Lancements spatiaux : Bruxelles réclame une stratégie européenne «plus agressive»
Avec les lanceurs spatiaux qu'il a développés, l'Homme est aujourd'hui capable d'envoyer des charges utiles en orbite terrestre ou dans l'espace interplanétaire. Le coût de leur fabrication et leur durée de vie sont lourds d'enjeux.
Le secteur spatial européen semble connaître une période de profondes remises en question face à des concurrents dynamiques comme les Etats-Unis qui gardent de grandes ambitions spatiales avec un budget considérable (50 milliards de dollars pour l'année 2019, soit cinq fois plus que celui cumulé la même année par l'ensemble des acteurs européens) ou comme la Chine qui entend, de son côté, poursuivre son avancée implacable dans le domaine, notamment à travers la mise en orbite d'une station spatiale indépendante dont le premier module doit être lancé en 2021.
C'est dans ce contexte que ses principaux acteurs se sont réunis le 12 et 13 janvier à Bruxelles, à l'occasion de la 13e conférence spatiale européenne. Ils ont notamment abordé la question cruciale des lancements spatiaux qui, sur le plan technique, permettent de propulser une charge utile au-delà des premières couches de l'atmosphère terrestre, et sur le plan stratégique, révèlent des enjeux d'indépendance et de souveraineté.
Lancements européens vers l'espace : vers une stratégie «plus agressive» ?
«Les normes de lanceurs sont actuellement redéfinies en dehors de l'Europe [...] Notre approche actuelle nous mènera-t-elle avec succès jusqu'en 2050 ? J'en doute fortement et je crois que nous avons besoin d'une stratégie plus offensive et plus agressive», a déclaré le commissaire européen chargé des questions spatiales, Thierry Breton, dans le cadre de l'événement.
«Il faut un Big Bang pour l'Europe des lanceurs [afin de] préparer l'après Ariane 6 et une refondation de notre écosystème entre les acteurs industriels et publics», a de son côté plaidé le PDG d'Arianespace, Stéphane Israël.
Pour le directeur général de l'agence spatiale européenne (plus connue sous l'acronyme anglophone «ESA»), Jan Wörner, il faudrait «davantage de concurrence» entre lanceurs européens. «Si on a un lanceur moins cher, on peut davantage lancer et si on lance plus, on peut baisser le coût du lancement, c'est l'œuf et la poule», a-t-il résumé.
Ces différents appels à redynamiser le secteur spatial européen semblent puiser leur inspiration dans les accomplissements générés par le «New space» américain. Le terme désigne le phénomène d'intégration d'acteurs privés dans le domaine spatial, à travers lequel la Nasa a par exemple pu, en 2020, confier à la société Space X le transport de ses astronautes vers la station spatiale internationale, mettant ainsi fin à une période de neuf ans au cours de laquelle l'agence américaine payait ses places à bord des Soyouz russes.
Quant aux travaux accomplis sur le Vieux continent, ils devraient permettre les décollages de la fusée italienne Vega C en 2021 et d'Ariane 6 en 2022. Le 12 janvier, Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales (le Cnes), a ainsi annoncé que son établissement puiserait significativement dans l'enveloppe de 500 millions d'euros attribuée au secteur spatial français. Une somme prévue dans le cadre du plan de relance afin de soutenir l'activité des constructeurs de satellites mais aussi celle les développeurs de lanceurs spatiaux et «pour justement accélérer le calendrier d'Ariane 6», a expliqué Jean-Yves Le Gall.
En l'état actuel des choses, Ariane 6 pourrait être dotée d'un moteur «réallumable», lui offrant une capacité de manœuvre accrue ainsi qu'une meilleure garantie de désorbitation du moteur en sécurité, une fois la mission achevée. En revanche, le lanceur ne devrait pas être réutilisable, contrairement à la génération suivante, pour l'heure baptisée Ariane Next, qui pourrait quant à elle être capable de revenir sur Terre automatiquement grâce à un premier étage réutilisable. Un aspect non négligeable...
La réutilisation du matériel spatial : un enjeu stratégique
Afin de réduire les coûts dans le domaine spatial, l'un des principaux objectifs est l'élaboration de technologies permettant de réutiliser le matériel de lancement, à l'image des programmes européens Prometheus et Thémis, qui concernent respectivement les réalisations de moteurs et d'étages de fusée, réutilisables.
L'industrie spatiale européenne n'est pas la seule à avoir intégré la conception de matériel réutilisable dans sa stratégie de développement. En 2016 déjà, l'agence spatiale indienne, l'ISRO, annonçait par exemple avoir réussi le premier vol test de la navette RLV-TD «Reusable Launch Vehicle-Technology Demonstrator», soit un prototype de navette spatiale réutilisable.
Particulièrement convoitée outre-Atlantique, la fusée réutilisable correspond aussi et surtout à l'une des principales ambitions qui anime le multimilliardaire Elon Musk dans le cadre de ses projets de colonisation spatiale. Ainsi, simultanément aux multiples succès de son lanceur Falcon 9 partiellement réutilisable, sa société Space X a présenté en septembre 2019 le premier prototype assemblé du Starship, une fusée habitée et réutilisable sur laquelle l'homme désormais le plus riche du monde communique régulièrement, au fil des tests pratiqués. «Aujourd'hui, chez SpaceX, il s'agit de pratiquer les démarrages de moteurs Starship [...] Deux départs terminés, sur le point d'en essayer un troisième», a par exemple tweeté Elon Musk, pas plus tard que le 13 janvier.
Même combat du côté de l'agence spatiale russe, Roscosmos. Au mois d'août 2020, son patron, Dimitri Rogozine, s'exprimait en ces termes auprès de l'agence de presse Ria Novosti : «Pour remplacer l'actuel fusée Soyouz-2, nous élaborons une fusée au méthane. Elle sera développée dès le départ comme un ensemble réutilisable. Pas semi-réutilisable comme chez Space-X, mais réutilisable, le premier étage sera réutilisable plus d'une centaine de fois.»
La Chine semble tout aussi déterminée à progresser en ce sens puisqu'à la fin de la même année, lors du vol inaugural d'une nouvelle fusée nommée «Longue-Marche 8», l'agence spatiale chinoise, la CNSA, affirmait qu'une version réutilisable de ce modèle était en cours de conception et serait prête «dans quelques années».
Si la crise sanitaire mondiale a provoqué une baisse des activités de production spatiale et un report de certains projets durant l'année 2020, le secteur est loin d'être à l'arrêt, à l'image des efforts déployés, de part et d'autre du globe, pour réduire les coûts spatiaux liés aux lancements. Par ailleurs, l'année passée s'est révélée particulièrement prolifique avec un nombre record de satellites placés en orbite.
Fabien Rives