Menacer le principe de la Chine unique pour ménager les négociations commerciales. Si la stratégie de Donald Trump ne manque pas d’ingéniosité, pour Emmanuel Dubois de Prisque, spécialiste de la Chine, elle touche aussi une corde sensible du pays.
RT France : Alors que les Etats-Unis reconnaissent le principe de la Chine unique depuis près de quatre décennies, Donald Trump a fait planer la menace de le remettre en question. Ce virage à 180 degrés dans la politique étrangère américaine pourrait-il mener à un conflit avec la Chine ?
Emmanuel Dubois de Prisque (E. D. d P.) : Ça peut effectivement être la cause d'un conflit économique et diplomatique entre les deux pays. Pour la Chine, c'est un principe très important. Si on lit la constitution chinoise, on se rend compte qu'il y a, à deux reprises, l’occurrence du mot «sacré» pour parler de Taïwan. Pour eux, ce principe est fondateur des relations sino-américaines. Si Donald Trump revenait réellement dessus ça pourrait être la cause d'importantes tensions. Il faut savoir que Donald Trump a utilisé le facteur taïwanais comme un atout dans le cadre de négociations commerciales passées entre les deux pays. Dans son idée, c'est dire : «On est prêt à ne pas toucher au principe de la Chine unique mais en échange vous devez nous donner quelque chose.» Ça peut marcher car les Chinois sont très inquiets, d'autant plus qu'ils peuvent craindre que d'autres pays emboîtent le pas des Etats-Unis. Mais pour l'instant, on n'en est pas là. Du point de vue de Donald Trump, c'est simplement une menace pour se donner des armes dans l'hypothèse de négociations économiques futures.
Le calcul de Donald Trump est intéressant mais le risque est de se retrouver dans une situation délicate car il touche à un symbole puissant
RT France : Cette stratégie choisie par Donald Trump, plus proche du monde des affaires que de la diplomatie classique, de s'en prendre à une valeur symbolique dans des négociations commerciales, trouve-t-elle un écho en Chine ?
E. D. d P. : Les Chinois disent toujours qu'ils sont dans un rapport donnant-donnant. Ils sont très pragmatiques, donc on pourrait imaginer qu'ils puissent être très réceptifs à une telle approche, très explicite, de l'échange d'avantages. Mais dans les faits, la Chine est très attachée à ce principe. Il a une valeur sacrée, on ne peut pas y toucher. Dans cette configuration, le pragmatisme chinois n'est pas perceptible. On sent même plutôt une forme de rigidité. Le calcul de Donald Trump est intéressant, puisqu'après tout il n'y a pas de raisons que les principes chinois s'imposent aux Occidentaux sans qu'ils y réfléchissent. Mais le risque est de se retrouver dans une situation délicate car il touche à un symbole puissant.
Si la question taïwanaise revient sur la table, on ne peut pas s'éviter de penser que les Chinois pourraient s'engager dans une attitude plus hostile à l'égard du bloc occidental
RT France : Sur le plan mondial, quelles pourraient être les conséquences d'une hausse des tensions entre les deux pays?
E. D. d P. : Il est extrêmement délicat d'anticiper des conséquences à long-terme sur une annonce qui reste très limitée. Donald Trump n'est pas en place. On peut imaginer qu'une fois qu'il sera à la Maison Blanche, son vocabulaire sera peut-être plus nuancé. Il n'en reste pas moins que Donald Trump s'est prononcé contre le Traité trans-pacifique (TTP) et que le pivot américain voulu par Hillary Clinton et Barack Obama est sans doute remis en cause par son arrivée. On voit également une volonté de réaffirmation des liens américains avec le Japon et Taïwan. Mais Donald Trump est assez imprévisible. Avec lui, tout est sur la table. Même quelque chose qui paraissait aller de soi comme la reconnaissance par les Etats-Unis du principe de la Chine unique, ne l'est plus. Donc on peut tout imaginer. Il faut aussi prendre en compte que les circonstances sont assez délicates pour la Chine. Le pays attendait de la part du Japon, des Etats-Unis et surtout de l'Europe la reconnaissance de son statut d'économie de marché et ce n'est finalement pas le cas. Il y a une certaine nervosité à Pékin, donc si la question taïwanaise, qui paraissait à peu près contrôlable pour le pays, revient sur la table, on ne peut pas s'éviter de penser que les Chinois pourraient s'engager dans une attitude plus hostile à l'égard du bloc occidental.
Les relations entre la Chine et la Russie ne sont pas aussi idylliques que beaucoup le pensent
RT France : Donald Trump a déclaré il y a quelques semaines qu'il comptait nouer des «relations fortes et durables avec la Russie et avec le peuple russe». Ce rapprochement souhaité par le président des Etats-Unis avec la Russie peut-il se passer d'une relation apaisée avec la Chine?
E. D. d P. : L'attitude de la Russie vis-à-vis de la Chine me parait plus nuancée et prudente que ce que certaines analyses laissent à penser. Il y a eu bien sûr un rapprochement mené par le pouvoir russe face à la confrontation entre la Russie et l'OTAN, mais les relations entre les deux pays restent très délicates. L'extrême-Orient russe est vide. A l'inverse du côté chinois, il y a une grande concentration d'habitants et de nombreux capitaux. Le pays a envie d'investir dans cette zone et cela pose beaucoup de problèmes. Les relations entre la Chine et la Russie ne sont pas aussi idylliques que beaucoup le pensent. De ce point de vue-là, un rapprochement entre la Russie et les Etats-Unis pourrait être plus bénéfique pour un rapprochement entre le bloc occidental et la Russie, qu'avec la Chine.
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