Les quartiers de «reconquête républicaine» : le chant du cygne de Gérard Collomb ? (ENTRETIEN)
Gérard Collomb ne claque pas la porte, mais il annonce son départ en 2019. Qu'adviendra-t-il des promesses qu'il a faites aux forces de sécurité ? Constituent-elles de vraies solutions ? Les policiers de l'UPNI ont répondu aux questions de RT France.
Dès l'annonce de la création d'une police de sécurité du quotidien (PSQ), Gérard Collomb avait fixé un cap : le 15 septembre, la mesure devait être mise en musique. Pour ce faire, un élément de langage avait été retenu : la «reconquête républicaine». Elle devait être engagée dans une soixantaine de quartiers sensibles à travers tout le territoire.
Les moyens engagés devaient comprendre de nouveaux effectifs organisés non en unités, mais en support des effectifs déjà alloués.
Cependant le départ annoncé ce 18 septembre du ministre de l'Intérieur qui devrait quitter le gouvernement après les prochaines élections européennes de mai 2019, ainsi qu'il l'a annoncé lui-même dans un interview au magazine L'Express, remet ses précédents engagements dans la balance et les policiers s'inquiètent de ne pas voir cette mission portée jusqu'à son terme.
Interrogé par RT France, le porte-parole de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), une association de policiers, a exprimé tout son désarroi.
RT France : Que vous évoque le terme de «reconquête républicaine» ?
UPNI : C'est un aveu d'échec ! On a perdu quelque chose au cours des quinze dernières années. Ces réformes entrent en résonance avec tous les essais précédents qui ont été lancés à coups de millions d'euros sans aucun résultat. Ce sont autant de budgets et d'effectifs qui ont été retirés à d'autres unités.
On doit en être à plus de dix morts depuis le début de l'été, déjà
A chaque annonce, ça recommence, mais ce n'est pas en faisant de la politique qu'on va changer ces quartiers. Ce n'est plus un problème d'ordre public, mais un problème plus profond, un problème de réseaux. On peut très bien le voir dans le Var et dans les Bouches-du-Rhône : les forces de l'ordre y sont totalement dépassées par la situation et elles font face à de véritables cartels de la drogue comme en Amérique du sud. On doit en être à plus de dix morts depuis le début de l'été, déjà.
RT France : Comment enrayer ce phénomène ?
UPNI : Ce qu'il leur faut, ce ne sont pas des patrouilles supplémentaires. Il faut absolument s'attaquer aux réseaux mafieux. Ces réseaux contrôlent déjà Marseille, Aubagne, Marignane et Vitrolles. Et lorsqu'un quartier ne veut plus dépendre du réseau marseillais qui chapeaute tout, il y a des morts.
On sait que les mafieux achètent la paix sociale en payant les responsables religieux musulmans
C'est du grand banditisme qui nous vient de la petite délinquance de ces quinze dernières années. On a trop laissé faire et la situation a dégénéré.
RT France : Quel mécanisme a mené à cette situation ?
UPNI : C'est une forme de banditisme qui ne vient plus d'Italie, de Corse ou des Balkans comme auparavant, mais qui est implantée en France. On peut même penser que ce phénomène est lié aux communautés locales.
On sait très bien que les mafieux achètent la paix sociale en payant les responsables religieux musulmans, puisque leurs trafics se concentrent parfois autour des mosquées, alors que le trafic de drogue n'est pas du tout bien vu dans l'islam. Tout le monde ferme les yeux contre de l'argent. Le plus petit réseau brasse au moins 8 000 euros par jour, cela vous donne une idée des sommes engendrées par ce trafic parallèle.
Cela fait des années qu'on met des CRS dans les quartiers mais le réseau mafieux continue de fonctionner
De plus, ces trafiquants exploitent la pauvreté des populations locales en les payant quelques dizaines d'euros en échange de leurs services. Et quand par malheur ces petits trafiquants viennent à perdre le fruit de leur travail (lorsqu'ils se le font dérober par des bandes rivales, par exemple), ils ont une ardoise à payer ou un contrat sur leur tête ensuite, suivant le montant à rembourser. Encore récemment, on en a vu un qui s'est fait casser les bras et les jambes parce qu'il n'avait pas payé.
RT France : Quelle est votre vision de la PSQ de Gérard Collomb ?
UPNI : On se trompe de méthode : cela fait des années qu'on met des CRS dans les quartiers mais le réseau mafieux continue de fonctionner. Il y a vraiment un manque de courage politique. Ils n'osent pas s'attaquer aux réseaux parce qu'ils font vivre les cités. Certes, on a moins de vols à main armée, mais pendant ce temps, on a trop laissé ces réseaux s'étendre, surtout celui de la cocaïne qui est à présent à une échelle internationale, en lien avec la Belgique, les Pays-Bas et l'Amérique du sud.
RT France : Comment vous et vos collègues vivez-vous le départ annoncé de Gérard Collomb ?
Beaucoup de choses ont été dites et on a entendu beaucoup de promesses. C'est bien, les promesses, mais qui nous dit que le prochain ministre de l'Intérieur continuera dans ce sens ?
Beaucoup de collègues à l'heure actuelle se rendent compte que malgré les effets d'annonce, rien n'a changé sur le terrain. Rien n'est «en marche» et la situation continue de se dégrader.
Nous garderons l'image d'un ministre de l'Intérieur totalement déconnecté des policiers
L'antiterrorisme a capté beaucoup d'effectifs, c'est d'ailleurs normal, mais on a aussi fermé beaucoup d'écoles de police et on a déshabillé Paul pour rhabiller Jacques. Pendant ce temps-là, la criminalité ne nous a pas attendus et elle a même pris de l'avance sur nous.
RT France : La PSQ, c'est le chant du cygne de Gérard Collomb ?
UPNI : Nous policiers, on va jusqu'au bout d'une mission. Lui, il lance des réformes et il s'en va. De deux choses l'une : soit c'est un aveu d'échec et il baisse les bras, soit il sait qu'il n'en verra pas la fin.
RT France : Quel souvenir garderez-vous de ce ministre de l'Intérieur ?
UPNI : Nous nous souviendrons surtout que nous lui avons transmis un dossier démontrant l'état de délabrement extrêmes de nos bâtiments, avec des photos choquantes, nous avions même organisé un petit concours des images les plus éloquentes. Sa réponse a été de parler d'un nécessaire coup de peinture ! Donc nous garderons l'image d'un ministre de l'Intérieur totalement déconnecté des policiers de terrain.
Antoine Boitel