Menaces de coupures électriques, la France en mal de courant cet hiver ?
Le gestionnaire du réseau électrique a lancé une alerte, demandant aux Français de réduire leur consommation pour «éviter tout risque de coupure». Pour le physicien-climatologue, Francois-Marie Bréon, la France pèche par de mauvais choix politiques.
«Mets ton pull» lance, tel un avertissement le 8 janvier, EDF sur les réseaux sociaux. Invitant ainsi chaque Français à consommer moins d'énergie et à baisser la température de son chauffage. Et pour cause : la veille, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité en France (RTE) invitait les Français à réduire leur consommation en raison des températures froides afin d'«éviter tout risque de coupure». RTE avait en effet prévu pour le 8 janvier au matin, une consommation atteignant 88 000 MW, ce qui aurait fortement réduit la marge de sécurité pour l'approvisionnement.
Finalement, la pointe s'est élevée à 87 000 MW vers 09h30, l'approvisionnement électrique de la France a donc été assuré. Des industries et entreprises ont toutefois dû réduire leur consommation électrique, comme cela est prévu par leur contrat avec RTE.
Les éventuelles coupures localisées et temporaires sur les foyers n'étaient qu'un dernier recours pour RTE, le risque de black out n'était en outre pas envisagé. Comme l'avait annoncé la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili en novembre dernier, les tensions sur le réseau pourront néanmoins se répéter durant l'hiver. Cette hypothèse n'est pas farfelue puisque la menace a plané sur un 8 janvier dont les températures n'ont pas été d'un froid exceptionnel pour la saison.
Pour le physicien-climatologue Francois-Marie Bréon, interrogé par RT France, plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation. D'une part, ce 8 janvier a été une journée avec peu de vent, dû à un anticyclone, la production éolienne a été par voie de conséquence faible.
D'autre part, à cause du Covid-19, plusieurs opérations de maintenance sur les réacteurs nucléaires ont été retardées ou compliquées. Reste que le facteur de charge de la production nucléaire était aux alentours de 80% à la mi-journée.
En fermant des réacteurs nucléaires et des moyens de production électrique pilotables, la France se tire-t-elle une balle dans le pied ?
En fait, à écouter le président de l'Association française pour l’information scientifique (Afis), ce sont des raisons politiques qui mettent davantage le réseau en tension. «Ce n'est pas la cause principale mais la fermeture de la centrale de Fessenheim [l'arrêt de son dernier réacteur date de juin 2020], contribue à cette tension», affirme Francois-Marie Bréon qui relève également que, depuis une dizaine d'années, l'Etat a fermé en France, «de nombreux moyens de production thermiques comme des centrales au fioul ou au charbon, c'est-à-dire un certain nombre de moyens de production pilotables, activables à la demande». «Et on s'est engagé à fermer d'autres centrales à charbon», note-t-il. Le gouvernement s'est aussi engagé à réduire progressivement la part du nucléaire (elle aussi pilotable) dans le mix énergétique, avec la fermeture de 12 réacteurs d'ici 2035. Or, «nos politiques nous disent qu'il n'y a pas de problème parce qu'on va remplacer les énergies pilotables par des renouvelables (ENR), avec l'éolien et le solaire. Or, celles-ci dépendent de la condition météo», rappelle le scientifique.
Pour alimenter son argumentation, Francois-Marie Bréon prend exemple sur des données à 14h30, publiées sur le site Electricity Map : «En France, on a 16 gigawatts d'éoliens installés. En ce 8 janvier à [14 heures 30], nous sommes à moins de 1 GW de produit. Pour ce qui est du nucléaire, il produit en ce moment 51,7 GW pour une puissance totale installée de 63,1 GW.»
Selon lui, avec des conditions climatiques sans soleil ni vent suffisant, ni l'éolien, ni le solaire ne peuvent assurer l'approvisionnement électrique pour les besoins de consommation. En somme, une énergie pilotable est essentielle. En France, elle demeure massivement nucléaire donc décarbonée (n'émettant pas directement de gaz à effet de serre).
Quand le parc nucléaire produit aujourd'hui à plus de 80%, le parc éolien produit à 6%
Il n'empêche : en novembre la ministre macroniste Barbara Pompili a pointé du doigt l'imposant parc nucléaire français et ses opérations de maintenance pour justifier les coupures. D'où pour l'ancienne cadre d'Europe Ecologie les Verts, la nécessité de diversifier les moyens de production en augmentant les ENR intermittentes au détriment du nucléaire. Francois-Marie Bréon se moque de ce raisonnement : «C'est complètement ridicule. Quand le parc nucléaire produit aujourd'hui à plus de 80%, le parc éolien produit à 6%. Pour pouvoir répondre à la demande, il faut absolument garder le parc pilotable.»
Il prend le cas de l'Allemagne, régulièrement vanté par les écologistes pour le développement de son parc éolien et solaire : «En ce moment, sur les 110 GW d'éoliens et solaire qui sont installés, les Allemands produisent 6 GW. Le reste de la production, c'est du pilotable. Les Allemands ont bien compris que le développement des énergies renouvelables ne permettait pas de se passer de puissances pilotables.» «Les Allemands ont gardé 45 GW de charbon et 30 GW de gaz, il peuvent ainsi faire face à leur demande», analyse-t-il. Le charbon et le gaz étant toutefois – contrairement au nucléaire – deux moyens de production émetteurs de CO2.
Francois-Marie Bréon fait en conséquence remarquer que la France, ayant fermé un certain nombre de moyens de production pilotables, est au matin du 8 janvier, «structurellement déficitaire, devant importer jusqu'à 6 GW d'une électricité "sale", venant notamment d'Allemagne et du charbon».
Les raisonnements qui disent que si on diminue notre consommation, on diminuera notre consommation électrique est une erreur
Qu'à cela ne tienne, pour certains écologistes, l'avenir passe par une décroissance de la consommation. Francois-Marie Bréon met en garde. «Les raisonnements qui disent que si on diminue notre consommation, on diminuera notre consommation électrique est une erreur», dit-il et poursuit : «Si on parle de climat, on devrait se concentrer sur tout ce qui n'est pas électricité. Nos émissions de CO2 en France sont aujourd'hui essentiellement dues aux transports, avec l'essence, et les chauffages de bâtiments qui [dépendent] beaucoup du gaz et du fioul. Comment est-ce qu'on va décarboner le transport et le chauffage ? Un moyen de faire cela est de passer à l'électrique et donc d'augmenter la consommation électrique.»
Dans ce schéma plus écologique, les habitations tout électriques deviendraient une norme et les voitures électriques de plus en plus nombreuses. Dès lors, RTE et EDF n'auront pas fini de proposer aux Français de réduire leur consommation et de mettre des pulls.
D'autre part, si la France poursuit la réduction du parc nucléaire et de tout moyen de production pilotable, devra-t-elle, fatalement, de plus en plus importer d'électricité ? Dans ce cas, cela sera paradoxal puisque nos voisins utilisent massivement des moyens de production émettant du CO2 comme le charbon ou le gaz. Si l'électricité devient la norme pour des raisons écologiques, comme la voiture, et «est produite avec du charbon, c'est complètement idiot», raille-t-il.
Miser sur le nucléaire pour assurer une production électrique pilotable et propre ?
Pour le physicien, il faut donc «se donner les moyens de produire une électricité non carbonée, passant soit par du nucléaire, soit du renouvelable», en mettant une limite au renouvelable : «La raison pour laquelle je ne crois pas à l'éolien et au solaire, c'est leur caractère intermittent. Pour compenser l'intermittence, on a besoin de moyens pilotables. En Allemagne, ils sont carbonés avec le gaz et le charbon. Le mix énergétique allemand est donc bien plus carboné que le mix français.»
Il y a peu de partis politiques qui en France disent : "Oui il faut développer le nucléaire."
Partisan du développement du nucléaire, Francois-Marie Bréon ne se dit d'ailleurs pas «serein quant à l'avenir» : «Quand je vois la montée des écologistes en France, et les gages qu'on leur donne... Les différents partis politiques cherchent toujours à s'allier aux écologistes et à leur donner des gages. Il y a peu de partis politiques qui osent dire en France : "Oui il faut développer le nucléaire".»
Si certains ont pu voir dans le discours du Creusot d'Emmanuel Macron, un possible tournant vers une orientation plus nucléaire, Francois-Marie Bréon se dit pour sa part sceptique. Il regrette de fait le manque de décision et de calendrier quant à la construction des six EPR (réacteurs nucléaires de troisième génération). «On sait bien que construire un EPR, cela met 10 ans. La filière du nucléaire a besoin de visibilité», prévient-il. «Les gens brillants ne vont pas vouloir se lancer dans la filière nucléaire s'il n'y a pas de perspective», regrette-t-il, en déplorant l'image «désastreuse» donnée par la construction de l'EPR de Flamanville (Manche). Selon Francois-Marie Bréon, celui-ci est la victime d'un manque de perspective, avec une France qui perdrait peu à peu son savoir-faire et les filières de personnels qualifiés pour l'industrie nucléaire, à l'instar des «soudeurs».
«Si on développe à fond l'électricité en France, pour pouvoir alimenter les voitures électriques, des pompes à chaleur pour sortir du gaz et du fioul, il faut que la France puisse dire qu'elle va construire 15 réacteurs EPR sur les 30 prochaines années», propose-t-il. «Je n'ai pas de doute que si les perspectives sont claires et positives, la France va pouvoir faire ce qu'elle a pu faire il y a 40 ans, c'est sûr qu'elle en sera capable», conclut-il sur une note légèrement plus optimiste.
Bastien Gouly