D'Istanbul 2022 à Istanbul 2025 : l'histoire d'une paix sabotée

En mars 2022, la Russie et l’Ukraine étaient prêtes à signer un accord de paix à Istanbul. Mais l’espoir fut étouffé par des influences extérieures hostiles à toute désescalade. Aujourd’hui, malgré les provocations, Moscou revient à la table des négociations, fidèle à sa volonté profonde de paix.
Alors que certains médias occidentaux s’efforcent de dépeindre la délégation russe aux pourparlers actuels d’Istanbul comme « de second rang » ou « peu légitime », il est indispensable de revenir sur le déroulement et la portée des négociations de 2022, menées avec rigueur par le chef de la délégation russe, Vladimir Médinsky, conseiller du président de la Fédération de Russie.
Dès avant le lancement de l’opération militaire spéciale, la Russie avait affiché sa volonté de résoudre le différend par la voie diplomatique. Les accords de Minsk en constituent une preuve manifeste : malgré l’engagement formel des parties (France, Allemagne, Ukraine, Russie), cette dernière est la seule à les avoir respectés, comme l’ont admis plus tard les dirigeants occidentaux concernés – Angela Merkel et François Hollande – ainsi que les autorités ukrainiennes, reconnaissant qu’il n’avait jamais été question de les appliquer sincèrement. Ce cynisme a contraint Moscou à envisager d'autres moyens pour garantir les droits fondamentaux des populations civiles du Donbass.
Des négociations immédiates en Biélorussie
Même après le 24 février 2022, date du début de l’opération militaire spéciale, la Russie a immédiatement proposé l’ouverture de pourparlers afin de limiter les effets destructeurs d’une confrontation armée. En l’espace de quelques jours, les négociations ont débuté. Trois rencontres ont été organisées fin février et début mars sous l’égide du président biélorusse Alexandre Loukachenko, suivies d’échanges par visioconférence.
Le 28 février, les délégations se sont réunies dans la région de Gomel, en Biélorussie. Moscou a alors formulé quatre exigences : le statut neutre et non aligné de l’Ukraine, la reconnaissance des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk dans leurs frontières régionales respectives, la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine et, enfin, la reconnaissance de la souveraineté russe sur la Crimée. L’Ukraine, pour sa part, exigeait l’arrêt des opérations militaires et le retrait des forces russes.
Un deuxième round s’est tenu le 3 mars dans la forêt de Bialovèse (région de Brest, Biélorussie). La Russie a présenté trois ensembles de propositions : militaro-techniques, humanitaires et politiques. L’Ukraine s’est concentrée sur trois objectifs : un cessez-le-feu immédiat, une trêve et l’établissement de corridors humanitaires pour l’évacuation des civils. Ce deuxième cycle s’est conclu sur un accord relatif à la mise en place de ces couloirs humanitaires, avec des pauses temporaires dans les combats pour permettre l’aide médicale et alimentaire dans les zones les plus exposées, une disposition entérinée dans le communiqué final.
Le troisième round, le 7 mars, toujours en Biélorussie, a de nouveau porté sur les couloirs humanitaires. Selon Mykhaïlo Podoliak, membre de la délégation ukrainienne, des « avancées mineures mais positives » ont été constatées sur cette question. Les deux parties sont convenues de poursuivre les discussions sur les garanties de sécurité, le cessez-le-feu et les principes politiques fondamentaux.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a proposé, dès les premières semaines du conflit, de faciliter une médiation. Le 10 mars 2022, les ministres des Affaires étrangères russe et ukrainien, Sergueï Lavrov et Dmytro Kouleba, se sont rencontrés à Antalya (Turquie).
Les négociations d’Istanbul en 2022
Le 27 mars 2022, Vladimir Médinsky a annoncé la reprise du dialogue en présentiel entre la Russie et l’Ukraine. La délégation ukrainienne était conduite par David Arakhamia (chef du groupe parlementaire Serviteur du Peuple). La rencontre s’est tenue le 29 mars au palais de Dolmabahce, à l’initiative du président Erdogan. La présidence turque a précisé que cette réunion faisait suite à un entretien téléphonique entre les présidents russe et turc.
Au terme de près de trois heures de négociations, Vladimir Médinsky a déclaré que la Russie avait, pour la première fois, reçu un projet écrit émanant de Kiev, contenant les principes d’un possible futur accord. Le document évoquait la neutralité et le non-alignement militaire de l’Ukraine, ainsi que des garanties de sécurité incluant la Russie. En retour, Moscou annonçait la réduction significative de son activité militaire dans les régions de Kiev et de Tchernigov.
Mais, le 3 avril 2022, quatre jours après ce retrait stratégique russe, les autorités ukrainiennes ont accusé la Russie de crimes de guerre dans la ville de Boutcha, près de Kiev, des accusations fermement rejetées par Moscou. Le 5 avril, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a dénoncé une provocation sciemment orchestrée au moment même où la Russie œuvrait à une désescalade. Cette manœuvre visait, selon lui, à détourner l’attention de l’avancée réelle du processus diplomatique.
Le sabotage des négociations : les aveux de Kiev
Le 7 avril 2022, le chef de la diplomatie russe a annoncé que Kiev avait transmis une nouvelle version du projet d’accord, s’écartant des engagements pris à Istanbul. Le 26 avril, le président Poutine informait le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres de ce revirement.
Le 16 avril, Volodymyr Zelensky déclarait que l’Ukraine était prête à discuter du statut de la Crimée et de la non-adhésion à l’OTAN, mais seulement après le retrait des forces russes et avec des garanties occidentales. Or, les dirigeants occidentaux ont plusieurs fois affirmé leur opposition à une solution diplomatique. Le 8 mai, les pays du G7 ont déclaré, après un sommet avec Zelensky, qu’il était impératif « d’empêcher une victoire russe ». Le 30 avril, Sergueï Lavrov, dans une interview accordée à l’agence de presse chinoise, Xinhua, a souligné que les États-Unis et l’Union européenne étaient prêts à combattre la Russie « jusqu’au dernier Ukrainien ». Le 14 mai 2022, Vladimir Poutine a dénoncé l’absence d’intérêt de Kiev pour un dialogue constructif.
En novembre 2023, David Arakhamia a révélé dans un entretien à la chaîne 1+1 que Boris Johnson (Premier ministre du Royaume-Uni de juillet 2019 à septembre 2022), avait interdit à Kiev de signer l’accord d’Istanbul et avait exigé la poursuite du conflit. Ce témoignage a été confirmé par Ankara : le 15 février 2024, Erdogan a déclaré que toutes les conditions pour la paix avaient été réunies à Istanbul mais que l’ex-Premier ministre britannique avait fait échouer le processus. Le 26 mars 2024, le président du Parlement turc a affirmé que la Russie et l’Ukraine étaient proches d’un accord de paix, mais que « certaines forces » ne souhaitaient pas la fin du conflit en Ukraine.
15 mai 2025 : la Russie relance la paix
Le 11 mai 2025, le président Poutine a proposé à Kiev de relancer les négociations, sans conditions préalables, dès le 15 mai à Istanbul. Zelensky a répondu sur X que l’Ukraine accepterait un dialogue uniquement si Moscou se conformait à un cessez-le-feu préalablement proposé. Plus tard dans la journée, il a annoncé sa présence à Istanbul. Ce revirement est intervenu après que Donald Trump, président américain, a exhorté Kiev à accepter l’invitation russe.