Ukraine : l’inauguration d’une statue dédiée à Simon Petlioura, signe de la montée du nationalisme ?
Dans la ville de Viinnitsa, un monument en l'honneur du nationaliste ukrainien Simon Petlioura a été inauguré. Un événement qui a indigné la communauté juive dans le pays et au-delà, étant donné qu'il est accusé d'avoir organisé plusieurs pogroms.
Un monument dédié au nationaliste ukrainien Simon Petlioura a été inauguré dans la ville de Vinnitsa, en Ukraine. Ce personnage est immortalisé par une statue en bronze, assis sur un banc, avec une carte du pays sur les genoux.
«C’était un homme qui aimait sincèrement son pays, sa langue natale, qui essayait d’être honnête envers son peuple», a déclaré le chef de l’administration de la ville, Valéri Korovi, lors de la cérémonie d’inauguration, affirmant que les autorités soviétiques avaient «fait tout pour le noircir».
Le monument a été présenté le 15 octobre, Jour du Défenseur de l’Ukraine – une nouvelle fête introduise par le Président Petro Porochenko en 2014. C’est le premier monument représentant Simon Petlioura en pied même si on pouvait déjà voir son buste à Kiev et une plaque dédiée à son souvenir à Poltava.
La ville de Vinnitsa a servi de capitale temporaire à la République populaire ukrainienne, dirigée par Simon Petlioura en 1919-1920. Cet Etat autoproclamé a été créé en 1917, après la révolution bolchevique d’octobre en Russie.
A tête de la République populaire d'Ukraine, Simon Petlioura a combattu pour affranchir son pays de la Russie soviétique ce qui n'empêche pas des soldats de cet Etat autoproclamé d'avoir organisé plusieurs dizaines, voire de centaines, de pogroms contre la population juive.
Après la défaite et la proclamation de la République socialiste soviétique ukrainienne, en 1920, Simon Petlioura se réfugia à Paris. Six ans plus tard, il a été tué par Sholem Schwartzbard, un horloger et écrivain juif d’origine ukrainienne. Même si ce dernier a clairement revendiqué l’assassinat, la justice française l’a acquitté, jugeant qu’il avait agi sous le coup de l’émotion. 15 membres de la famille de Schwartzbard avaient péri dans des pogroms en Ukraine.
Bernard Lecache, l'un des journalistes qui a suivi le procès, avait même créé la Ligue contre les pogroms pour soutenir l’accusé. C’est cette organisation qui est revenue par la suite la LICA, la Ligue internationale contre l'antisémitisme et ensuite la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA).
Les partisans de Simon Petlioura ont affirmé qu’à titre personnel, il s'était opposé à ces pogroms, mais qu'il avait perdu le contrôle de ses forces armées qui ont entamé des persécutions contre les juifs. Pourtant, la défense de Sholem Schwartzbard, ainsi que plusieurs historiens, ont tenu Petlioura directement responsable, en tant que chef du gouvernement, au motif qu'il n'avait pas mis fin à ces pogroms.
Colère en Israël
La statue de Simon Petlioura a été installée dans le centre d’un ancien quartier juif de Vinnitsa, ce qui n'a pas manqué de susciter d'importantes tensions. La ville de Vinnitsa abrite en effet l'une des plus importantes communautés juives du pays, dont plusieurs membres restent persuadés que Simon Petlioura est responsable de la mort de leurs aînés.
Ksenia Svetlova, députée du parlement israélien, a envoyé une note de protestation à l’ambassadeur d'Ukraine dans son pays, Guennadi Nadolenko. «A mon avis, ce monument insulte la mémoire de plusieurs milliers d’innocents, qui sont morts dans des pogroms terribles», a-t-elle écrit sur sa page Facebook. Quelques jours plus tard, l’ambassadeur d’Israël en Ukraine est lui aussi passé à l'action, utilisant l’installation de ce monument pour évoquer une «tendance de hausse du nationalisme» en Ukraine.
Le 18 octobre, le Congrès juif mondial a dénoncé l’installation de cette statue. «Il est impossible d’imaginer que l’homme que nous qualifions aujourd’hui sans hésitations de terroriste soit honoré dans la ville où, lui et son régime, ont essayé d’éradiquer la population juive», peut-on lire dans le communiqué du Congrès.
Poussée nationaliste
Lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Ukraine faisait partie de l’Union soviétique et a lutté contre le nazisme. Près de 1,3 million de soldats venus de l'Ukraine soviétique ont péri pendant le conflit. Cependant, l’attitude du gouvernement ukrainien envers l'héritage de la Grande Guerre patriotique (Seconde Guerre mondiale) a beaucoup changé depuis.
Un jour avant l’inauguration du monument dédié au nationaliste ukrainien, des centaines d'activistes d’extrême-droite avaient procédé à une marche aux flambeaux à Kiev. Ils célébraient le 75e anniversaire de création de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, un groupe paramilitaire nationaliste ukrainien qui a ouvertement coopéré avec les nazis et est considérée responsable de graves violences, dont les massacres des Polonais en Volhynie.
Петарды и факелы: как прошел "Марш Славы" в Киевеhttps://t.co/7RnIGhqdHdpic.twitter.com/CvFm602I11
— Vgorode.ua Киев (@VgorodeUA) 15 октября 2017 г.
Un dernier épisode dans une longue série de marches en honneur des collaborationnistes ukrainiens, organisés par les groupes nationalistes qui sont de plus en plus actifs dans le pays. Il en va jusqu’à l’intégration de certains mouvements ultranationalistes dans les structures étatiques : c’est le cas pour le bataillon Azov, une organisation paramilitaire de volontaires qui s’est formée en 2014 des membres de groupes de l’extrême-droite. Intervenant à Donetsk et Lougansk contre les milices populaires, le bataillon controversé a été intégré à la Garde nationale ukrainienne en septembre 2014.
En 2010, Stepan Bandera, nationaliste ukrainien a reçu le titre de «héros de l'Ukraine». Dans les années 1940, il avait créé une légion ukrainienne de la Werhmacht pour lutter contre la Pologne et l’Union soviétique dans le cadre de son combat pour l’indépendance de l’Ukraine. Les autorités ukrainiennes ont érigé de nombreux monuments et nommé des rues en l’honneur de ce chef de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne, ainsi que du commandant d'un autre bataillon ukrainien de la Wehrmacht, Roman Choukhevytch.
En 2015, l'Ukraine avait adopté une loi de «décommunisation», mettant à égalité les symboles nazis et soviétiques, bannissant du même coup ces derniers.
#Ukraine : Amnesty International dénonce les arrestations pour port de symboles soviétiques https://t.co/rb1xZhvuSUpic.twitter.com/sYkByweuCe
— RT France (@RTenfrancais) 10 мая 2017 г.
Et à quelques jours du 72e anniversaire de la victoire sur les nazis, le procureur général d'Ukraine a ouvert une enquête contre un ancien combattant soviétique de la Seconde Guerre mondiale accusé d'avoir tué, il y a plus de 65 ans, des membres d’un groupe nationaliste ayant collaboré avec l'occupant nazi.