L’armée française est au rupteur
Le général Pierre de Villiers, chef d’état-major, s’exprimait devant l’Association des journalistes de défense. Il a fait part de son inquiétude. En l’état actuel, l’armée hexagonale est incapable de s’engager sur un autre terrain d’opération.
«Nous sommes au taquet de nos contrats opérationnels.» Les militaires sont connus pour ne pas s'embarrasser de poésie pour faire passer leur message. Pierre de Villiers s’est montré catégorique : toute nouvelle opération nécessiterait de réduire la voilure ailleurs ou d’augmenter le budget de la Défense.
Pierre De Villiers: l'armée française est "au taquet" https://t.co/K917skDEZW#armée
— Mondemilitaire (@MondeMilitaire) 29 Janvier 2016
Engagée dans de nombreux pays
Imaginons une seconde que, demain, la France soit amenée à mobiliser son armée sur un théâtre de guerre. Selon Pierre de Villiers, elle devrait alors «se désengager quelque part soit augmenter le budget pour avoir plus de moyens». Et pour le chef d’Etat major, cela «nécessite du temps».
Aujourd’hui, les soldats tricolores sont présents sur plusieurs théâtres de conflit au titre des «opérations extérieures» ou Opex. Opérations que le ministère de la Défense définit ainsi : «Il s’agit d’interventions des forces militaires françaises en dehors du territoire national. Elles se déroulent en collaboration avec les organisations internationales (l’ONU et l’OTAN) et les armées locales.»
Depuis le 11 janvier 2013, l’armée française est au Mali afin d’aider les militaires locaux à combattre les groupes jihadistes. Une force de 4 000 soldats est dédiée à la situation en Afghanistan. 1 500 militaires participent à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Cette dernière s'occupe de l’application de la résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations Unies sur l’arrêt du conflit israélo-libanais de 2006.
Mais ce n’est pas tout. Certains théâtres d’opération plus anciens occupent encore l’armée française. Ainsi, elle est déployée au Tchad depuis 1986 dans le cadre du dispositif Epervier. L’opération Licorne, elle, réunit encore 1700 soldats en Côte d’Ivoire. Sans parler des 765 hommes toujours sur le terrain au Kosovo qui agissent sous l’égide de l’OTAN.
Même l’Union européenne mène des opérations militaires incluant la France. Elles se déroulent au large des côtes somaliennes et ont pour but de lutter contre la piraterie et les vols.
Ces Opex n’incluent pas la participation de l’aviation de combat aux frappes en Irak et en Syrie dans le cadre de la coalition internationale contre Daesh.
Ni les 10 000 soldats de l’armée de terre déployés sur le sol national pour l’opération Sentinelle, active depuis les attentats de janvier 2015 et renforcée après ceux de novembre.
«On attend 11.000 soldats supplémentaires (NDLR : en cours de recrutement). En attendant on serre les dents et on a un rythme qui est quand même extrêmement pesant» a concédé le chef d’état major.
Il a notamment fait référence à la crainte du gouvernement face à l’opinion publique. En cas de nouveaux attentats, difficile d’imaginer que le peuple ne demande pas de compte si les effectifs sont réduits trop vite. «On est autour de 10.000 on ne peut pas descendre beaucoup», a-t-il souligné.
Un sursaut budgétaire bien tardif
Cette multiplication des engagements militaires s’est opérée dans un environnement économique dégradé. Lorsque l’on analyse le budget de la Défense de l’année 1980 à celui de 2015, le chiffre peut rassurer. Il est passé de 12,2 milliards d'euros à 31,4 milliards. Mais comme tout bon économiste vous le dira, il est inutile de comparer de telles valeurs. Tout simplement parce qu’en 35 ans, l’inflation a provoqué l’érosion de la monnaie. En «euros constants», on note que le trésor de guerre a connu son pic en 1990. Il s’élevait alors à 39 milliards d’euros. Le ministère de la Défense a donc vu sa dotation baisser d’environ 20% en 25 ans.
Forcé de réagir après les attentats qui ont ensanglanté 2015, François Hollande a annoncé le maintien des crédits destinés à la Défense. Il a même promis une rallonge de 3,8 milliards d’euros entre 2016 et 2019.
Une décision dont s’est félicité le général de Villiers : «Faire plus avec moins, on a déjà donné depuis de nombreuses années, c'est fini ! L'enjeu est le maintien d'un modèle complet d'armée pour couvrir tout le spectre des menaces.»
Pas de quoi rattraper le retard.
Bientôt de retour en Libye ?
Les déclarations de Pierre de Villiers prennent place alors même qu’un retour des forces françaises en Libye est évoquée depuis quelques semaines. Les Etats-Unis pourraient intervenir afin de «rétablir» la sécurité dans le pays à la demande des autorités locales. La France, en tant qu’allié préférentiel de Washington, serait susceptible de remettre le couvert; seulement quelques années après la décision de l’ex président Nicolas Sarkozy de bombarder les forces de l’ancien chef d’Etat Mouammar Kadhafi. Si du côté de la Maison Blanche, un certain flou artistique semble régner, le Premier ministre Manuel Valls a déjà évoqué la possibilité d’engager, à nouveau, l’armée française de l’autre côté de la Méditerranée.
Le 22 janvier, une réunion s’est d’ailleurs tenue entre Pierre de Villiers et son homologue américain, le général Joseph Dunford sur le sujet. Mais le cadre militaire français a évoqué la difficulté d’un tel projet : «Avant tout engagement militaire, il faut une stratégie avec un effet final recherché. Faire une guerre pour une guerre n'apporte pas la paix. Nous avons des exemples récents en Irak, en Libye.»
Il a également fait référence aux pourparlers en cours pour faire reconnaître le gouvernement libyen d’union nationale : «L'évolution stratégique est en cours et ce n'est pas très facile a priori.»