Pour Medvedev, l'offensive russe en Ukraine visait à éviter une «troisième guerre mondiale»
Ancien président russe (2008-2012) et désormais vice-président du Conseil de sécurité de son pays, Dmitri Medvedev a accordé à LCI un entretien au cours duquel il a présenté son analyse des enjeux liés au conflit militaire russo-ukrainien.
Dans un entretien qu'il a accordé le 26 août à LCI, Dmitri Medvedev a livré sa vision de l'opération militaire engagée le 24 février dernier par la Russie en Ukraine. Il s'agit de la première interview que l'ancien président russe accorde à une chaîne de télévision française depuis le début du conflit. Depuis six mois, celui-ci oppose frontalement la Russie, aux côtés des forces des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, à l'Ukraine qui, de son côté, bénéficie pour l'heure d'un important soutien occidental sur les plans financier et militaire.
Tout faire pour éviter une nouvelle guerre mondiale ?
Le haut responsable russe a en premier lieu expliqué que son pays était déterminé à tout faire pour qu'une troisième guerre mondiale n'ait pas lieu.
«La politique de notre pays est destinée précisément à cela [...] L'opération militaire spéciale [en cours] est menée pour empêcher qu'une troisième guerre mondiale ne se produise», a-t-il par exemple déclaré, s'inquiétant ici de la volonté affichée ces dernières années par Kiev d'adhérer à l'OTAN. «Si l'Ukraine [...] rejoignait l'OTAN, et que, par la suite, [un dirigeant ukrainien] lançait une opération militaire contre le territoire russe — par exemple, contre la Crimée —, cela signifierait le début de la Troisième Guerre mondiale», a-t-il expliqué.
Pour rappel, une adhésion ukrainienne à l'Alliance atlantique a été à plusieurs reprises défendue par Volodymyr Zelensky comme une possibilité pour son pays de bénéficier de nouvelles garanties de sécurité, tandis que Moscou s'y est toujours opposé, dénonçant une politique d'élargissement de l'OTAN en direction des frontières de la Russie. Celle-ci y voit une trahison des promesses occidentales qui auraient été faites à l'URSS à la fin de la guerre froide.
[Zelensky] dépend de décisions d’autres pays [...] Il ne mène pas de politique indépendante
Dmitri Medvedev a ainsi expliqué que son pays émettait pour l'heure des réserves considérables sur la construction d'un dialogue de confiance avec l'actuel président ukrainien. «Zelensky représente l’Ukraine telle qu’elle est aujourd’hui, [mais à la question de] lui faire confiance, la réponse est négative», a-t-il affirmé, pointant «le manque d'expérience», selon lui, du dirigeant ukrainien. «Il dépend de décisions d’autres pays [...] Il ne mène pas de politique indépendante», a poursuivi le vice-président du Conseil de sécurité de Russie.
Par ailleurs, face aux termes décrivant une «guerre brutale et meurtrière menée par la Russie» utilisés par le journaliste de LCI, Dmitri Medvedev a opposé huit années de «persécution» des populations des Républiques de Donetsk et de Lougansk, à majorité russophone et victimes selon lui d'une «politique d'agression directe» de la part de Kiev.
Pour rappel, l'année 2014 a été marquée par le soulèvement du Maïdan activement appuyé par l'administration américaine. Ce coup d'Etat auquel ont pris part des groupes néonazis tels que Svoboda ou le Secteur droit (Pravyï sektor) s'était soldé par le départ du président Viktor Ianoukovitch, alors qualifié en Occident de pro-russe et l'arrivée au pouvoir de Petro Porochenko.
Depuis lors et malgré des remaniements ainsi que l'élection de Volodymyr Zelensky en 2019, Kiev est restée engagée dans un conflit armé avec les deux républiques du Donbass susmentionnées, conflit qui, selon les chiffres de l'ONU, a causé plus de 10 000 morts en huit ans.
«Les Etats-Unis et les pays de l'OTAN mènent une guerre par procuration qui ne contribue pas au règlement du conflit»
«S'il n'y avait pas de menace pour les intérêts de notre pays, il n'y aurait pas l'opération qui est en cours en ce moment, on aurait pu se passer de cette opération jusqu'à un certain moment», a assuré sur LCI Dmitri Medvedev, tout en soulignant les différentes tentatives russes de négociations avec l'Ukraine, ainsi qu'avec les Européens et les Etats-Unis.
«Mais ces négociations n'ont abouti à rien, personne ne nous a entendus. L'Ukraine ne comptait que sur l'aide de l'Occident, et les Américains, tout comme les Européens d'ailleurs, nous ont dit : "Non, nous ne pouvons prendre aucune décision concernant la confirmation de la non-participation de l'Ukraine à l'OTAN à l'avenir, nous poursuivons une politique de portes ouvertes, nous ne pouvons donc vous fournir aucune garantie"», a résumé l'ancien président russe, non sans rappeler les aveux à ce sujet du chef de la diplomatie de l'UE qui, en mars dernier, admettait que «des erreurs» occidentales avaient empêché un rapprochement avec la Russie.
Par ailleurs, Dmitri Medvedev a fustigé la stratégie adoptée ces derniers mois par l'OTAN, qu'il attribue plus particulièrement aux Etats-Unis. «Les Etats-Unis et les pays de l'OTAN mènent une guerre par procuration qui ne contribue pas au règlement du conflit : ils ne font que l’exacerber, l’attiser en fournissant des armes offensives [...] L’Occident a préféré gaver l’Ukraine avec des armements [aux négociations]», a-t-il déploré.
De l'eau dans le gaz : à qui la faute ?
Interpellé par son interlocuteur sur la possibilité d'une coupure des approvisionnements russes en gaz naturel à destination de l'Europe, le haut responsable russe a inversé la rhétorique accusatoire selon laquelle Moscou serait à l'origine d'un tel scénario.
«Nous n’avons jamais refusé de livrer du gaz à l'Europe», a-t-il expliqué, soulignant que plusieurs responsables politiques avaient en revanche assuré ne plus avoir besoin du gaz russe. Dmitri Medvedev a également pointé l'impact des sanctions occidentales sur les transactions financières liées à l'approvisionnement européen en gaz russe, en réponse desquelles son pays avait finalement décidé de mettre en place un nouveau système de paiement en roubles.
«Nous sommes prêts à livrer le gaz aux montants prévus par les contrats, la situation est entièrement provoquée par l’Occident», a poursuivi l'ancien président, dénonçant pour sa part le blocage de certaines transactions dans le cadre des sanctions antirusses, dont certaines empêchent la livraison d'infrastructures nécessaires au bon déroulement des approvisionnements en question.
«La France sait faire des diagnostics médicaux»
Enfin, questionné sur le rôle que pourrait jouer la France dans la situation actuelle, Dmitri Medvedev a fait référence à une phrase qu'Emmanuel Macron avait prononcée fin 2019, dans laquelle il estimait que l'OTAN était en «état de mort cérébrale».
«La France sait faire des diagnostics médicaux. [Quand] le président Macron déclare que l'OTAN est en état de "mort cérébrale", c'est un bon médecin, il m'est difficile de ne pas être d'accord avec lui», a-t-il commenté, estimant qu'il était possible de discuter avec le dirigeant français.
«[La] conversation entre le président Macron et le président Poutine est mutuellement respectueuse et porte un caractère régulier. Oui, les positions divergent très fortement, mais, du moins, le dialogue se poursuit. Et il me semble que c'est ce qu'il faut faire», a ajouté le haut responsable russe.