Référendum constitutionnel en Algérie : scrutin boudé pour échec latent ?
Si 66,8% des électeurs ont approuvé le projet de Constitution mis sur la table par le président Tebboune seuls 23,72% des citoyens ont voté. Un taux de participation historiquement bas expliqué par un profond scepticisme chez les Algériens.
Les Algériens ont finalement approuvé à 66,8% le projet de révision de la Constitution au cours d'un scrutin marqué par une abstention record. Appelés à voter le 1er novembre 2020, jour historique puisqu’il marque le déclenchement de la guerre d’indépendance en 1954, seuls 23,72% des électeurs se sont déplacés dans les bureaux de vote (soit 76,28% d’abstention), selon Mohamed Charfi, président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), qui a annoncé les résultats sur Canal Algérie le 2 novembre.
Le taux de participation est historiquement bas. Selon les chiffres annoncés, sur les 24 millions d’Algériens appelés aux urnes, seulement 5 millions se sont déplacés pour glisser un bulletin dans l'urne. Ce référendum constitutionnel a attiré moins d’électeurs que l’élection présidentielle du 12 décembre 2019. Ce jour-là, 39,93% des électeurs s’étaient déplacés, soit le plus faible taux de participation de toutes les élections présidentielles pluralistes en Algérie. La promesse de changement, avec l'adoption d'une large réforme constitutionnelle, laisse donc un goût amer aux partisans du Hirak, ce mouvement populaire né en février 2019 après l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat.
«Rien n’a changé ou presque depuis près d’une année»
Mohamed Charfi a, dans son allocution télévisée, affirmé que ce scrutin était «la réponse aux demandes du Hirak pour poursuivre le chemin vers la démocratie» et l'expression de «Monsieur le président qui lors des élections a promis une consultation au peuple algérien». Pour lui, la participation des Algériens marque le début de la «construction du nouvel Etat algérien vers la démocratie réelle».
Le quotidien El Watan écrivait pourtant dans un article le 1er novembre : «Rien n’a changé ou presque depuis près d’une année. La confiance n’est pas rétablie et le pouvoir qui met en avant sa volonté de satisfaire les revendications du "hirak originel béni" – qui est une notion étrange – peine à convaincre en dehors du cercle de sa clientèle habituelle.»
Le scrutin s’est déroulé dans un contexte très particulier entre appels aux boycott et crise sanitaire. La journée a aussi compté un grand absent : le président Abdelmadjid Tebboune, transféré le 28 octobre dans un hôpital militaire allemand pour des problèmes de santé sur lesquels les autorités se sont peu exprimées. Le président subirait des «examens médicaux approfondis». Son épouse a voté à sa place par procuration dans une école d’Alger.
Abdemadjid Tebboune a tenu à adresser un message relayé par l’agence de presse publique Algérie Presse Service (APS) le 31 octobre : «Le peuple algérien sera, une fois encore, au rendez-vous avec l'histoire pour opérer le changement escompté, dimanche 1er novembre, en vue d'instituer une nouvelle ère à même de réaliser les aspirations de notre peuple à un Etat fort, moderne et démocratique».
Bureaux de vote désertés
Le taux d’abstention signifie le rejet des Algériens, nombreux à être opposés à la promulgation d'une nouvelle constitution. De nombreuses personnes ont appelé tout au long de la campagne à boycotter le référendum. Des appels qui expliquent la vacuité des bureaux de vote. Le quotidien Liberté rapporte : «La cour de récréation de l’école primaire Djerdjera à Bachedjarrah est déserte.[...] Le temps s’écoule lentement. "C’est très calme, n’est-ce pas ?", plaisante Boussafsaf Nourredine. Dans le centre de vote qu’il administre, il n’y a pas grand-chose à faire. À 10h, 53 citoyens ont mis un bulletin dans l’urne sur un total de 2 657 électeurs inscrits. À 13h, le nombre atteignait… 154 votants. Notre interlocuteur ne s’attend pas à un taux de participation élevé dans cette circonscription électorale, cumulant 43 600 inscrits répartis dans 16 centres." Il en fut ainsi de nombreux bureaux de vote à travers l’Algérie.»
Certains se sont déplacés et ont soutenu le projet du gouvernement élu en 2019. «J'ai voté oui pour mes enfants et petits-enfants. J'ai accompli mon devoir pendant la guerre pour libérer mon pays et je le fais maintenant pour la stabilité», a confié à l’AFP Mohamed Miloud Laaroussi, 86 ans, un ancien combattant, le dernier à voter au centre Pasteur, au cœur d’Alger.
«Tebboune, président illégitime, marque son territoire et son passage à la présidence. La Constitution du Hirak reste à écrire, à travers une Assemblée constituante»
Dès l'annonce du scrutin, le Hirak (ce mouvement populaire né en février 2019 après l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat malgré un état d’incapacité évident dû à sa santé) n'a cessé de pointer l'illégitimité du référendum et des hommes politiques qui l'ont porté. Le Hirak réclame en effet depuis un an un changement profond du système en place. «C'est pour la démocratie qu'on s'est levés, pas pour un énième régime présidentiel arabe», a expliqué à l'AFP Ghalem, enseignant de 40 ans à Sidi Bel Abbès.
Le collectif Moubadarat 22-2, composé de membres du mouvement, exprime dans son manifeste sa «volonté de rupture avec les institutions actuelles, dans leur composante, leur performance, leurs pratiques et leurs conséquences». Ghalem, membre actif du Hirak confiait à Orient XXl le 12 octobre : «Tebboune, président illégitime, marque son territoire et son passage à la présidence. La Constitution du Hirak reste à écrire, à travers une Assemblée constituante».
Si la nouvelle Constitution apporte des changements institutionnels, limitation à deux mandats parlementaires et présidentiels, création d’une Cour constitutionnelle détachée du ministre de la Justice et du Procureur, etc., «rien n'a changé, on reste dans un régime ultra présidentialiste», selon le constitutionnaliste Massensen Cherbi repris par l'AFP.
Le Hirak refuse d’autant plus de croire dans le changement du «système» que plusieurs de ses membres (activistes, journalistes, etc) sont emprisonnés pour avoir participé à des manifestations et s’être exprimés sur les réseaux sociaux. Le correspondant de TV5 Monde et Reporters sans frontières Khaled Drareni et le poète Mohammed Tadjadit sont pour l’heure toujours incarcérés.