Pièce touchée, paix à jouer

Pièce touchée, paix à jouer
L’engagement des États-Unis dans la guerre d’Israël contre l’Iran marque un moment charnière dans l’évolution de la situation internationale [image d'illustration générée par l'intelligence artificielle]
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En s’appuyant sur les précédents irakien et libyen, Fiodor Loukianov, «La Russie dans les affaires mondiales», examine le paradoxe nucléaire dans l’ordre mondial contemporain : arme de terreur ou ultime garantie de paix ?

L’engagement des États-Unis dans la guerre d’Israël contre l’Iran marque un moment charnière dans l’évolution de la situation internationale. Les conséquences les plus importantes de cette action se feront sentir non pas à court terme, mais sur le temps long. Cela concerne avant tout l’arme nucléaire, puisque le prétexte officiel de cette opération militaire américaine et israélienne est d’empêcher l’Iran de créer ce type d’armements.

Mettons de côté la question de savoir si Téhéran aspirait à s’en doter ou pas. Officiellement, la République islamique a toujours nié avec fermeté en avoir l’intention. En outre, il n’existe aucune preuve indépendante convaincante qu’elle s’y préparait (les déclarations israéliennes à ce sujet sont a priori biaisées, donc il n’y a pas de raisons de les utiliser à titre de preuve). Il n’est pas certain non plus que ce programme militaire n’ait pas existé. Les arguments selon lesquels l’Iran aurait un besoin urgent de l’énergie nucléaire au point de courir de plus grands risques dans ses relations avec ses partenaires internationaux influents ne paraissent pas tout à fait convaincants. Mais là n’est pas la question.

La vraie question n’est pas celle de la légitimité des mesures prises pour empêcher les programmes nucléaires, mais bien de leur efficacité. L’histoire de la lutte contre la prolifération nucléaire, telle qu’elle est comprise aux États-Unis, permet de tirer les conclusions suivantes.

Premièrement, la possession d’armes nucléaires représente la seule garantie de sécurité nationale.

Deuxièmement, si un État craint, pour telles ou telles raisons, pour sa survie politique et juge nécessaire d’obtenir cette garantie, cela doit se faire vite et avec fermeté, quel qu’en soit le prix.

Troisièmement, il n’existe pas d’adhésion « à l’aimable » au club des puissances nucléaires, et il est impossible de la négocier. Il faut mettre devant le fait accompli.

Les exemples ne manquent pas pour étayer ces conclusions. Israël lui-même, qui possède des armes nucléaires mais ne l’admet pas, les a obtenues vite et discrètement, sans faire attention aux objections de l’intérieur ou de l’extérieur. L’Inde et le Pakistan ont travaillé assidûment sur leurs bombes et sont aussi parvenus au résultat escompté. La Corée du Nord, qui a avancé par étape vers son objectif, est l’exemple le plus marquant. La famille qui y est au pouvoir ne voit pas d’autres moyens d’exclure l’idée même d’un renversement du régime.

Il y a aussi des exemples inverses. La destruction de l’ancien État irakien en 2003 suite à l’invasion américaine est devenue possible parce que Saddam Hussein non seulement n’avait pas de telles armes, mais ne possédait simplement pas de programme nucléaire. Cela a tellement marqué le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi qu’il a renoncé volontairement à toute tentative d’agir dans le domaine nucléaire. Mais cela ne l’a pas aidé.

Le sort de Hussein et de Kadhafi est la meilleure illustration pour ceux qui insistent sur la nécessité d’avoir des armes nucléaires.

Il convient de noter que les armes nucléaires et les intentions liées sont un instrument dangereux dans le jeu diplomatique. Or, Saddam Hussein considérait qu’une certaine ambiguïté et jouer ostensiblement au chat et à la souris avec les inspecteurs de l’AIEA (auxquels il s’avéra plus tard qu’il n’avait rien à cacher) lui permettait de mener une politique fine et de négocier. Apparemment, l’Iran comptait aussi sur la célèbre école diplomatique persane connue pour être habile. En tout cas, peu sont ceux qui peuvent rivaliser avec les négociateurs iraniens pour ce qui est de faire traîner un processus. Cependant, avec un avantage incontestable de l’adversaire, le jeu peut se terminer immédiatement par un renversement de l’échiquier. C’est exactement ce qui s’est passé.

Le cas actuel est d’autant plus absurde que c’est Donald Trump qui avait enterré il y a sept ans en un instant l’accord diplomatique complexe atteint par son prédécesseur avec une participation active de l’UE et de la Russie. Maintenant, il exige sans discussion un nouvel accord, affirmant que l’objectif des frappes consistait à faciliter les négociations. La possibilité de parvenir à un résultat diplomatique avec un tel face-à-face n’est même pas envisageable, même si, dans son optique, ce n’est en réalité qu’un argument sur la table des négociations.

L’engagement dans la guerre contre l’Iran est devenu une décision idéologique pour Trump. Bien qu’il affirme avec passion que cette mesure soit en conformité totale avec son concept de « L’Amérique d’abord », plusieurs de ses partisans influents ne voient pas les choses de la même manière. L’inclusion d’Israël dans ce concept de « d’abord » peut avoir une justification intérieure, le rôle de ce sujet dans la politique intérieure américaine étant très important. Mais du point de vue de la politique étrangère, c’est sans aucun doute un retour à la ligne néoconservatrice que ce même Trump ne cessait de fustiger depuis de nombreuses années. Il est à noter que l’administration de George W. Bush, qui a lancé une série de « guerres sans fin » et auxquelles le mouvement MAGA avait promis de mettre un terme, n’a pas osé bombarder l’Iran il y a 20 ans, alors que les néoconservateurs les plus passionnés caressaient de telles intentions.

Un autre élément devrait pousser les amoureux des programmes nucléaires à agir vite. Si l’affaire n’est pas menée jusqu’au bout, le renversement du régime est inévitable. C’est cette intention inaboutie qui en donne les raisons. Ce n’est pas par hasard que Trump, qui dénonçait activement les ingérences, avait déjà admis la possibilité d’évincer les dirigeants iraniens. Ainsi, pour les joueurs ambitieux, s’applique la règle d’échecs : pièce touchée, pièce à jouer. Sinon, l’échec et mat est inévitable. La paix ne passe plus que par la force.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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