La France condamnée par la CEDH concernant le rapatriement des familles de djihadistes en Syrie
- Avec AFP
La CEDH a estimé, à une large majorité, que la France avait enfreint certains points de la Convention européenne des droits de l'homme et lui a demandé de réexaminer les demandes de rapatriement de familles de djihadistes présentes en Syrie.
La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné le 14 septembre la France pour ne pas avoir étudié de manière appropriée les demandes de rapatriement de familles de djihadistes en Syrie, des requêtes que Paris va devoir réexaminer au plus vite.
«En exécution de son arrêt, la Cour précise qu'il incombe au gouvernement français de reprendre l'examen des demandes des requérants dans les plus brefs délais en l'entourant des garanties appropriées contre l'arbitraire», a indiqué la Grande chambre de la CEDH, sa plus haute instance.
Arrêt de Grande Chambre H.F. et autres c. France - examen des demandes de retour des filles et petits-enfants des requérants détenus dans des camps en Syrie https://t.co/I7x2KKFEKt#ECHR#CEDH#ECHRpresspic.twitter.com/ikV9vruvwM
— ECHR CEDH (@ECHR_CEDH) September 14, 2022
La Cour avait été saisie par deux couples de Français qui avaient demandé en vain aux autorités françaises le rapatriement de leurs filles, deux jeunes femmes compagnes de djihadistes. Celles-ci avaient quitté la France en 2014 et 2015 pour rejoindre la Syrie où elles ont donné naissance à deux enfants pour l'une et à un pour l'autre, et sont retenues avec eux depuis début 2019 dans des camps situés dans le nord-est du pays.
Cet arrêt très attendu a été rendu à Strasbourg, en présence de Marie Fontanel, l'ambassadrice de France auprès du Conseil de l'Europe, ainsi que des représentants de plusieurs autres pays (Danemark, Suède, Royaume-Uni, Espagne...) dont des ressortissants sont également toujours retenus en Syrie.
La CEDH relève l'absence de «garanties appropriées contre l'arbitraire»
«L'examen des demandes de retour effectuées par les requérants au nom de leurs proches n'a pas été entouré des garanties appropriées contre l'arbitraire», note la CEDH dans un arrêt très technique. «L'absence de toute décision formalisée de la part des autorités compétentes du refus de faire droit aux demandes des requérants [...] les a privés de toute possibilité de contester utilement les motifs qui ont été retenus par ces autorités», poursuit-elle. La juridiction conclut à une violation par la France de l'article 3.2 du protocole n°4 de la Convention européenne des droits de l'Homme, selon lequel «nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'Etat dont il est le ressortissant».
Outre le réexamen des demandes de rapatriement, Paris devra verser 18 000 euros et 13 200 euros aux deux familles requérantes pour frais et dépens.
La France «prend acte»
La France a «pris acte» de cette condamnation et s'est dite prête à «envisager» de nouveaux rapatriements, selon une déclaration de la diplomatie française citée par l'AFP.
«Le gouvernement prend acte de la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme», a ainsi indiqué le ministère français des Affaires étrangères, tout en soulignant que «la France n'a pas attendu l'arrêt de la Cour pour agir» et en se déclarant prêt à renouveler des opérations de rapatriement «chaque fois que les conditions le permettront».
La droite dénonce une atteinte à la souveraineté, la gauche se félicite d'une «victoire»
La décision de la juridiction européenne a suscité de nombreuses réactions politiques en France, à commencer à droite avec celle du député Les Républicains des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, selon qui «la CEDH interfère une nouvelle fois dans l’exercice de la souveraineté française» en imposant ce réexamen des demandes. «La France doit pouvoir choisir qui elle veut ou non sur son territoire national !», a-t-il lancé sur Twitter.
Lui emboîtant le pas, l'eurodéputé Jérôme Rivière - qui, élu sous l'étiquette Rassemblement national (RN), a rallié Eric Zemmour pendant la campagne présidentielle - a jugé qu'«il est impératif de sortir de la CEDH», estimant que cet arrêt constitue un «péril» pour l’intégrité physique des Français.
Et le péril de l’intégrité physique des Français ?
— Jerome Riviere (@jerome_riviere) September 14, 2022
Il est impératif de sortir de la CEDH. https://t.co/sq68wOVZI6
Le leader des Patriotes, Florian Philippot a surenchéri en évoquant une «décision folle», contraignant non seulement la France à rapatrier des «familles de djihadistes» mais aussi à verser des frais aux plaignants. Rejoignant l'avis de Jérôme Rivière, il a estimé qu'il fallait sortir« d’urgence» de la CEDH, y ajoutant l’Union européenne.
Décision folle de la #CEDH qui vient de tomber !
— Florian Philippot (@f_philippot) September 14, 2022
La France de fait obligée de « rapatrier sur son sol les familles de djihadistes » ! Et on doit verser 31 200 euros aux familles plaignantes 🤦
L’enfer supranational !
➡️ Il faut sortir de la CEDH (et de l’UE) d’urgence !
«La faiblesse d'une France dite souveraine mais soumise à la CEDH institution douteusement démocratique, est hautement condamnable», a pour sa part déploré l'ancien chef du Front national devenu RN, Jean-Marie Le Pen, selon qui les crimes djihadistes commis en Syrie et en Irak «relèvent des moyens judiciaires de ces pays sans exception», et ne sauraient donc donner lieu à des rapatriements.
A l'inverse, le député européen écologiste Mounir Satouri a salué l'arrêt de la Cour comme une «victoire», remerciant les avocats d'avoir obtenu une condamnation de la France dans cette affaire. Celle-ci «ne peut interdire l'accès à son territoire à des Français de manière arbitraire !», a-t-il souligné.
Heureux de cette victoire rendue possible par @DoseLevy_Avocat et @FamillesDes🎉
— Mounir Satouri 🌍 (@MounirSatouri) September 14, 2022
Le système de rapatriement de la France ne respecte pas la Convention européenne des droits de l'Homme #CEDH
La 🇫🇷 ne peut interdire l'accès à son territoire à des français de manière arbitraire ! pic.twitter.com/VJyMpwxTAd
Du côté de la majorité, le député des Côtes-d'Armor Éric Bothorel a, de manière plus sobre, pris acte de la décision et constaté que «le non-rapatriement n’est plus une option», ajoutant : «Principe de réalité et décision de justice nous obligent.»
Début juillet, le ministère des Affaires étrangères avait annoncé procéder au rapatriement de 35 mineurs et de 16 mères présents dans des camps de prisonniers djihadistes en Syrie depuis la chute de Daesh, s'ajoutant aux 126 enfants dont les parents avaient rejoint des territoires repris à l'Etat islamique déjà rapatriés dans l'Hexagone depuis 2016. L'annonce avait déjà été diversement appréciée par les responsables politiques, certains – à gauche et dans la majorité – saluant la décision comme honorant la France, d'autres – à droite – s'inquiétant pour la sécurité nationale.