Néerlandais !» Un point de vue partagé par Jacques Sapir : «c’est une façon pour les Allemands de répondre à ce que demande Emmanuel Macron depuis deux ans. De lui dire qu’ils ne sont pas contre plus d’intégration, mais à leurs conditions.»
Angela Merkel n’est d’ailleurs pas en reste quand il s’agit d’amadouer ses partenaires Français. Dans son allocution au Bundestag, elle a aussi lié l’intégration de la zone euro aux négociations sur le Fonds de relance européen cher à la France, qui pousse à un plan massif et solidaire pour sortir de la crise du coronavirus. Pour elle, «plus la réponse européenne sera forte, plus la BCE pourra travailler dans un cadre sûr.» De quoi «rassurer» l’Elysée qui salue «l’attachement (de la chancelière) à l’Europe, et montre que la réponse à la crise ne sera pas que monétaire.» Mais attention aux beaux discours, prévient Christian Saint-Etienne, qui bien souvent «n’engagent que les Français, et pas les Allemands !»