De la chute de Mossadegh à Donald Trump : 65 ans de relations tumultueuses irano-américaines
A l'occasion du 40e anniversaire de la prise d'otage dans l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran, le 4 novembre 1979, retour sur plus d'un demi-siècle de relations entre la République islamique et l'Oncle Sam, entre périodes de tension et détente.
Alors que l’Iran célèbre le 40e anniversaire de la prise d’otage, le 4 novembre 1979, d’une cinquantaine de civils et diplomates américains par des étudiants iraniens dans l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, RT France passe au crible plus de 65 ans de relations entre les deux pays, qui les auront fait passer d’alliés à ennemis intimes.
Le coup d’Etat contre Mohammad Mossadegh
Arrivé au pouvoir au début des années 50, Mohammad Mossadegh, Premier ministre d’avril 1951 à juillet 1952 et de juillet 1952 à août 1953 – fondateur du Front national iranien – a la lourde tâche de faire appliquer la nationalisation du pétrole iranien votée par le Parlement en mars 1951, sous la houlette du Premier ministre Hossein Ala. Le 1er mai 1951, quelques jours après l'intronisation de Mohammad Mossadegh, le Sénat iranien approuve la mise en œuvre de de la loi de nationalisation de l’industrie pétrolière iranienne.
Mais l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC, aujourd’hui connue sous le nom BP) – dont le gouvernement britannique est le principal actionnaire – n’apprécie guère la manœuvre et en août 1953, la CIA et le MI6 orchestrent un coup d’Etat contre le Premier ministre en place. L’opération Ajax permet la destitution de Mossadegh et le retour du Shah Mohammad Reza Pahlavi, monarque constitutionnel de l’Iran, forcé de s’exiler, à Bagdad puis à Rome, après avoir voulu évincer une première fois le Premier ministre le 15 août 1953.
Après la prise de pouvoir par le général Fazlollah Zahedi, nommé nouveau Premier ministre, le Shah rentre finalement à Téhéran le 20 août. Jusqu’à sa chute à l’aube des années 80, il restera un des principaux clients de l’industrie militaire américaine mais également un rempart contre l’influence soviétique. A la fin des années 50, dans le cadre d’accords bilatéraux chapeautés par les Etats-Unis, les bases du programme nucléaire iranien sont posées avec la signature, en 1957, d’un accord de coopération civile portant sur le nucléaire avec Washington.
La prise d’otage du 4 novembre 1979
En 1979, l’Iran est balayé par un vent de révolte. Le Shah est de nouveau forcé à l’exil le 16 janvier 1979 et se réfugie en Egypte. Il ne reverra jamais sa terre natale jusqu’à sa mort le 27 juillet 1980. Quinze jours après son départ, le 1er février 1979, celui que l’on appelle alors «l’imam» Khomeiny rentre à Téhéran après plus de quatorze années d’exil. Le 11 février, il déclare la fin de la monarchie et devient en décembre le premier Guide de la Révolution de la toute nouvelle République islamique d’Iran.
Mais entre-temps, le 4 novembre, des étudiants iraniens prennent d’assaut l’ambassade américaine de Téhéran, demandant l’extradition en Iran de Mohammad Reza Pahlavi, alors soigné aux Etats-Unis. Une cinquantaine de civils et de diplomates américains seront retenus en otage pendant 444 jours. Quelques mois plus tard, début avril 1980, Washington rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran et décide de se faire représenter par la Suisse. L’Iran choisit lui de se faire représenter par le Pakistan. Washington débute alors sa politique de pression sur Téhéran avec la mise en place d’un embargo commercial.
Le 3 juillet 1988, un croiseur américain, l’USS Vincennes, abat un Airbus de la compagnie Iran Air, provoquant la mort de 290 personnes, dont 254 Iraniens, alors que l’engin survolait le détroit d’Ormuz. A l’époque, le président Ronald Regan exprime ses «regrets» pour la «terrible tragédie humaine» mais justifie une «action défensive appropriée». Cet événement va contribuer à tendre encore un peu plus les relations entre les deux nations.
George W. Bush et «l’axe du mal»
Après les attentats du World Trade Center, le 11 septembre 2001, les Etats-Unis se lancent à corps perdu dans la «guerre contre le terrorisme». Lors d’un discours sur l’état de l’Union devenu célèbre, prononcé le 29 janvier 2002, le Texan place la République islamique au sein de l’«axe du mal» avec la Corée du Nord et l’Irak. Selon lui, ces gouvernements «soutiennent le terrorisme dans le but de menacer l’Amérique ou ses alliés avec des armes de destruction massives».
Cette déclaration passe mal en Iran, aussi bien chez les réformistes que chez les conservateurs, et le 3 août 2003, Mahmoud Ahmadinejad accède à la présidence de la République islamique. Jusqu’à la fin du mandat de Georges W.Bush, début 2009, le nouveau président iranien entretient des relations tendues avec l’administration américaine, celle-ci l’accusant régulièrement d’avoir relancé le programme d’enrichissement d’uranium.
L’arrivée au pouvoir de Barack Obama offre une perspective crédible de réchauffement des relations, le nouveau chef d'Etat américain se déclarant prêt, en mars 2009, à «parler directement au peuple et aux dirigeants» iraniens. Mais quelques mois plus tard, en juin, à la suite de la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, il met en doute la légitimité de celui-ci, qui, d’après Barack Obama, «pose de sérieuses questions».
La détente de Vienne
Il faudra l’avènement d’un nouveau président en Iran, Hassan Rohani, en août 2013, pour que des signes concrets de rapprochement apparaissent. En juin 2013, après l’élection du réformiste, les Etats-Unis annoncent être «prêts à collaborer» avec ce nouveau président dès son entrée en fonction. En septembre, les deux dirigeants s’entretiennent par voie téléphonique, une première depuis l’avènement de la République islamique en 1979.
L’entente entre les deux présidents fonctionne et le 14 juillet 2015, un accord est signé entre l’Iran et les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU (Etats-Unis, France, Russie, Grande-Bretagne, Chine) auxquels viennent s’ajouter l’Allemagne (P5+1) et l’Union européenne (UE). L’accord de Vienne met ainsi fin à plus de dix années de tensions diplomatiques extrêmes sur le sujet du nucléaire iranien.
En échange d’une levée progressive des sanctions, l’Iran s’engage de son côté à ne jamais chercher à se doter de l’arme atomique. Début 2017, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) donne son feu vert à une levée progressive des sanctions sur l’Iran après avoir constaté la tenue de leurs engagements. L’accord est presque unanimement salué, seul Israël affichant des réticences, et entrouvre réellement la voie à une reprise progressive des relations diplomatiques entre l’Iran et les Etats-Unis.
Le coup de folie de Donald Trump
Mais une fois de plus, ces espoirs vont être réduits à néant par la volonté d’un seul homme. Il ne faudra en effet que six mois à Donald Trump pour ruiner une décennie d’efforts de toutes les parties. Le 8 mai 2018, le 45ème président des Etats-Unis annonce officiellement que son pays se retire unilatéralement de l’accord de Vienne. En août, puis en novembre, il durcit les sanctions contre la République islamique, notamment dans les secteurs pétroliers et financiers.
En réponse, Téhéran se désengage de certains engagements contractés lors de l’accord de Vienne. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, annonce le 8 mai 2019, un an après le retrait américain, que «l’Iran arrête de mettre en place des mesures que les Etats-Unis lui empêchent de respecter». Présent la veille sur le sol irakien, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo affirme, de son côté, avoir en sa possession des informations relevant «une escalade des activités de l’Iran», qu’il accuse de préparer des «attaques imminentes» contre les intérêts étasuniens. Ces nouvelles tensions vont même jusqu’à laisser augurer d’un possible conflit ouvert entre les deux nations.
Le 20 juin, l’Iran annonce avoir abattu un drone américain ayant selon eux violé leur espace aérien. Washington dément fermement ces accusations et réaffirme le déploiement de troupes au Moyen-Orient pour contrer l’influence iranienne ainsi que de missiles Patriot en Arabie saoudite. Enfin le 7 septembre, comme annoncé plus tôt dans l’année, l’Iran confirme la mise en route de centrifugeuses avancées, visant à produire de l'uranium enrichi à 4,5%, taux interdit par l'accord de Vienne.
Alexis Le Meur