Nord Stream 2 : Washington incite à «abandonner immédiatement les travaux»
- Avec Reuters
Le nouveau secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a donné de la voix contre le projet de gazoduc russo-européen et menacé de sanctions toutes les entreprises impliquées. Cependant en coulisses on chercherait une porte de sortie.
Le secrétaire d’Etat des Etats-Unis Antony Blinken a annoncé le 18 mars dans un communiqué que le département d'Etat américain surveillait les tentatives d'achever le gazoduc sous-marin Nord Stream 2 et évaluait les informations concernant les «entités» qui pourraient être impliquées dans sa construction.
«Toute entité impliquée dans le pipeline Nord Stream 2 risque des sanctions américaines et devrait immédiatement abandonner les travaux sur le gazoduc», a ajouté Antony Blinken, précisant que l'administration Biden s'engageait à appliquer les lois américaines de sanction de 2019 et 2020.
Entrées en vigueur cette année, elles imposent au département d’Etat de sanctionner les entreprises qui participent à la construction du gazoduc ou lui fournissent des services d’assurance et de certification de sa construction. Une vingtaine d’entreprises, pour la plupart des compagnies d’assurances, ont récemment renoncé à leur participation au projet sous la menace de Washington.
Les arguments de l’administration Biden pour expliquer cette politique n’ont pas changé par rapport aux deux mandatures précédentes, et le secrétaire d’Etat, cité par l’agence Reuters, en a répété la teneur le 18 mars en déclarant : «Nord Stream 2 est un mauvais projet – pour l'Allemagne, pour l'Ukraine et pour nos alliés et partenaires d'Europe centrale et orientale.»
«Absence d'action» de l'administration Biden
Depuis sa prise de fonction, l'administration Biden est régulièrement accusée par plusieurs parlementaires – notamment républicains – de manquer de fermeté contre Nord Stream 2. Le plus haut membre républicain de la Commission des affaires étrangères, le représentant Michael McCaul, a ainsi déclaré, dans un communiqué publié le 18 mars, s'inquiéter de «l'absence d'action» du nouveau président et précisé : «Il y a plus d'une dizaine d'entités qui semblent travailler sur le gazoduc Nord Stream 2 […] Si le président Biden et le secrétaire d'Etat Blinken veulent démontrer clairement qu'ils s'opposent au gazoduc, qui est déjà terminé à 95%, ils devraient imposer ces sanctions obligatoires immédiatement.»
LR @RepMcCaul on @SecBlinken's latest comments on #NordStream2: "While we appreciate @SecBlinken’s strong words on his opposition to the #NordStream2 project, it is the Biden Admin’s action - or lack of action - that is concerning."
— House Foreign Affairs GOP (@HouseForeignGOP) March 18, 2021
Pour sa défense sur un sujet qui réunit dans la classe politique des Etats-Unis un large consensus (l’opposition à Nord Stream 2), la nouvelle administration démocrate rejette sur la précédente la responsabilité de l’état de quasi-achèvement du gazoduc en faisant valoir que sa construction a débuté en 2018.
Mais certains responsables de l'administration Biden, tout en réitérant publiquement leur opposition à Nord Stream 2, disent que Washington doit être pragmatique sur ce qui peut être faire de manière réaliste après que deux administrations américaines précédentes n'ont pas réussi à stopper la construction du gazoduc.
«Le casse-tête Nord Stream 2»
Cité par Reuters, un «haut responsable» américain confie : «Si nous ne pouvons pas arrêter le pipeline, comment en tirer le meilleur parti une fois qu’il est terminé ?» Et il se trouve qu’une porte de sortie a été implicitement suggérée fin février par Wolfgang Ischinger, ancien ambassadeur d’Allemagne aux Etats-Unis (2001-2006), et actuel président de la Conférence de Munich, dans une tribune intitulée «Une solution possible au casse-tête Nord Stream 2» publiée par Der Spiegel, le plus influent hebdomadaire allemand.
Il propose que l'oléoduc, une fois achevé, soit utilisé comme levier politique avec la mise en place d’un «mécanisme de freinage d'urgence avec la participation de l'UE qui pourrait être activé pour arrêter les flux du gazoduc si la Russie, par exemple, violait l'accord concernant l'utilisation continue de l'infrastructure ukrainienne de transit de gaz ». Il propose aussi la création d’un «Paquet énergie euro-atlantique» qui prévoirait le «renforcement de l’intégrité du marché du gaz européen». Pour le diplomate ce paquet prévoirait également un soutien accru à l'Ukraine dans «sa quête d'intégrité territoriale et de développement économique » et il estime même que «Gazprom et le Kremlin pourraient trouver utile de s’associer à un tel projet, plutôt que de le combattre.
Le gazoduc Nord Stream 2 représente un investissement d’une dizaine de milliards d’euros financé pour moitié par Gazprom et pour l’autre moitié par cinq sociétés européennes (OMV, Wintershall Dea, Engie, Uniper et Shell). Reliant la Russie à l’Allemagne par voie sous-marine au fond de la Baltique il devrait doubler la capacité actuelle du premier tronçon, entré en service en 2014, pour la porter à 110 milliards de mètres cubes par an.
On n’a pas connaissance d’une réaction d’Heiko Maas, l’homologue allemand d’Antony Blinken, ou du gouvernement allemand, mais Berlin a toujours assuré que Nord Stream 2 était un projet privé indépendant, non politique et exclusivement commercial. Ce sujet devrait toutefois être abordé par les deux chefs de la diplomatie américaine et allemande lors d’une prochaine rencontre probable, au cours du sommet des ministres des Affaires étrangères de l’Otan, à Bruxelles les 23 et 24 mars.