«Macron, démission !», «La police avec nous !» : au cœur du rassemblement des Gilets jaunes à Paris
«Macron, démission !» : le cri de ralliement des Gilets jaunes a tonné ce 24 novembre sur ladite «plus belle avenue du monde», comme sur celle de Matignon, à deux pas de l'Elysée. Ailleurs aussi, la colère était palpable.
La terre est encore humide et la météo rude, mais en ce matin du 24 novembre, il ne pleut pas à Paris. A l'approche de ses 62 ans, Jean-Claude est posté sur le Champ-de-Mars, gilet jaune sur le dos et drapeau tricolore en main. Il explique être venu la veille de Melun, et avoir dormi «là» afin d'être en mesure de participer à «l'acte 2» du mouvement des Gilets jaunes, après avoir manqué le premier rendez-vous le 17 novembre. Pas besoin de déguisement pour l'occasion : comme certains de ses compères en jaune, Jean-Claude n'a eu qu'à enfiler sa tenue de travail, une symbolique forte pour un mouvement dénonçant, entre autres, la baisse de pouvoir d'achat des travailleurs pauvres.
Je m'apprête à toucher une retraite de 970 €, brut ; c'est une honte !
L'annonce gouvernementale d'une hausse des taxes sur le carburant aura incité cet ouvrier, comme d'autres, à faire le déplacement pour exprimer son ras-le-bol face à un ensemble d'orientations politiques du gouvernement. «Aujourd'hui, la vie est trop chère, je m'apprête à toucher une retraite de 970 €, brut [...] c'est une honte !», constate-t-il avant d'expliquer sa vision de l'effort commun : «Il y a des choses à payer, mais il faut que tout le monde paye [...] Il y a des gens qui sont très riches, autant qu'ils participent aussi.» Et le maçon sexagénaire de souligner un objectif que son pays ne parvient plus, selon lui, à accomplir de manière équitable : «Le but en France, c'était ça : que tout le monde participe en fonction de ce qu'il gagne», rappelle-t-il, amer.
Pour ou contre les taxes ?
— Fabien Rives - #RTFrance (@FabienRivesRTFr) 24 novembre 2018
>>> "Il faut que tout le monde participe en fonction de ce qu'il gagne"
Jean-Claude, maçon sur le point de partir en retraite et de toucher une pension de 970 € brut/mois.
Il est venu de Melun pour participer à l'acte 2 des #GiletsJaunespic.twitter.com/LWRClcM9Pl
Déterminé à affronter cette fraîche journée de novembre, Jean-Claude explique qu'il en passera au moins une bonne partie de la matinée ici, sur ce Champ-de-Mars, précisément là où le ministère de l'Intérieur comptait cantonner cette deuxième journée d'envergure du mouvement des Gilets jaunes, en vain.
Lire aussi : Gilets jaunes : vives tensions et scènes de violence sur les Champs-Elysées
Non loin de là, mais de l'autre côté de la Seine, Jean-Paul, jardinier de la fonction publique, est lui aussi présent de bon matin. Au Trocadéro, où il est arrivé avant 9h, il converse avec deux hommes qui, comme lui, ont revêtu leur gilet jaune.
Egalement proche de la retraite, ce fonctionnaire originaire de Meudon-la-Forêt explique être là en tant que simple ouvrier. Et au-delà de l'augmentation à venir de la taxe carburant, le futur retraité se montre particulièrement inquiet quant à l'évolution de son pouvoir d'achat en général : «Je vais sûrement avoir une petite retraite», confie-t-il. Pour lui aussi, le mouvement des Gilets jaunes est l'occasion d'exprimer son ras-le-bol personnel quant à la politique d'un président qui selon lui, doit «fiche le camp»...
Un message à Emmanuel Macron ? >>>"Qu'il fiche le camp !"
— Fabien Rives - #RTFrance (@FabienRivesRTFr) 24 novembre 2018
Ce #24novembre, Jean-Paul, jardinier de la fonction publique, est venu à pied de Meudon pour l'acte 2 des #GiletsJaunespic.twitter.com/ZVpo7p6ZKJ
Depuis l'esplanade du Trocadéro, Jean-Paul n'aperçoit guère de gilets jaunes sur le Champ-de-Mars... Alors qu'il s'impatiente de l'arrivée de la vague jaune dans la capitale, il se montre pour l'heure indécis sur le déroulement de la journée : «On va se concerter entre nous sur des actions de filtrage», confie-t-il.
Si ces ouvriers croisés dans la matinée entendent respecter un cadre d'action «raisonnable», d'autres, la majorité, ont décidé symboliquement d'investir les abords des lieux de pouvoir, parmi lesquels la plus célèbre avenue du monde, les Champs-Elysées. Ainsi, plusieurs milliers de leurs compères de jaune vêtus n'ont pas daigné se cantonner au cadre fixé par l'exécutif...
L'exécutif a-t-il sous-estimé la marée jaune ?
Bravant les interdictions, c'est bien sur la place de la Concorde que les Gilets jaunes se sont donné rendez-vous sur la page Facebook dédiée à l'organisation de l'événement. Une obstination qui sonne comme un pied de nez adressé au ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner. Non content de s'être opposé au lieu de rassemblement proposé par le mouvement citoyen, le ministre n'avait pas manqué, ces derniers jours, de dénoncer la «radicalisation» des mobilisations de Gilets jaunes et leur «dérive totale» à travers la France.
Quant à Emmanuel Macron, il avait annoncé la couleur dès le début du mois, lors de son intervention à l'antenne d'Europe 1. A l'ouverture d'un potentiel dialogue, il avait ainsi préféré exprimer sa méfiance sur «ces grands appels à mobilisation pour tout bloquer», laissant penser que derrière le mouvement des Gilets jaunes, se trouvaient, entre autres, «des gens qui n'ont pas beaucoup de projets pour le pays». Préférant laisser le soin à son Premier ministre Edouard Philippe de répondre à la colère de la première vague jaune du 17 novembre, le président de la République s'était, dans la foulée de cette journée de mobilisation, ouvertement refusé à tout commentaire.
Une attitude qui semble avoir attisé l'exaspération des Gilets jaunes en amont du 24 novembre. Ainsi l'ont exprimé des manifestantes, assises sur un trottoir alors qu'elles se remettaient du gaz lacrymogène tout juste inhalé. «Puisqu'il ne montre aucun signe d'ouverture, il faut l'interpeller chez lui, à l'Elysée», commentent Charlotte et Lucie, deux trentenaires d'Eure-et-Loir très remontées contre leur chef d'Etat. Retranchées à quelques pas seulement du palais présidentiel, elles commentent avec amertume l'importance du dispositif de sécurité : «Cela va coûter un bras aux contribuables de nous gazer toute la journée.»
Silence assourdissant : #Macron et Le Maire snoberaient-ils les «#giletsjaunes» ?
— RT France (@RTenfrancais) 18 novembre 2018
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Les Gilets jaunes détestent Macron, pas la police
En milieu de matinée, des centaines, puis des milliers de Gilets jaunes ont réussi à converger sur la «plus belle avenue du monde», comme il est de coutume d'appeler les Champs-Elysées. La charge des forces de l'ordre n'a pas tardé, les policiers s'étant rapidement disposés de façon à empêcher la jonction des groupes, parfois en vain.
#24novembreParis les gilets jaunes ont réussi à déborder le cordon de CRS en haut de l’avenue et descendent dans les Champs-Élysées pic.twitter.com/56vwqzC88z
— Philippe Mirkovic (@phmirkovic) 24 novembre 2018
Ainsi, durant plus d'une heure, la remontée des Champs-Elysées par les Gilets jaunes aura été marquée par une tension palpable avec les forces de l'ordre, donnant lieu à des affrontements qui s'imposeront d'ailleurs comme un fait marquant de la mobilisation.
Et pourtant, s'il est une attitude qui a démarqué cette marée jaune des récentes contestations sociales, c'est bien la tentative de fraternisation d'une partie des Gilets jaunes avec les forces de l'ordre. De fait, tout au long de la journée, de nombreux Gilets jaunes ont scandé le slogan «La police, avec nous !», abandonnant ainsi le devenu célèbre «Tout le monde déteste la police !», véritable cri de ralliement de la mouvance «antifa», particulièrement visible lors des manifestations contre la loi travail, ou plus récemment lors des rassemblements contre la réforme de la SNCF.
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De même, s'ils ont une dent contre l'exécutif français, nombre de Gilets jaunes ayant déferlé sur Paris ce 24 novembre ont souhaité réaffirmer avec force leur attachement à la France : la Marseillaise a été entonnée plusieurs fois dans la journée et des drapeaux tricolores ont été aperçus dans la foule.
Macron démission !
Outre leur tentative de convaincre (en vain) les policiers de se joindre à eux, les Gilets jaunes avaient aussi et surtout un message à clamer plus haut et plus fort que les autres : «Macron, démission !», ont-ils scandé en remontant l'avenue. Un message également martelé, sur la route du palais présidentiel, par les plus téméraires, bien déterminés à le porter à l'oreille du principal intéressé. Un mouvement de foule qu'a ainsi commenté l'ancien sénateur de Paris Yves Pozzo di Borgo : «On a vraiment l’impression que Macron s’est enfermé dans son bunker antiatomique physiquement et intellectuellement.»
Les #Giletsjaunes rue du Faubourg Saint Honoré vers l’Elysée protégé par de nombreux CRS ! On a vraiment l’impression que #Macron s’est enfermé dans son bunker antiatomique physiquement et intellectuellement #Giletsjaunespic.twitter.com/4xGJnvivMG
— Yves Pozzo di Borgo (@YvesPDB) 24 novembre 2018
Si la détermination était forte, elle s'est toutefois heurtée aux forces de l'ordre couvrant les abords de l'Elysée, notamment au croisement de la rue du Faubourg Saint-Honoré et de l'avenue Matignon, comme a pu le constater RT France.
Bien que cette journée du 24 novembre ait indéniablement été marquée par des scènes de chaos sur l'avenue des Champs-Elysées et à ses alentours, elle ne saurait s'y résumer. De fait, si ses critiques tentent régulièrement de réduire le mouvement citoyen à certains dérapages indéniables, mais isolés, ceux-ci sont régulièrement condamnés au sein même des Gilets jaunes. A l'image de ces citoyens vêtus de jaune qui, lors du rassemblement aux Champs-Elysées, ont décidé de protéger les vitrines d'une boutique. «Les Gilets jaunes ne sont pas des casseurs», a insisté l'un d'entre eux au micro de RT France.
«Les #giletsjaunes ne sont pas des casseurs» insiste Hans au micro de RT France#RTFrance en direct :
— RT France (@RTenfrancais) 24 novembre 2018
📺 https://t.co/1rBUkB2Ax4pic.twitter.com/C1ebU7KhdW
Tant chez ses détracteurs que chez ses plus fervents défenseurs, le mouvement des Gilets jaunes apparaît comme innovant, en partie parce qu'il s'est pour l'heure affranchi des structures traditionnelles de lutte sociale : les syndicats.
Aujourd'hui, le mouvement rassemble des Français estimant que leurs intérêts sont depuis trop longtemps lésés par une succession de gouvernements ; la récente annonce d'une hausse des taxes sur le carburant aura ainsi constitué «la goutte d'eau qui a fait déborder le vase» pour le mouvement citoyen, dont certains participants appellent déjà à une poursuite de la mobilisation.
Fabien Rives