Contre les suicides dans la police, le directeur propose des «moments de convivialité»
Fausse bonne idée ? La direction générale de la police nationale essaie d'endiguer le phénomène du suicide dans ses troupes en proposant un retour de la convivialité dans les services mais les policiers ne semblent pas très optimistes.
Selon une note datée du 27 mai émanant des services d'Eric Morvan, directeur général de la police nationale (DGPN), et que RT France s'est procurée, dans le cadre du «programme de mobilisation contre le suicide», le grand patron de la police française propose «la promotion de la convivialité dans les services de police».
Afin de lutter contre l'«isolement et les idées noires», la note demande donc aux services de police de favoriser l'organisation de barbecues, de pique-niques et de sorties sportives.
Alors que 31 fonctionnaires de police ont mis fin à leur jour depuis le début de l'année 2019, sans compter les autres porteurs d'uniformes (six gendarmes, six policiers municipaux, deux agents pénitentiaires, deux membres du dispositif Vigipirate et deux agents de la brigade ferroviaire, selon le «compteur de la honte», reconnu par les associations de police), la proposition semble un peu légère et «laisse perplexe [...] dans les rangs» de la police, ainsi que le relève l'hebdomadaire L'Express, AU micro de FranceInfo, le secrétaire général du syndicat Unité-SGP Police, Yves Lefèvre a déploré la méthode et estimé que le monde policier avait surtout besoin «d'un weekend sur deux de repos et pas un weekend sur six.»
Et de revendiquer : «[Le policier] aura le temps, à ce moment, de pique-niquer en famille. Le flic a besoin de retrouver du sens à son métier.»
Joint par RT France, le porte-parole de l'Union des policiers nationaux indépendants, Jean-Pierre Colombies, souligne pour sa part un paradoxe : «Ce sont ces mêmes associations qu'ils ont détruites au cours des dernières années ! Et ils demandent aux policiers de les remettre en place ? Mais cela a toujours existé ! Les clubs de football, les associations et les pots pour célébrer les promotions, cela faisait partie intégrante de la culture policière. Seulement, à partir de 2003, on nous a dit très expressément que dorénavant on serait dirigés comme dans une entreprise du privé et que la police à la papa, c'était terminé.»
C'est toute la philosophie de la police actuelle que le porte-parole remet en question : «On se rend compte aujourd'hui que ça marchait très bien, mais c'est précisément la DGPN qui a cassé ces associations. Dans ce métier, on est malheureusement dirigés par des gens qui ne sont intéressés que par l'efficience et le domaine comptable, mais à présent on paie cash cette vision policière de la part de l'aristocratie administrative... ça donne plus ou moins 50 suicides par an. Il faudrait moins d'énarques technocrates et il faudrait en finir avec cette philosophie qui veut faire du policier une sorte de gendre idéal dont rien ne dépasse, c'est du cosmétique tout cela. La direction doit aller plus loin et se remettre en question, sinon ça prête à sourire leur truc, au mieux.»
Et le policier retraité de déployer une autre dimension du débat : «Je rappelle qu'après que cette chasse aux associations a eu lieu pendant des années, on peut aussi déplorer que le ministre de l'Intérieur actuel a totalement refusé de recevoir les associations des femmes de policiers qui voulaient justement échanger sur ce thème du suicide dans la police. Dès lors, on peut se poser la question : combien de temps s'écoulera-t-il avant que les familles des policiers qui se sont suicidés ne se retournent contre leur employeur, comme cela s'est passé chez Orange ? Qu'adviendrait-il si un collectif de victimes devait engager la responsabilité pénale de l'Etat pour non-assistance à personne en danger ? En réalité, cette nouvelle note pourrait même être versée dans un dossier à charge contre la DGPN, car il s'agit d'un énorme aveu d'échec en matière de management.»
Antoine Boitel