Le patron des enquêteurs de l'ONU sur les crimes de Daesh veut un «Nuremberg» de l'Etat islamique
- Avec AFP
Karim Khan, responsable de l'équipe d'enquête des Nations unies sur les crimes djihadistes (Unitad), souhaite la mise en place d'un procès de l'Etat islamique à l'instar de celui de Nuremberg pour les criminels de guerre nazis.
Pour Karim Khan, qui mène l'enquête de l'ONU sur les crimes jihadistes, le monde devrait juger le groupe Etat islamique (EI) pour faire entendre ses victimes et «démystifier» son idéologie. Depuis un an, cet avocat britannique sillonne l'Irak avec près de 80 personnes pour rassembler preuves et témoignages.
«C'est une montagne à surmonter», concède ce spécialiste des droits de l'homme dans un entretien à l'AFP, au siège ultrasécurisé de l'Unitad à Bagdad, alors que l'ONU commence à analyser jusqu'à 12 000 corps de plus de 200 charniers, 600 000 vidéos de crimes de l'EI et 15 000 pages de documents de la bureaucratie de l'EI. «Ce qui est nouveau avec l'EI, c'est l'idéologie qui alimente le groupe criminel [...] comme les nazis [avant eux]», estime-t-il.
L'Irak et l'humanité ont besoin de leur Nuremberg
Nuremberg avait abrité en 1945 et 1946 le premier tribunal international de l'histoire, créé pour juger des criminels de guerre nazis.
Aujourd'hui, chaque jour ou presque des Irakiens sont condamnés, souvent à mort. A leurs procès, pas de victime et un unique chef d'accusation, celui d'appartenance à l'EI, sans plus de détails sur leurs crimes potentiels.
Des procès où preuves et témoignages seront exposés publiquement, où que ce soit dans le monde, sont pourtant l'unique moyen de tourner la page, selon Karim Khan. Après l'EI, «l'Irak et l'humanité ont besoin de leur Nuremberg», affirme-t-il. A la suite de ce procès, «plus personne ne pouvait embrasser les principes de Mein Kampf [écrit par Adolphe Hitler] et être pris au sérieux, les signaux d'alarme de la conscience collective se sont activés».
Un procès «peut contribuer à séparer le poison de l'EI de la communauté sunnite irakienne»
Nuremberg a aussi «séparé le poison du fascisme du peuple allemand» en affirmant qu'il n'y avait «pas de responsabilité collective» mais des individus responsables. Et condamnés. Un procès de l'EI «peut contribuer à séparer le poison de l'EI [qui se revendique sunnite] de la communauté sunnite irakienne», minoritaire dans ce pays où deux tiers de la population sont chiites, selon lui.
Et, là où «Nuremberg a éduqué l'Allemagne et l'Europe», un procès de l'EI servira l'Irak et «d'autres parties du monde où des communautés peuvent être vulnérables à la propagande de l'EI», soutient Karim Khan. «Cette idéologie sera démystifiée et le public [...] pourra réaliser une vérité évidente: il s'agit de l'Etat le moins islamique qui ait existé», assure-t-il, alors que l'Unitad tente d'établir s'il y a eu crime contre l'humanité, crime de guerre ou génocide, les crimes les plus graves du droit international.
Pour lui, ces preuves recueillies dans des charniers, sous les tentes des déplacés ou dans les archives de l'EI «ne vont pas rester dans un bureau pour faire joli». «Vous verrez sous deux mois que nous apportons des éléments à des instructions en cours dans certains pays», glisse-t-il, en refusant de nommer ces Etats.
L'Unitad «monte également ses dossiers» qui pourraient permettre à des Etats qui – comme l'Allemagne – possèdent une compétence universelle de se saisir de crimes, quels que soient le lieu où ils ont été commis et la nationalité des auteurs et victimes.
Des procès ont lieu, notamment en France pour des attaques revendiquées par l'EI, ou à Munich où une Allemande est jugée pour avoir laissé mourir de soif une fillette yazidie «achetée» sur un «marché aux esclaves» de l'EI. «L'Irak est le premier destinataire de nos informations» mais «peu importe le lieu», lance Karim Khan, alors que l'option d'un tribunal international évoquée par certaines capitales semble peu probable dans un futur proche. L'essentiel est de garantir «le droit des victimes à faire entendre leur voix».
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